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Regard sur une pratique millénaire | | | Malek Chebel Histoire de la circoncision Perrin 2006 / 20.50 € - 134.28 ffr. / 246 pages ISBN : 2-262-02425-1 FORMAT : 14,0cm x 22,5cm
Lauteur du compte rendu : agrégée dhistoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié LHistoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à lhistoriographie (Flammarion, 2002). Imprimer
Anthropologue, spécialiste de lIslam, Malek Chebel sinterroge dans cette réédition sur la circoncision. Dans un ouvrage clair, complété de textes, dun glossaire et dune abondante bibliographie, il donne les grandes lignes dune pratique dont on ignore lorigine, mais quHérodote déjà signalait : «Des Egyptiens et des Ethiopiens, je ne saurai dire quel est le peuple qui a pris cette coutume à lautre, car elle est, de toute évidence, des plus anciennes.(Hérodote, lEnquête, II,104)» (cit.p.7). Pour les juifs, la pratique rituelle remonte à Abraham qui, à quatre vingt dix neuf ans, se serait circoncis, et aurait fait circoncire son fils Ismaël âgé de treize ans, puis à son huitième jour Isaac ; la circoncision serait alors le symbole de lalliance avec Dieu. Juifs et musulmans aujourdhui pratiquent la circoncision pour des raisons religieuses, à des âges différents (nourrisson pour les juifs, adolescent ou même adulte pour les musulmans). Mutilation rituelle pour les uns, et, à ce titre, comparable à lexcision et à linfibulation, ou encore à dautres scarifications ou atrophies des pieds, la circoncision relève pour les autres du rite religieux, de linitiation, de la valorisation de la virilité, ou encore de lhygiène.
Sans chercher à porter un jugement de valeur, Malek Chebel présente la circoncision en trois parties : Anatomie de la circoncision, Géographie de la circoncision, lUnivers de la circoncision, cette dernière partie sattachant à relever tous les aspects symboliques, après les deux parties précédentes qui relevaient de la description. Lanatomie de la circoncision montre la variété des pratiques pour un acte identique ; lopération chirurgicale en elle-même peut évoluer selon les époques (type dinstrument, mesures aseptiques, risques plus ou moins grand encourus par le circoncis
) et les lieux, même si la fin est identique : l'ablation du prépuce. Aujourdhui, en Occident, elle se fait de plus en plus souvent dans le cadre dune clinique ou dun hôpital et moins dans le cercle familial. Des médecins remplacent les circonciseurs traditionnels. Elle est cependant toujours accompagnée de fêtes qui disent son importance et lentrée du garçon dans la famille ou dans le monde des adultes (pour les circoncisions adolescentes, ce qui est le cas des usages africains). Le circoncis, quel que soit le milieu culturel auquel il appartient, en ressent toujours une fierté et un sentiment dappartenance communautaire.
La seconde partie montre que la pratique de la circoncision est assez universelle, à quelques exceptions notables : les Grecs dans lAntiquité (au point que les juifs philhellènes soucieux de participer aux Jeux Olympiques masquaient leur circoncision), aujourdhui la Chine, le Japon, lEurope (là où des progrès sont enregistrés, cest dans le cadre des communautés musulmanes dimmigrants). Cette géographie culturelle pourrait expliquer limpression européenne (démentie par les faits) quil existe peu de travaux sur la circoncision. Ailleurs, soit la circoncision a toujours été pratiquée, soit elle progresse (Inde, Etats-Unis, Canada, Suisse
). Cependant, les rites varient : à tire dexemple, la circoncision juive se fait à lintérieur de la famille, au huitième jour du bébé qui reçoit alors son nom et est tenu par son père, alors que la circoncision est collective dans les villages africains pour les jeunes adolescents. La cérémonie africaine se déroule souvent sous les yeux des jeunes filles qui sassurent ainsi du courage de leurs prétendants ; plus ou moins explicitement, la circoncision est également liée aux rites de fécondité. Le sort attribué au prépuce varie aussi selon les latitudes et les époques ; dans lOccident médiéval, plusieurs lieux revendiquaient la possession dune relique insigne : le prépuce du Christ.
Autre exception notable, culturelle : le monde chrétien (à lexception des coptes) qui dès les premiers temps du christianisme, se pose la question, hésite (débats rapportés dans les Actes des Apôtres) pour finalement conclure par le refus et le remplacement par le baptême : acte dentrée dans la communauté, au cours duquel est donné le prénom. A l époque moderne, des chrétiens désireux de se convertir à lIslam devront affronter lépreuve de la circoncision (Cf. L. et B. Benassar, Les Chrétiens dAllah).
La troisième partie traite de lUnivers de la circoncision, et aborde la question des symboles et de la culture. Malek Chebel constate que les chercheurs juifs américains qui ont fourni le plus grand nombre de travaux scientifiques sur cette question mettent en valeur trois arguments pour justifier la pratique : le souci dappartenir à une communauté, le souci dhygiène, et enfin des critères esthétiques. On retrouve constamment ces arguments (éventuellement inversés) dans les affrontements entre circoncis et incirconcis. Quant au point de vue féminin, les témoignages qua sollicités et retenus Malek Chebel sont prudents mais souvent réservés à légard des avantages de la circoncision. Parmi les lectures symboliques de la circoncision, on peut établir un parallèle entre lhomme circoncis et la femme menstruée ; Malek Chebel cite linformateur dogon de Marcel Griaule : «Circoncision et excision remettent les choses en ordre» (p.136), chacun est alors fixé à sa place. Aujourdhui la circoncision suit deux très fortes tendances : la juvénilisation et la désymbolisation.
Au terme de son étude, Malek Chebel propose de classer en trois groupes les circoncisions : profane («définie par défaut
circoncision initiatique», il donne comme exemple la circoncision dans les sociétés animistes), monothéiste («double objectif : identification au Dieu créateur et conformité aux aspirations profondes de la communauté dappartenance», tel est le cas des circoncisions juives et musulmanes) et laïque («circoncision volontaire [
] pratiquée à des fins hygiéniques, médicales et autres
») Pour lui, lorigine de la circoncision est à chercher dans les cultes ithyphalliques, et à replacer «dans une vision autocentrée, ayant le mâle, la virilité surtout, comme repères absolus» (p.157).
Une lecture aisée, qui pose de façon claire les enjeux dune pratique millénaire que lon constate souvent tout en sinterrogeant moins sur elle que sur lexcision, aujourdhui.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 05/05/2006 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Les Chrétiens d'Allah de Bartolomé Bennassar , Lucile Bennassar | | |