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''Tous ces noms dont pas un ne mourra'' | | | Hélène Carrère d'Encausse Des siècles d'immortalité - L'Académie française 1635-... Fayard 2011 / 20 € - 131 ffr. / 401 pages ISBN : 978-2-213-66633-4 FORMAT : 13,5cm x 21,5cm
L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est responsable des collections de monnaies et médailles du musée Carnavalet après avoir été adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié, entre autres titres, Les Demeures du Soleil, Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003), Vauban : l'intelligence du territoire (2006, en collaboration), Les Ministres de la Guerre, 1570-1792 : histoire et dictionnaire biographique (2007, dir.). Imprimer
Faire écrire lhistoire de lAcadémie française par le secrétaire perpétuel de cette compagnie est une entreprise périlleuse : «lAcadémie racontée par les académiciens», cest un peu comme «la Guerre racontée par nos généraux», monument dautosatisfaction militaire qui suivit le conflit mondial. Hélène Carrère dEncausse, bien embarrassée de son exercice dhistoire officielle, tâche déquilibrer la défense de lAcadémie avec le récit de ses turpitudes anciennes ou récentes. On assiste ainsi à la comédie initiale de 1635 (le cardinal de Richelieu prenant sous sa protection des lettrés au départ quelque peu rétifs), à la rapide transformation de la nouvelle compagnie en grand corps de lÉtat, dont les places sont demblée fort convoitées, puis à lenrôlement des académiciens dans lentreprise de glorification du roi-soleil. Dès le premier siècle de son existence, lAcadémie fait siéger côte à côte les gens de lettres plus ou moins prestigieux et les notabilités laïques et ecclésiastiques dépourvues de titres littéraires. Bossuet, Perrault et La Bruyère ont pour collègues Colbert et labbé Cotin, le duc de Coislin et Mgr de Clermont-Tonnerre.
Dans un second temps, lauteur nous entraîne dans les intrigues académiques du XVIIIe siècle. Place forte de lorthodoxie louis-quatorzienne, lAcadémie souvre peu à peu aux tenants des Lumières, Montesquieu, Voltaire et Buffon ; ils voisinent avec le cardinal Dubois, le maréchal de Richelieu et le comte de Clermont, prince du sang. La cohabitation des gens de lettres et des gens du monde nest pas une anomalie ; elle est au cur même du projet académique : en rapprochant, dans une égalité momentanée, les ducs et les poètes, il signifie que les premiers reconnaissent les talents de plume comme un des éléments du mérite, tandis que les seconds font allégeance aux normes mondaines et sélèvent dans la hiérarchie sociale. On peut regretter ici que Mme Carrère dEncausse nait pas fait usage des analyses dun Nicolas Schapira ou dun Antoine Lilti.
La Révolution jacobine supprime les académies, «royaume des lettrés, titrés, mitrés», suivant la formule de Chamfort, mais la Révolution thermidorienne sempresse de rétablir un Institut national, «idée grande et majestueuse dont lexécution doit effacer en splendeur toutes les académies des rois». En 1801, Bonaparte dote les membres de lInstitut de l«habit vert» encore en usage et, en 1803, une réorganisation de lInstitut crée une «classe de langue et littérature françaises» qui est une résurrection de lAcadémie française sans le titre. Cest à Louis XVIII quil appartient, en 1816, dopérer la synthèse de lancien et du nouveau régime académique : «LInstitut sera composé de quatre académies». Dans le même temps, les académiciens les plus compromis à lépoque révolutionnaire sont exclus et remplacés par de nouveaux membres, nommés et non élus.
Dans la nouvelle France comme dans lancienne, lAcadémie est une citadelle des idées établies et des positions acquises, que les tenants des nouvelles doctrines tentent de prendre dassaut. Les romantiques sy fraient un chemin avec difficulté : Lamartine, Hugo, Mérimée, Musset. En revanche, la compagnie continue à accueillir les prélats, les aristocrates et surtout les notabilités politiques, Thiers, Guizot, Villemain, Molé, Pasquier, Rémusat, Émile Ollivier. En quoi lon voit que lindépendance revendiquée par lAcadémie française à légard du pouvoir, et que Mme Carrère dEncausse sefforce de mettre en avant, reste une notion toute relative.
Après que la République s'est définitivement imposée en France, lAcadémie fait toujours figure de place forte de la conservation. Elle est antidreyfusarde au moment de laffaire Dreyfus, souvre largement aux généraux et maréchaux vainqueurs de la Première Guerre mondiale, accueille Charles Maurras en 1938. Sous le régime de Vichy, elle est de cur pour le maréchal Pétain, qui est un des siens, mais sabstient de procéder à des élections pendant la durée de la guerre et deffectuer des démarches collectives dadhésion au régime prudence qui la sauvera à la Libération, alors que plusieurs de ses membres, qui ont appartenu au gouvernement déchu, sont arrêtés, exilés ou se tiennent dans la retraite. Ici encore, lactuelle secrétaire perpétuel de lAcadémie française fait ce quelle peut pour atténuer le maréchalisme prédominant de linstitution. Il lui faut pourtant avouer que la compagnie se refusera à pourvoir les fauteuils de Pétain et de Maurras, exclus à la Libération, jusquà la mort des intéressés, et que lactivisme dun Mauriac, après la guerre, ne suffira pas à empêcher lAcadémie dadmettre en son sein bien des nostalgiques du Maréchal.
En se rapprochant du temps présent, Hélène Carrère dEncausse est contrainte à redoubler de prudence et à distribuer les bons points. Le malheureux duc de Lévis-Mirepoix devient ainsi «lauteur dune importante uvre historique»
ce qui fera sourire les médiévistes ! Ce quelle montre parfaitement, en revanche, cest la révolution qua été ladmission des femmes à lAcadémie, et surtout de la première femme académicien : Marguerite Yourcenar. On ne dira jamais assez combien cette élection est apparue, pour toute une génération, comme la consécration de légalité des sexes. Le secrétaire perpétuel achève sa défense et illustration de lAcadémie française en montrant que la «vieille dame du Quai Conti» a su sadapter à Internet et à Facebook et fait, pour finir, léloge de son indépendance et des services quelle rend à la langue française.
La limite de la démonstration tient à la substance même du propos : lhistoire de lAcadémie ne peut se réduire ni se résumer à celle de ses membres les plus notoires, un Furetière, un Marmontel, un Hugo, un Valéry, un Mauriac. Au détour de telle ou telle page de ce livre, on saperçoit que les muets, les obscurs, les médiocres y comptent tout autant que les grands écrivains, les grands orateurs ou les personnalités politiques. On connaît les vers dEdmond Rostand dans Cyrano de Bergerac :
«Mais
jen vois plus dun membre ;
Voici Boudu, Boissat, et Cureau de la Chambre ;
Porchères, Colomby, Bourzeys, Bourdon, Arbaud
Tous ces noms dont pas un ne mourra, que cest beau !»
Pour faire lhistoire dun groupe social ou dun corps de lÉtat, il faut passer de la biographie à la prosopographie, de lindividuel au collectif. Cest un chantier auquel Mme Carrère dEncausse na pu satteler et qui mériterait que lAcadémie y emploie quelques chercheurs. Au-delà de la sociologie, au-delà dune réalité souvent prosaïque et de plus en plus surannée activités dune utilité relative et intrigues littéraro-mondaines dun intérêt secondaire , il existe un mythe de lAcadémie française, qui lui est bien vivant. De même que le grand public voit dans la Comédie française un conservatoire de la grande tradition du théâtre classique ce quelle nest plus depuis longtemps , de même il rêve dune Académie française idéale, qui serait le sanctuaire des «grands écrivains». Il y a, dans limaginaire français, un profond besoin de voir le génie littéraire signalé par des honneurs et des titres, par des marques concrètes de la reconnaissance de lÉtat. Lauteur qui se contente décrire au fond de sa chambre et de sa province, qui vit retiré, qui néglige les gros tirages et les décorations tel un Julien Gracq à Florent-le-Vieil est suspect de misanthropie, presque dincivisme, et suscite moins de sympathie que de défiance.
Cest bien pourquoi lAcadémie française, en dépit ses tares et ses ridicules, peut en effet être tenue pour immortelle, à linstar de cet État éternel dont elle est partie, et dans lequel la France na de cesse de se mirer et de se confondre.
Thierry Sarmant ( Mis en ligne le 13/12/2011 ) Imprimer | | |