| Pierre Milza Histoire de l'Italie - Des origines à nos jours Fayard 2005 / 30 € - 196.5 ffr. / 1098 pages ISBN : 2-213-62391-0 FORMAT : 16,5cm x 24,5cm
L'auteur du compte rendu : Raphaël Muller, ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, est allocataire-moniteur en histoire contemporaine à l'université de Paris I. Imprimer
Pour les éditions Fayard, Pierre Milza, pape des études italiennes en France depuis plus de 30 ans, sest prêté au jeu de la synthèse et livre une volumineuse Histoire de lItalie des origines à nos jours. Louvrage, de facture très classique, est organisé en vingt-quatre chapitres, correspondant le plus souvent à de grandes plages chronologiques. Lorganisation des chapitres est elle-même fort classique : politique, économique, social et culturel, la tétralogie thématique est omniprésente. Synthèse à la fois traditionnelle et commode, louvrage de Pierre Milza lest sans nul doute. Mais il nest pas que cela : en effet, par delà le conformisme de la forme, lauteur propose une lecture personnelle et engagée de lhistoire de lItalie, qui ne peut que prêter à discussion.
Examinant la production historiographique consacrée à cette histoire nationale, Pierre Milza note dans son avant-propos quil nexiste, en langue française, que peu de synthèses portant sur la très longue durée. Les ouvrages existants, et notamment lHistoire des Italiens de Guiliano Procacci, traduit de litalien par Fayard en 1970 et réédité en 1998, portent sur des périodes plus brèves, excluant le plus souvent l'antiquité romaine. Pierre Milza récuse cette périodisation. Ce choix osé aurait sans doute mérité dêtre expliqué et justifié avec plus de précision.
Le problème est en fait double. Dune part, il va de soi que lhistoire de la Rome antique excède le cadre géographique de la péninsule : lauteur sefforce certes de ne jamais quitter son objet des yeux, présentant par exemple le Bas-Empire comme «la fin de la prépondérance italienne» (p.125), mais il ne sinterdit pas dévoquer lexpansion romaine et la conquête progressive du bassin méditerranéen. Dautre part et surtout, évoquer lAntiquité - hellénique, étrusque ou romaine - dans une synthèse sur lhistoire de lItalie, cest faire de celle-ci lhéritière de celle-là, ce qui ne va pas sans poser problème. Pierre Milza se justifie en affirmant que «le millénaire romain est trop intimement lié à lhistoire des peuples qui ont vécu à partir du Ve siècle de notre ère dans lespace péninsulaire, et qui, par une lente sédimentation, ont fait de lItalie ce quelle est, pour ne pas lui consacrer la place quelle mérite» (p.IV).
Par delà le débat sur la périodisation, cest en fait la définition même de lobjet qui pose problème. Quest-ce que lItalie avant la création de lEtat unitaire en 1860 ? Car avant cette date, lItalie nexistait pas politiquement : elle nest «quune expression géographique» selon le mot célèbre attribué à Metternich. Dans ces conditions, le problème posé par lAntiquité se vaut également pour les communes du Moyen-Âge ou pour les principautés de lépoque moderne. En définitive, sur le temps long, si une histoire de la péninsule italienne peut être envisagée, il semble bien difficile décrire une histoire de lItalie.
Cette idée, Pierre Milza la rejette au nom de lunité et de la continuité de la nation italienne, conçue dans une perspective essentialiste définie dès lintroduction. En effet, lauteur y affirme avoir «un compte à régler [
] avec ceux qui, hier encore, sinventaient une identité «padane», en oubliant que pas très loin des lieux où ils agitaient leurs bannières, des centaines de milliers de jeunes Italiens avaient péri. Sont-ils morts victimes dune illusion ? Parce quon leur a fait croire que lItalie existait, que le peuple italien existait en tant que tel, comme créateur dhistoire et pas seulement comme chair à canon». Dès lépoque de Machiavel, à défaut dune conscience identitaire, il y aurait eu «une identité comportementale forgée par des siècles dhistoire, par la même nature, par le même rapport à la religion, par les mêmes réflexes de défense, de rejet ou dassimilation vis-à-vis du conquérant étranger, et par le regard porté quotidiennement sur les vestiges ou sur les créations bien vivantes de limmense patrimoine culturel italien» (p.1023).
La thèse de Pierre Milza apparaît ici clairement : malgré les divisions géographiques et politiques, il y a donc bien une continuité identitaire italienne, qui légitime la périodisation adoptée et que lauteur sefforce daffirmer et de défendre contre toutes les tentations centrifuges
Raphaël Muller ( Mis en ligne le 13/02/2006 ) Imprimer
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