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Les médias et les femmes
Claire Blandin   Cécile Méadel    Collectif   La Cause des femmes dans les médias - Le Temps des Médias - n°12
Nouveau monde 2009 /  25 € - 163.75 ffr. / 295 pages
ISBN : 978-2-84736-455-2
FORMAT : 22,5cm x 15cm

L'auteur du compte rendu : Claire Aslangul est maître de conférences en civilisation de l'Allemagne contemporaine à l'université Paris Sorbonne (Paris IV). Ses travaux portent sur l'histoire des mouvements artistiques, de la culture populaire et de l'image aux XIXe et XXe siècles.
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Les sciences sociales se sont depuis plusieurs années déjà emparées de la question des genres. Ce numéro spécial du Temps des médias livre une contribution aux gender studies en abordant le sujet sous l’angle spécifique des rapports entre les femmes et les supports médiatiques variés que sont la presse écrite et télévisuelle, mais aussi la bande dessinée, le cinéma, les séries télé, la publicité. La construction culturelle de la différence des sexes est examinée au fil des trois derniers siècles dans un espace médiatique où les femmes deviennent à la fois public et porteuses de discours, et où les images qu’elles donnent d’elles-mêmes et/ou que l’on donne d’elles sont empreintes de contradictions.

La première partie du recueil est consacrée aux modalités de la conquête des médias par les femmes, en tant que destinataires et comme productrices. Ouzi Elyada décortique les spécificités des premières publications pamphlétaires visant explicitement un public féminin populaire pendant la Révolution, et montre comment le personnage de la poissarde, la marchande des halles avec son argot et son bon sens, a pu devenir un personnage-clé réquisitionné par différentes formations politiques pour toucher le «petit peuple». Les femmes journalistes se voient ensuite consacrer plusieurs articles de qualité : Alice Primi se penche sur la manière dont, au 19e siècle, la pratique de ce métier a constitué non seulement un acte d’émancipation professionnel et personnel, mais aussi un pas sur le chemin d’une parole qui compte dans le champ du politique : privées de droits civiques, les femmes journalistes s’invitaient dans le débat public par leurs écrits et, de la sorte, se faisaient citoyennes. À travers l’étude du quotidien La Fronde, «dirigé, administré, rédigé et composé par des femmes» au tournant des 19e et 20e siècles, Sandrine Lévêque explore pour sa part les avatars et les ambiguïtés de la féminisation du métier ; car pour justifier la pénétration dans l’espace journalistique, les revendications d’égalité de compétences côtoyaient bien souvent l’affirmation de vertus réputées spécifiquement féminines – le «bon sens», la «sensibilité»…

Le regard se porte ensuite sur l’Autriche : Paul Pasteur retrace l’évolution des journaux féminins de la social-démocratie entre 1892 et 1991 ; on constate les résistances des partis pourtant réputés progressistes à laisser la plume libre aux femmes. L’étude démontre par ailleurs que si des combats ont été payants, les retours en arrière sont toujours possibles : après 1945, la liberté de parole de l’entre-deux-guerres, conquise de haute lutte, recula largement. Comme pour les femmes de l’analyse d’Alice Primi qui, dans la presse du Second Empire, furent de nouveau cantonnées aux registres dits «féminins» après le vent de liberté de 1848, Pasteur montre que la marche de l’émancipation n’est pas linéaire. Les fluctuations apparaissent de façon similaire dans l’article que Bibia Pavard consacre au traitement des délicats sujets de l’avortement et de la contraception par le magazine Marie-Claire.

La prise en considération de multiples «formules de participation» des femmes (Brun, Lebel), avec aussi bien la presse politique que la presse à grand tirage et la presse plus spécialisée – la revue catholique de la religieuse Françoise Vandermeerch – est un des grands atouts de cet ouvrage. La radio a elle aussi sa place, à travers l’analyse que livrent Josette Brun et Estelle Lebel de l’émission canadienne Femmes d’aujourd’hui. Grâce à Laurence Bachmann et Sébastien Salerno, l’utilisation des médias par Micheline Calmy-Rey, Présidente de la Suisse, vient couronner cette première section du numéro où les femmes apparaissent comme actrices d’une «mobilisation médiatique». On a donc, comme le souligne l’introduction, un «aperçu original de l’histoire du féminisme par le récit de ses prises de parole publiques» (p.8).

L’évolution de l’image des femmes dans les médias constitue le fil rouge de la deuxième partie. La publicité télévisée, examinée par Jean-Claude Soulages, apparaît comme un prisme de la société, un «espace de réverbération» des représentations communes. Marlène Coulomb-Gully montre quant à elle la complexité du sujet à partir d’un angle original : comment les journaux télévisés ont-ils traité, ces vingt dernières années, le thème de la Journée internationale de la femme ? L’article illustre bien comment la reconnaissance de cette JIDF perpétue paradoxalement la forte normativité des modèles classiques. Sylvie Thieblemont-Dollet s’intéresse ensuite à l’audience donnée dans la presse au mouvement ''Ni putes Ni soumises'', et rejoint les thèmes de la première partie du volume en analysant l’usage que ce mouvement original a su faire de modes de participation innovants pour contribuer à la définition des agendas politiques.

Si télévision et presse écrite apparaissent comme des miroirs grossissants des évolutions sociales, on a choisi ici de prendre au sens large le terme de «médias» et d’inclure des supports qui, quoique souvent délaissés par les spécialistes de l’histoire de la communication, sont pourtant très éloquents. Car la fiction – à travers la bande dessinée (de Bécassine à Barbarella, par Marie-Christine Lipani-Vaissade), le cinéma (Delphine Chedaleux), ou encore les séries comme Buffy et les vampires (Vanessa Bertho) – est aussi le lieu d’une médiatisation, d’un propos qui à la fois reflète et façonne l’image des femmes.

La grande diversité des objets analysés et la perspective internationale permettent un regard d’ensemble sur les engagements et les représentations des femmes à travers le temps et l’espace. Au-delà des spécificités de chaque étude de cas, ce numéro du Temps des médias met en lumière les différentes attitudes, ainsi que les contradictions des acteurs et la «fragmentation de (l’)identité féminine» (Soulages, p.20) : la soumission à la norme des genres, voire la revendication de la différence «naturelle» (avec un «retournement du stigmate», la féminité, qui devient un atout), n’excluent pas toujours les aspirations à l’égalité, c’est-à-dire à la négation de la différence, de la part de femmes qui se définissent parfois avant tout comme individus. Les conclusions de Bachmann et Salerno sont à cet égard particulièrement intéressantes, car les auteurs montrent que souvent, «la revendication d’émancipation de la catégorie du féminin s’effectue (…) avec les armes du féminin» (p.96), en particulier par le jeu de la séduction. Ce qui ressort également de ces contributions, c’est que le monde des médias reste un univers masculin : au 19e siècle, analysé par Alice Primi, comme au 20e, étudié par Bibia Pavard et Marlène Coulomb-Gully, l’espace laissé à la parole des femmes est bien souvent tributaire de la bonne volonté des hommes, qui continuent fréquemment à tenir les plus hautes fonctions.

Dépassant l’ambition initiale de se situer à la croisée des chemins entre histoire de la presse et histoire de la construction des normes genrées, l’ouvrage est aussi une contribution à l’histoire des tabous et de leurs transgressions, à l’histoire des normes et des clichés – ceux-là mêmes qu’on continue à prendre comme référence quand on veut pourtant les briser, ainsi que le démontre bien l’article sur Buffy : prenez l’héroïne traditionnelle, renversez point par point tous les codes, et vous aurez un personnage féminin «moderne» idéal ! L’apparente révolution de l’image de la femme et des rapports entre les sexes cache souvent bien mal la «reconduction des normes dominantes» en filigrane (Soulages, p.123)…

En dehors du caractère parfois un peu trop descriptif de certaines présentations (celle sur la radio québécoise par exemple), le seul véritable regret que l’on pourra exprimer est le suivant : douze chercheuses, et seulement quatre chercheurs livrent ici les fruits de leurs travaux. Simple hasard, parti pris du comité de rédaction, ou (plus probablement) reflet d’un état de fait qui frappe toujours lorsqu’on examine l’historiographie sur la question des genres, à savoir la «domination féminine» – comme si «la cause des femmes» n’intéressait (presque) que les femmes… La qualité des contributions d’Ouzi Elyada ou de Jean-Claude Soulages atteste pourtant (si besoin en était) qu’en matière de gender studies, la recherche universitaire n’avance jamais mieux que lorsque la guerre des sexes n’a pas lieu.


Claire Aslangul
( Mis en ligne le 06/04/2010 )
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