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Après le vol du condor
Alvaro Artigas   Amérique du Sud : Les démocraties inachevées
Armand Colin - L'Histoire au présent 2005 /  25 € - 163.75 ffr. / 241 pages
ISBN : 2-200-26592-1
FORMAT : 15,0cm x 21,0cm

L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.
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De même que, à l’exemple du général de Gaulle, on se dirige vers l’Orient compliqué avec des idées simples, on pourrait, sans la remarquable synthèse due à Alvaro Artigas, continuer à considérer l’Amérique du sud comme un continent également bien mystérieux, mal connu, bruissant de complots bizarres, de pronunciamientos, de conflits religieux et de syncrétisme politique. Il fallait un guide pour s’attaquer à ce continent que l’Europe, obéissant à la doctrine de Monroe, tend à abandonner à l’Amérique, celle de Kissinger et de l’opération condor.

C’est ce que fait, dans un ouvrage qui mêle réflexion historique et contemporaine, de manière très synthétique et convaincante, Alvaro Artigas, de l’IEP de Paris. Il y avait là, de fait, une gageure : expliquer au public français les racines de l’histoire latino-américaine récente sans lui administrer un complexe cours d’histoire et lui présenter l’évolution actuelle du sous-continent sans verser dans un commentaire soit trop érudit, soit trop anecdotique. Et l’auteur s’est parfaitement débrouillé de cette tâche, livrant avec cette Amérique du Sud : les démocraties inachevées, la synthèse idéale pour les amateurs d’histoire contemporaine et de problématiques géopolitiques.

Réfléchissant de manière tant thématique que nationale, l’auteur s’intéresse aux acteurs, aux leviers d’un continent qui, finalement, aura partagé une même histoire, celle d’une longue voie vers une démocratie encore fragile. Un premier chapitre évoque – succinctement mais efficacement – l’Amérique du sud des années 70-80, celle des militaires au pouvoir, des violations des droits de l’homme, d’un conflit entre capitalisme et marxisme, où les États-unis s’amusent à jouer au deus ex-machina, non sans cynisme et brutalité. Les flammes de la realpolitik kissingerienne seront longues à s’éteindre. Un «continent des ténèbres» qui pourrait faire écho à celui, récemment traduit, de M. Mazower (ed. Complexe). Mais le cœur de l’ouvrage n’est pas là ; il est dans la mise en place, un peu partout, d’une transition démocratique difficile, risquée, et qui se heurte à de nombreux obstacles.

Ainsi l’Eglise, dont le rôle n’est pas si évident : à la fois soutien de certains régimes (comme en Argentine) et vecteur de modernisation (via la théologie de la libération par exemple, ou des organisations comme Caritas) ; ambivalence d’une institution à la fois centralisée et nationale, à la fois préoccupée du sort du peuple chrétien et dogmatiquement soumise à l’autorité légitime. Le rôle des armées est encore plus problématique : le souvenir des dictatures, les difficultés du retour à la démocratie (un «mariage de raison» négocié avec les chefs militaires), la constante hésitation entre la paix et la justice sur fond de frustration sociale, tout cela pèse sur les transitions démocratiques. Face à l’armée, partenaire indépassable (à la fois comme garantie et comme ombre portée), les partis politiques traditionnels, conservateurs ou libéraux, marquent le pas, désorganisés ou sans cohérence idéologique. Dans une renaissance politique compliquée, au milieu de citoyens déboussolés, le populisme s’est finalement imposé dans divers pays, offrant aux nations en sortie de dictature une alternative à une démocratie incertaine. Au final, la vie politique renaît lentement, en partie structurée par le poids de la mémoire et A. Artigas montre bien la complexité, mais aussi les récurrences, les lignes de force de la vie politique sud-américaine, ses hésitations, ses ombres et ses perspectives.

L’autre héritage des années de dictature, parfois amplifié par les gouvernements populistes, c’est la vague menaçante du néo-libéralisme dans un continent économiquement fragile, dépendant. Quelle solution apporter aux crises multiples qui frappent les sociétés et les économies ? L’environnement économique est, il est vrai, complexe, alternant la manne (pétrolière) et la crise de la dette (avec ses conséquences en terme de souveraineté financière) : la politique et les idéologies interagissent avec ce climat, dans un long processus d’industrialisation «à la sud-américaine» qui, à terme, modernise les infrastructures du continent, mais à quel prix ? Esquissant un bilan de cette décennie, l’auteur tente également d’évaluer le coût (social et politique) d’un modèle de développement original, fondé sur l’industrialisation et les capitaux étrangers. Le résultat de tout ces faits, c’est une société à plusieurs vitesses, aux contrastes brutaux : à l’origine d’un véritable malaise social sur fond de violence, grâce auquel les populismes continuent de prospérer.

La solution pourrait résider dans un multilatéralisme à l’échelle américaine : l’auteur examine donc les tentatives plus ou moins réussies de politique régionale, depuis l’OEA (1948), tout au plus un forum régional, le CEPAL, un conseil onusien qui réfléchit sur la région, l’ALALC, qui favorise le libre échange sur le sous-continent… jusqu’au Mercosur, la tentative sud-américaine de marché commun et au projet de ZLEA (une zone de libre échange des Amériques sur le modèle de l’ALENA nord américain). L’ouverture au monde, et en particulier à l’Europe (conçue en terme de «bloc» par l’auteur !) et l’Asie a également été envisagée. Mais le spectre des crises diverses et l’ampleur du défi (en terme de concurrence) auront fragilisé les bonnes volontés et nuancé nombre de projets. A. Artigas entraîne en connaisseur son lecteur dans le labyrinthe des accords (et de leurs difficultés), des négociations, des traités, pour une leçon de relations commerciales internationales qui remet les pendules à l’heure en ces temps de ralentissement européen (l’union est plus qu’une solution, c’est une nécessité !).

Au final, c’est LA synthèse qu’il faut lire pour comprendre l’évolution du continent sud américain et les ambiguïtés de la transition démocratique : l’auteur, servi par un style clair et efficace, dresse du sous-continent un tableau à la fois riche, nuancé et très accessible. Passant de la mémoire à l’histoire très contemporaine, du politique au social et à l’économique, de l’histoire aux perspectives, il tente, avec succès, d’offrir le résumé accessible d’une histoire complexe, où les forces, les faiblesses, les similitudes et les différences définissent une spécificité sud-américaine. Il faut saluer la publication d’une synthèse aussi utile dans un paysage éditorial et historiographique plutôt frileux à l’égard du sous-continent.


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 16/11/2005 )
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