|
Histoire & Sciences sociales -> Histoire Générale |
| |
L’animal, miroir de l’homme | | | Annie Duprat Collectif Figures animales - Sociétés et représentations - n°27 Nouveau monde 2009 / 22 € - 144.1 ffr. / 279 pages ISBN : 978-2847364521
L'auteur du compte rendu : Claire Aslangul est maître de conférences en civilisation de l'Allemagne contemporaine à l'université Paris Sorbonne (Paris IV). Ses travaux portent sur l'histoire des mouvements artistiques, de la culture populaire et de l'image aux XIXe et XXe siècles. Imprimer
Nos amies les bêtes sont depuis quelques années lobjet dun intérêt croissant de la part des universitaires, sociologues, anthropologues et historiens surtout. Les ouvrages de Bacot, Baratay et Barbet (LAnimal en politique, 2003) et de Guichet (Usages politiques de lanimalité, 2008), lorganisation en 2007 par lHistorial de Péronne dune exposition sur La Guerre des animaux confirment cette tendance ; le succès de la parution récente, dans une collection grand public, de louvrage de Michel Pastoureau, Le Cochon. Histoire d'un cousin mal-aimé (Découvertes Gallimard, juin 2009), souligne quant à lui lattrait de nos contemporains pour le sujet. Dans la même veine, après des numéros sur des thèmes aussi variés que le corps, la prison, la caricature, ou encore les «figures de gendarmes», la revue transdisciplinaire du CREDHESS (Université Paris I) présente cette fois un recueil darticles sur les diverses mises en scène des figures animales dans limage et le récit.
Comme souvent, larticulation entre iconographie et politique occupe dans ce numéro de Sociétés et représentations une place de choix, notamment à travers la passionnante analyse de Guillaume Doizy sur la polysémie du porc dans le dessin de presse. Dans les articles dédiés au bestiaire des écrivains, la dimension politico-sociale est également très présente le Chien jaune de Simenon est ainsi interprété par Lidia Morales Benito comme «métaphore de la crise des années trente». Les uvres picturales ne sont pas oubliées, avec en particulier les intéressantes considérations de Jeanne-Marie Portevin sur la mise en uvre par Hans Grundig de figures animales dans ses tableaux et gravures critiques à lépoque nazie. La démarche plus «littéraire» de Stéphanie Miech (qui se penche sur le bestiaire des romans féminins à lépoque des Lumières), celle relevant davantage de la sémiologie dans larticle de Daniel Larangé (sur luvre dAlfred Kubin), viennent compléter lensemble, et démontrent si besoin en était à la fois la multiplicité des usages de lanimal dans les productions culturelles, et la diversité des approches possibles pour le chercheur daujourdhui. Lentretien avec Maurice Agulhon sur la signification, pour lhistoriographie, des nouvelles études sur le sujet, ajoute un regard critique et englobant tout à fait bienvenu, qui met très nettement en lumière le lien entre lhistoire des animaux et lhistoire des hommes : ainsi, par exemple, lhistorien souligne que «la violence contre les bêtes renvoie exactement à la violence contre les hommes ; civiliser les hommes, civiliser le peuple passe aussi par un autre comportement vis-à-vis des bêtes» (p.244).
Passer par le détour de lanimal sa présence dans le quotidien des sociétés, ses symboliques multiples pour comprendre lâme des hommes : on peut voir ici lun des fils rouges de ce numéro thématique, qui apparaît par exemple directement dans larticle dAgnès Sandras-Fraysse lorsque sont évoqués les tabous de la cynophagie, de lhippophagie et de lanthropophagie, ou dans les contributions qui soulignent le potentiel critique des images qui soit anthropomorphisent lanimal, soit animalisent lhumain. La question de la violence et de la souffrance, déjà au cur des travaux de Maurice Agulhon sur Le Sang des bêtes au début des années 1980, constitue elle aussi un thème récurrent : Barbara Denis-Morel sinterroge ainsi sur la pratique du supplice des animaux dans lart contemporain et les limites dune création qui fait du corps de la bête un simple «matériau» ; plusieurs auteurs questionnent quant à eux limpact sur le spectateur des images-choc de dévoration ou déventrement, tout en soulignant que dans la caricature politique, cette iconographie relève paradoxalement dune figuration euphémisée de la violence contre lAutre : car lorsque ladversaire zoomorphisé est sacrifié, «le dessinateur ne fait pas mourir lindividu mais sa version métaphorique» (Doizy, p.35).
Un autre point commun stimulant des différents articles réside dans le souci quont les auteurs de replacer leurs études de cas dans une perspective plus large ; ainsi, pour chaque support envisagé, est présentée de manière plus ou moins détaillée une histoire des mises en scènes du thème «lanimal, miroir de lhomme». Apparaissent alors au fil de la lecture des constantes quasi-anthropologiques du phénomène, mais aussi des références culturelles nationales spécifiques (par exemple pour lartiste Hans Grundig, qui puise à la fois dans la symbolique chrétienne, dans le fonds iconographique de ses contemporains de la République de Weimar et dans les images de carnaval de lAllemagne médiévale).
Si, comme lannonçait Annie Duprat dès lintroduction, on ne saurait faire en quelques articles le tour du sujet (complexe et riche sil en est), ce numéro de Sociétés et représentations nen apporte pas moins une bonne synthèse des tendances historiographiques actuelles et une contribution stimulante à la définition de nouvelles problématiques. Certes, «une hirondelle ne fait pas le printemps», mais on peut au moins attendre quà la suite de cette publication, lintérêt des chercheurs de toutes disciplines pour les animaux et ce quils nous disent de nous-mêmes soit conforté et encouragé
Claire Aslangul ( Mis en ligne le 21/07/2009 ) Imprimer | | |
|
|
|
|