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Histoire & Sciences sociales -> Histoire Générale |
| Georges Minois L'Age d'or - Histoire de la poursuite du bonheur Fayard 2009 / 26 € - 170.3 ffr. / 548 pages ISBN : 978-2-213-63843-0 FORMAT : 15cm x 23,5cm
Lauteur du compte rendu : agrégée dhistoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié LHistoire en France du Moyen Âge à nos jours. Introduction à lhistoriographie (Flammarion, 2002). Imprimer
Georges Minois est un auteur prolifique (LÂge dor est son 33ème livre) et qui aime prendre à bras le corps de très vastes sujets (Histoire de lenfer, Histoire du suicide, Histoire de lavenir, Histoire de lathéisme, etc.) pour les suivre sur un longue période. Ici, il choisit lhistoire du bonheur ou plutôt de sa poursuite, de Sumer à nos jours. Il entraîne donc son lecteur consentant à travers 494 pages d'un texte (en annexes : les notes et un index) qui parcourt période après période la façon dont les hommes en Occident se sont représentés le bonheur et la façon de latteindre.
En tant que tel le «Bonheur» nexiste pas, il est toujours construction culturelle, et ce sont les étapes de cette construction que reprend Georges Minois à travers textes et auteurs depuis la plus haute Antiquité. Histoire de la poursuite du bonheur et non du bonheur, donc. De lÂge dor dHésiode («Dieux et hommes mortels sont nés de naissance commune. /Dor fut la race première des hommes de vie périssable (
)/ Loin à lécart des malheurs et des peines ; jamais la vieillesse/ Âpre napprochait ; les pieds et les bras toujours jeunes,/ Ils vivaient de festin, à labri de toute misère ;/ Ils mouraient comme ils sendormaient.» - p.15), à notre société qui confond bonheur et consommation : à chaque époque ses représentations, ses utopies, le bonheur habite une contrée lointaine, inaccessible perdue dans le temps et dans lespace, lieu de lÂge dor, de la paix absolue, Paradis Terrestre à jamais perdu et toujours espéré. Paradis terrestre où cependant Adam et Eve ne sont pas heureux, car ils nont pas conscience de leur bonheur...
Mais lÂge dor, comme le Paradis Terrestre, se clôt sur la faute féminine : Pandore ou Eve
par la femme, lhumanité est exclue de ces terres de bonheur. Le bonheur se teinte définitivement de nostalgie. Cest au Ve siècle avant notre ère, constate Georges Minois, que «le bonheur devient une question philosophique» (p.51) ; Platon, Aristote, les épicuriens, les stoïciens ont chacun leur définition, questionnement qui se transmet aux philosophes romains. Le Moyen Âge occidental représente une rupture avec la diffusion du christianisme, et Georges Minois nhésite pas à intituler le chapitre quil lui consacre «Mille ans dinterdiction du bonheur», un titre volontairement provocant et à lévidence discutable comme toute provocation. Les travaux de Jean Delumeau sur le Paradis sont abondamment utilisés.
Surnagent des espaces de bonheur dans des temps et des lieux fortement encadrés : les rêves de bergerie (qui auront une longue postérité de lAstrée aux communautés du Larzac), ou encore les fêtes carnavalesques où le bonheur sinscrit dans une représentation de mondes inversés. Cest avec la Renaissance et le retour à lAntiquité que revient en force le mythe de lÂge dor, cette fois sous une forme profane. Cranach, le peintre de la chute du Paradis Terrestre, est aussi lauteur de la Fontaine de Jouvence (1546), où sébattent merveilleusement rajeunies des vieilles femmes naguère décrépies ; lÂge dor est un thème traité alors par de nombreux peintres. LArcadie, le pays de Cocagne offrent généreusement leurs richesses à tous ; la pénurie, la crainte de manquer, apparaissent en creux dans ces rêves de surabondance et de fertilité heureuse.
Mais le bonheur existe-t-il ? Le Jardin des délices que peint Jérôme Bosch vers 1510 permet den douter : est-ce le bonheur ou la folie que représente le peintre ? Les utopies qui se développent en tant que genre au XVIe siècle veulent un bonheur «obligatoire», inscrit dans la contrainte communautaire. Mais louverture des horizons avec la découverte des lointaines Amériques inscrit aussi le bonheur dans dautres terres où vivent les «bons sauvages». Dans ces sociétés dAncien régime, limprégnation chrétienne demeure forte cependant. Une nouvelle composante apparaît avec Locke : lidéal de liberté. Le XVIIIe siècle rêvera de bonheur avec insouciance, du moins chez les élites ; il sachève avec les Révolutionnaires qui veulent croire au bonheur : «Le bonheur est une idée neuve en Europe», proclame Saint Just, le 13 ventôse an II, qui affirme encore avec fierté : «Nous offrîmes au peuple le bonheur de la tranquillité et de la liberté».
A ce bonheur programmé, les romantiques préfèrent la mélancolie. Dans une société occidentale soumise aux mutations profondes et rapides des révolutions politiques, scientifiques et industrielles, le bonheur sembourgeoise, se discipline, il est lié au progrès, et les sages pères de famille qui le prônent ne se reconnaîtraient guère dans la frénésie de leurs descendants un siècle plus tard. Devenu affaire dEtat, confié à des spécialistes (psychiatres, psychologues, etc.), le bonheur est devenu une quasi-obligation, au point que ne pas être heureux devient une sorte de tare sociale ; le non-bonheur (et le malheur) rejoint la mort au magasin des tabous à la fin du XXe siècle et au début du siècle suivant. Et Georges Minois termine son propos par sa position personnelle : «Lhistoire du bonheur, cest en fait lhistoire des modèles humains quélaborent les sociétés. Ces modèles évoluent en fonction du contexte culturel. Celui-ci se caractérise aujourdhui par la perte des repères, par labsence de perspectives à long terme, par le changement permanent, par la dévalorisation de la raison et par lemprise du consumérisme ; le modèle de lhomme heureux est donc le consommateur qui vit au jour le jour, sadapte facilement, suit toutes les modes, et possède tous les gadgets indispensables en ne les prenant pas trop au sérieux. Faut-il se réjouir de constater que 87% des Européens sestiment à la hauteur de cet idéal ?» (p.494)...
Un livre engagé donc, sur un sujet intéressant, à destination dun grand public cultivé, appuyé sur de nombreuses lectures et références, mais qui donne un peu limpression dune compilation de fiches et dune cavalcade rapide à travers des sociétés malgré tout fort différentes.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 22/09/2009 ) Imprimer | | |
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