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Histoire & Sciences sociales -> Temps Présent |
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Ce qui se cache derrière la cause | | | Eric Agrikoliansky Olivier Fillieule Nonna Mayer L'Altermondialisme en France Flammarion 2005 / 22 € - 144.1 ffr. / 370 pages ISBN : 2082104451 FORMAT : 16 x 24 cm Imprimer
Cet ouvrage, aux auteurs multiples, est issu du colloque de l'Association Française de Science Politique/Groupe dEtude et de Recherche sur les Mutations du Militantisme de décembre 2003, ce qui explique son aspect savant et quelque peu décousu. On y distingue néanmoins aisément certaines questions directrices qui mènent la réflexion : comment expliquer lunité et le succès dun mouvement rassemblant un nombre impressionnant et hétéroclite de mouvances syndicales, politiques, idéologiques, confessionnelles ? Doù provient cette étonnante capacité à fédérer ? La réponse apportée semble être au moins triple : la cohérence de laltermondialisme est à la fois de nature partisane, « philosophique » et militante.
Au lieu de mettre laccent sur limportance de la cause (la mondialisation) comme facteur de cohésion, louvrage met avant tout en relief la genèse interne aux mouvements précurseurs. Et ceux-ci sont nombreux ! Les chapitres détaillent minutieusement lentente des mouvements tiers-mondistes anticoloniaux et chrétiens de type missionnaire autour de la thématique de la dette du tiers monde, la transformation de mouvements paysans minoritaires en internationale paysanne face aux syndicats majoritaires, lunion de ce que lon a appelé les « sans » avec des courants dextrême-gauche face à une gauche devenue gestionnaire et le parcours des journalistes « non-alignés »(Le Monde diplomatique) se désolidarisant officiellement des idéologies politiques.
A la lumière de ces analyses, on saperçoit que le mouvement altermondialiste nest pas né (que) dune soudaine prise de conscience de lemprise néo-libérale sur le monde. Les courants qui le composent se caractérisent souvent par une impossibilité dexister au sein dune mouvance ou dune corporation dont il ne serait pas ou plus la représentation majoritaire. En effet, dun point de vue tactique, la lutte contre le néo-llibéralisme mondial est payante : elle permet délargir le cadre de solidarité de mouvements trop faibles pour exister sur un plan national à léchelle internationale. Elle donne en outre une légitimité et un « prestige » que nauraient plus les fédérations nationales, trop corporatistes. Lémergence de la Confédération paysanne face à la toute puissante FNSEA et la différence radicale de leurs discours en sont un exemple frappant.
Laltermondialisme est bien entendu affaire de convictions. Mais sur ce plan-là aussi, force est de reconnaître que le corpus conceptuel et intellectuel du mouvement a été le fruit dune maturation longue et complexe. Si la caution intellectuelle, et même limpulsion du mouvement, semblent être le fruit dexperts et de professeurs de tradition tiers-mondiste et anti-impérialiste, comme ceux du Monde diplomatique, le fondement existentiel, le rapport au monde de laltermondialisme dépend tout autant de mouvements plus méconnus comme ceux des paysans chrétiens ou du catholicisme social.
Le deuxième chapitre du livre (le monde paysan et les sources chrétiennes de la solidarité internationale) est, à ce titre, extrêmement instructif. Il montre que, loin du cliché corporatiste du syndicalisme agricole, danciens mouvements comme la JAC (Jeunesse Agricole Chrétienne) ou la CNJA (Centre National des Jeunes Agriculteurs) allient depuis longtemps une éthique personnaliste, héritière dEmmanuel Mounier, à une prise en compte chrétienne des problèmes du monde. Léthique des besoins - se défiant de la surproduction - et la défense des valeurs dautonomie, de responsabilité et de solidarité avec lensemble des paysans de la planète semblent déjà proches des préoccupations de lactuelle Confédération paysanne, mise sur le devant de la scène par José Bové.
Pour cette mouvance, les problèmes des paysans du Nord ne sont pas radicalement différents de ceux du Sud, comme le laisseraient croire certains courants anti-colonialistes. Ils sont provoqués les uns et les autres par la libéralisation des marchés, une démesure de la productivité et le monopole de certaines multinationales. La solution ne peut être que globale, radicale et concertée. Elle doit, par exemple, viser à restaurer des cours de prix réalistes, permettant de rétribuer correctement le travail des agriculteurs : elle ne réside aucunement dans loctroi de subventions permettant de résister de manière éphémère et égoïste à la loi des marchés.
Ce « penser global » sassocie avec « laction locale » inspirée par certains aspects de laction missionnaire. Il sassocie aussi à laction militante et à son organisation. La longue histoire de laltermondialisme se confond avec la geste salutaire du combat contre la mondialisation : les principaux faits darmes en sont le contre-bicentenaire et la victoire contre les accords multilatéraux dinvestissement en 1989, les grèves de 1995, les divers contre-sommets et les forums sociaux. Mais la capacité à agréger des mouvements si différents allant des anarchistes dextrême-gauche aux syndicats chrétiens tient peut-être plus de lorganisation interne que cet agir militant implique, dont certains principes sont directement empruntés aux mouvements anarchistes, comme les fameux groupes daffinité. Autrement dit, la cause très fédératrice et consensuelle, « attrape tout » diraient certains, de laltermondialisme se double dune organisation en réseaux sans réel pôle dirigeant, se découpant en groupes plus ou moins autonomes, selon le consensus en vigueur, mais dont les principes de cohésion sont la concertation et la volonté de sopposer.
La « synthèse » que laltermondialisme permet de réaliser entre une contestation radicale, voire révolutionnaire, du système et une action à visée globale et dapplication « inter-locale » nest tenable que dans un consensus fort dopposition. En effet, peu de mouvements se posent autant en sopposant : les contre-sommets, les forums sociaux, le nom initial danti-mondialisation, etc. A tel point que lon peut se demander qui de lalter ou de la mondialisation contribue le plus à caractériser lautre. Sil serait excessif dinverser la cause et leffet, il serait en revanche imprudent de ne pas sinterroger sur lémergence et les causes dun mouvement dont les catégories et les « cadres dinjustices » sont suffisamment larges pour englober ce qui est manifestement contradictoire. Cest là lun des mérites de cet ouvrage.
Guillaume Ruffat ( Mis en ligne le 06/04/2005 ) Imprimer
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