| Julia Csergo Roger-Henri Guerrand Le Confident des dames - Le bidet du XVIIIe au XXe siècle - Histoire d'une intimité La Découverte - Poche 2009 / 11 € - 72.05 ffr. / 214 pages ISBN : 978-2-7071-5746-1 FORMAT : 12,5cm x 19cm Imprimer
Actuellement, il ny a sans doute plus guère que dans quelque sordide lieu de débauche belge ou dans les habitations cossues dItalie que lon peut encore apprécier la vue de cet objet séculaire, invite à laccroupissement incongru, trône de lhygiène intime, dépositaire des secrets les mieux gardés : le bidet. Louvrage que lui consacrent Julia Csergo et Roger-Henri Guerrand, tous deux à leur façon historiens des pratiques quotidiennes, est un chef-duvre dérudition, même si le fondement en repose sur un support éminemment trivial.
Bien que létymologie du mot désignant cette pièce maîtresse du mobilier sanitaire demeure obscure, on en détecte les premières occurrences dictionnairiques dans la seconde moitié du XVIIIe siècle ; mais les philosophes en vogue à lépoque, si éclairés fussent-ils, répugnèrent à le mentionner dans leur Encyclopédie. Une identique pudeur semparera de certains libertins qui, tel Crébillon fils dans son Sopha, préféreront user de périphrases ou carrément dastérisques pour le suggérer. Cela nempêchera pas le bidet de simposer dans limagier fantasmatique de la littérature pornographique, pour en venir à qualifier, en argot et par le biais dune savoureuse métaphore équestre, le «membre viril». Les frères Goncourt le hissèrent à la dimension de linjure, quand ils se plaisaient à identifier les critiques à des «écrémeurs de bidet de filles osant parler en juges dun livre». Dans une optique plus positiviste, le bidet attirera progressivement lattention des Académies de Médecine qui y reconnaîtront, au XIXe siècle, un outil indispensable à la salubrité des parties génitales.
Remontant aux clystères, inscrivant le siège bas dans la tradition des ablutions, lui ménageant une place dhonneur parmi la kyrielle des chaises percées, lavabos et cuvettes en tous genres, Csergo et Guerrand confèrent au bidet ses lettres de noblesse. De lartisanat des ébénistes au design de Phillip Starck, en passant bien sûr par une étude serrée de la production industrielle, ils retracent lépopée de cet acteur discret et néanmoins crucial du confort et de la santé de la croupe et de sa périphérie. Leur maîtrise conjuguée des documentations de tous ordres (littéraire, scientifique, iconographique, etc.) est à souligner. Lallusion, page 146, aux érotomanes relevant de la catégorie des «renifleurs» en atteste à elle seule.
À parier que si Duchamp avait disposé dune somme si joliment troussée, il aurait hésité avant de choisir une pissotière pour révolutionner lart contemporain !
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 23/06/2009 ) Imprimer | | |