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Qui trop embrasse mal étreint… | | | Jean-Paul Roux La Femme dans l'histoire et les mythes Fayard 2004 / 24 € - 157.2 ffr. / 442 pages ISBN : 2-213-61913-1 FORMAT : 15x23 cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne (mémoire sur Les représentations du féminin dans les poèmes dHésiode) et dun DEA de Sciences des Religions à lEcole Pratique des Hautes Etudes (mémoire sur Les Nymphes dans la Périégèse de la Grèce de Pausanias). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia, il est actuellement professeur dhistoire-géographie. Imprimer
Lintérêt pour lhistoire des femmes saffirme de plus en plus en France, bien que la mode des «gender studies» soit venue des pays anglo-saxons. Le dernier livre de Jean-Paul Roux, directeur de recherche honoraire au CNRS et ancien professeur titulaire de la section d'art islamique à l'Ecole du Louvre, semble sinscrire dans ce mouvement. Lauteur est avant tout un spécialiste des peuples turcs et mongols, mais il sintéresse aussi à l'histoire comparée des religions et des mythes. Cest surtout de ce dernier domaine que relève son ouvrage sur «la femme» (et non, significativement, sur «les femmes»).
La première partie, «la femme dans lhistoire», évoque en huit chapitres la préhistoire et les théories du matriarcat primitif (rapidement réfutées), les civilisations de la Mésopotamie, de lIran ancien, de lEgypte, des Celtes et des Germains, de lInde et de la Chine, sans oublier lempire mongol (mais le Japon est curieusement passé sous silence), puis celle de la Grèce et de Rome. Un chapitre est consacré à la femme de la Bible et celle du Coran, et les suivants à la femme dans le christianisme (lauteur sen tient à lOccident et sarrête aux temps modernes, «trop foisonnants pour quon sy aventure» - p.211). Le titre de cette première partie paraît quelque peu trompeur, car si les femmes réelles (et leur vécu social) ou les femmes célèbres (sans éviter parfois leffet catalogue) sont évoquées, Jean-Paul Roux consacre une part importante de ses analyses aux figures mythiques, aux déesses, et plus largement aux représentations.
Ces dernières font plus particulièrement lobjet de la seconde partie, «la femme dans les mythes», dont le plan nest plus chronologique mais thématique. Lauteur sintéresse tout dabord à la figure de la mère, et semble confondre féminité et maternité. La virginité apparaît sous sa plume comme une étape transitoire vers la maternité. Le chapitre sur «lincomplète différenciation» sintéresse aux thèmes de landrogyne et de lhermaphrodite, mais pour mieux insister sur la nécessaire séparation des sexes que lon retrouve dans toutes les cultures. Celui sur «lunion sexuelle» en reste à lidée que «lattirance sexuelle (
) porte le mâle vers la femelle et la femelle vers le mâle», tandis que lhomosexualité est rapidement rattachée au «chaos, lanarchie, la révolte contre les lois de la nature et de la cité» (p.297). Lauteur souligne cependant, paradoxalement, «la peur de lautre» (p.300), notamment celle, de la part des hommes, du sang menstruel ou de celui de la défloration (il insiste aussi sur langoisse de la femme poursuivie). Jean-Paul Roux tord heureusement le cou à certaines idées naïves : «Cest pure élucubration dethnologues, aujourdhui dépassée, mais qui fait encore des dupes, de croire que le «primitif» ne fait pas de rapport entre le coït et la grossesse» (p.223). Mais lanalyse est trop souvent gâchée par un essentialisme qui va de pair avec une approche phénoménologique trop globale, qui nexplique pas grand-chose, et qui atteint son sommet dans le dernier chapitre sur «Léternel féminin». Ce parti pris se retrouve dans les notes de bas de page et la bibliographie. Mircea Eliade est sans cesse convoqué, de même que la psychologie jungienne (Esther Harding par exemple). Lauteur ignore-t-il les recherches les plus récentes (notamment LHistoire des femmes en Occident, dirigée par Georges Duby et Michelle Perrot, parue en 1991 chez Plon et en 2002 en poche chez Perrin), sans parler du célèbre Deuxième sexe de Simone de Beauvoir (qui date pourtant de 1949)? Nulle trace, non plus, dans les développements sur la Grèce, des travaux importants de Nicole Loraux, Pauline Schmitt-Pantel, Pierre Brûlé ou Claude Mossé
En fait Jean-Paul Roux a davantage utilisé des ouvrages généraux sur les mythes et les religions que des études sur les femmes.
Le lecteur attentif décèlera ici ou là quelques coquilles. «Il ny a aucun grand sculpteur femme» (p.34) ; et Camille Claudel ? Jeanne dAlbret, quant à elle, devient sous la plume de lauteur une maîtresse royale, à linstar dAgnès Sorel ou de Mme de Montespan (p.37), cette dernière étant confondue par la suite avec Mme de Maintenon (p.192). Latinus, lui, est transformé en « roi étrusque» (p.43). La déesse latine des fruits Pomone est rebaptisée Panona (p.51). Thétis remplace Téthys (p.53 et 244). Le crime des Lemniennes est présenté comme un événement historique et non un mythe (p.113). Le roi de Thèbes Laïos déménage à Sparte (p.297). Sophocle dérobe à Euripide la paternité des Troyennes (p.372). Certaines relèvent cependant plus de la faute de frappe que de lerreur (Diotine pour Diotime - p.341 ; Mat pour Mot - p.345
).
Ces coquilles ne sont pourtant pas les plus dérangeantes. Le malaise gagne dès lintroduction. Lauteur concède que, «de toutes les révolutions socioculturelles des derniers siècles, celle que constitue lémancipation de la femme est la plus riche et la plus lourde de conséquences» (il fait aussi preuve de clairvoyance quand il lie ce phénomène aux progrès technologiques, notamment le développement des appareils électroménagers, ainsi quà la maîtrise par les femmes de leur fécondité). Mais cest pour ajouter aussitôt : «comme toute révolution aussi, elle accumule les ruines : elle change les rapports entre les sexes, dautant plus quon considère lémancipation comme réalisée malgré lhomme, contre lhomme ; elle désintègre la famille, accroît lhomosexualité, le célibat, la femme nayant plus besoin de lhomme, lhomme ne trouvant plus ce quil cherche en la femme ; elle augmente la délinquance juvénile, lenfant manquant de présence maternelle, déducation maternelle, voire damour maternel. La femme elle-même, qui est censée en être bénéficiaire, nen sort pas indemne. Elle renonce à être lâme du monde, à sa puissance mystique, à sa mission salvatrice, (
) à son sacré» (p.17-18). La nostalgie de lancien ordre des choses, qui apparaît ici, na pas grand-chose à voir avec lobjectivité de lhistorien. Quant à sa défense de la clitoridectomie dans le douzième chapitre, elle fait vraiment froid dans le dos : «Il est ridicule dentendre dire que les peuples qui conservent lexcision entendent diminuer le plaisir sexuel de la femme, et scandaleux que la justice des pays dimmigration traîne devant les tribunaux ceux qui entendent rester fidèles à des représentations certes fantasmatiques, mais logiques, et se mêlent de leurs traditions» (p.292). Cela dénote, au mieux, une singulière méconnaissance de lanatomie féminine, dautant plus que lauteur met cette mutilation sur le même plan que la circoncision, en ce qui concerne la douleur.
La conclusion, intitulée «Amen», aux gênants accents téléologiques, se termine par une prière à la Vierge Marie, conçue comme laboutissement le plus parfait du culte de la féminité. Mais pouvait-on attendre moins du biographe de Jésus (Fayard, 1989) ?
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 05/09/2004 ) Imprimer
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