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Histoire & Sciences sociales -> Temps Présent |
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Se soumettre ou se démettre : les intellectuels au service du parti communiste français | | | Frédérique Matonti Intellectuels communistes - Essai sur l'obéissance politique. La Nouvelle Critique (1967-1980) La Découverte - L'espace de l'histoire 2005 / 34.50 € - 225.98 ffr. / 413 pages ISBN : 2-7071-3081-8 FORMAT : 16x24 cm
Lauteur du compte rendu : Ludivine Bantigny, ancienne élève de lÉcole normale supérieure, est agrégée et docteur en histoire. Elle enseigne à lInstitut dÉtudes politiques de Strasbourg et à lIEP de Paris. Ses travaux portent sur lhistoire sociale, politique et culturelle de la deuxième moitié du XXe siècle. Imprimer
Louvrage issu de la thèse de Frédérique Matonti se présente demblée comme dense, précis et rigoureux. Lauteur fait uvre dhistorienne, mais elle a aussi une formation philosophique, pratique les sciences politiques et sinspire dune démarche sociologique, proche notamment de lapproche bourdieusienne.
Le sujet peut sembler au premier regard restreint : il sagit détudier lune des revues du parti communiste français, La Nouvelle Critique, certes fondée en 1948 mais cernée ici surtout à partir de sa nouvelle formule lancée en 1967, et disparue en 1980. Cest néanmoins là déjà un beau sujet, impliquant de saisir les modalités de lélaboration et de lécriture politiques. Mais lintérêt du thème est naturellement bien plus vaste, et la réflexion adoptée lui confère davantage encore de densité. Frédérique Matonti cherche en effet à comprendre ce que sont «lesprit de parti» et la soumission en politique. Elle sinterroge donc sur ce quelle nomme un «art de parti» : les intellectuels rédacteurs de la revue ont de fait à user de règles de cryptage et de décryptage qui relèvent parfois de la «ruse», selon le mot de Brecht, ou de la «contrebande», daprès Aragon. Ce sont ces grandes et petites négociations au quotidien que Frédérique Matonti étudie avec soin. Sa démarche relève en partie de lethnographie, comme elle lindique elle-même en décrivant son enquête et les nombreux entretiens menés avec danciens responsables, ces «conseillers du prince» reproduisant plutôt que produisant des idées politiques.
Créée pour concurrencer Les Temps modernes, avec des plumes comme celles dAnnie Besse (future Kriegel), Jean-Toussaint Dessanti ou Jean Kanapa, La Nouvelle Critique na jamais atteint ce but, handicapée quelle fut par sa soumission globale aux dogmes de la direction. Les Lettres françaises elles-mêmes, au sein de la presse communiste, se sont longtemps montrées plus ouvertes aux avant-gardes. Pourtant, en 1966, le comité central réuni à Argenteuil sembla concéder un certain nombre de libertés aux intellectuels du parti : on les dota dune fonction politique quils navaient pu exercer que très peu jusque là. Mais la direction du PCF continua en fait à attendre des intellectuels quils demeurent dociles tout en proposant un organe de presse attractif.
Frédérique Matonti livre ainsi à ses lecteurs une étude minutieuse de la composition du comité de rédaction et de son organigramme. On y voit Jean Kanapa, rédacteur en chef de la revue pendant dix ans, réécrire les articles sans demander leur avis aux auteurs mis devant le fait accompli mais approuvant généralement les modifications sans mot dire. Plusieurs membres de la rédaction ont aussi des responsabilités dans des fédérations ou sont membres du comité central, ce qui explique et favorise leur «obéissance politique» et diverses formes dallégeances. Ces intellectuels sont bel et bien également des «semi-professionnels de la politique». «Être au comité central, écrit Frédérique Matonti, cest tenir un rôle et être tenu de le tenir, faire en sorte que la revue assure la fonction qui lui est assignée.» La Nouvelle Critique regroupe des militants unis par toutes sortes de liens, affectifs voire amoureux. La pratique du commérage y est courante, signe, selon lauteur qui emprunte la formule à Norbert Elias, dune «communauté soudée». Lhumour y est tout autant pratiqué (on y raconte les meilleures «histoires soviétiques»
). Bref, cest la revue comme lieu de sociabilité qui nous est ici décrite.
La Nouvelle Critique a eu lambition de renouveler le discours théorique dans différents domaines : littérature, philosophie, sciences humaines et sociales. Elle a ainsi contribué à une «déstalinisation littéraire», par le dépassement du réalisme socialiste et de la théorie du reflet chère à Lukacs. En philosophie, il lui a fallu critiquer tout à la fois Althusser et Garaudy, dans le souci délaborer une philosophie officielle adéquate à la ligne du parti. En histoire, il sest agi de réhabiliter lévénement, contre les Annales et le structuralisme. Mais la plus spectaculaire de ces réhabilitations fut celle de la psychanalyse, naguère qualifiée d«idéologie réactionnaire» ; Catherine Clément fut lun des personnages clefs de cette réconciliation. Globalement orthodoxe durant lensemble de la période, La Nouvelle Critique devint contestataire lorsque, à partir de 1974, les Congrès virent se succéder des lignes politiques opposées «des zigs et des zags» tandis quétait abandonnée la «dictature du prolétariat».
Par de courtes mais nombreuses biographies, lauteur sattache à retracer des trajectoires et par là même à saisir les raisons de ladhésion en politique. Mais comprendre les positions de chacun dans lespace social ne signifie pas pour autant, sous sa plume, appliquer un raisonnement sociologique mécanique. Cette sociologie des intellectuels communistes montre in fine comment les années 1960-1970 ont vu peu à peu disparaître lintellectuel de parti au profit dune figure nouvelle : lintellectuel-expert, non moins soumis aux influences et aux contraintes imposées den haut.
Ludivine Bantigny ( Mis en ligne le 27/05/2005 ) Imprimer | | |
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