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Histoire & Sciences sociales -> Histoire Générale |
| Mario Isnenghi L'Italie par elle-même - Lieux de mémoire italiens de 1848 à nos jours Editions de la Rue d'Ulm - Italica 2006 / 32 € - 209.6 ffr. / 518 pages ISBN : 2-7288-0352-8 FORMAT : 15,0cm x 21,0cm
Préface de Gilles Pécout.
L'auteur du compte rendu : Raphaël Muller, ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, est allocataire-moniteur en histoire contemporaine à l'université de Paris I. Imprimer
LItalie unifiée née du Risorgimento et renouvelée par la Résistance se reconnaîtrait dans des lieux de mémoires collectifs dont lhistoire reste encore à écrire : telle était la thèse soutenue dans les années 1990 par Mario Isnenghi, professeur dhistoire contemporaine à luniversité de Venise, et tel est le point de départ dune importante entreprise éditoriale.
Entre 1996 et 1997, la vénérable maison Laterza fit paraître, sous la direction de Mario Isnenghi, trois épais volumes collectifs intitulés respectivement Simboli e miti, Strutture ed eventi, Personaggi et date (Symboles et mythes, Structures et événements, Personnages et dates). Quelques 74 articles portant exclusivement sur les XIXe et XXe siècles étaient regroupés sous une même bannière - servant de titre à lensemble - I luoghi della memoria (les lieux de la mémoire). Pierre Nora, maître duvre des Lieux de mémoire, parus chez Gallimard entre 1984 et 1992, sinsurgea alors contre lexportation dun concept dont il était «linventeur». Pour lui, les lieux de mémoires étaient une réalité proprement française et leur acclimatation à létranger nallait pas de soi. Avec la publication en 2001 des Deutsche Erinnerungsorte dEtienne François et Hagen Schulze, lexpression sest un peu plus internationalisée et la polémique sest estompée alors que se dessinaient de fructueuses perspectives comparatives.
Aujourdhui, dix ans après leur publication, une traduction française dI luoghi della memoria est publiée par les Editions de la Rue dUlm sous le titre hélas un peu convenu - LItalie par elle-même. Il ne sagit pas dune traduction intégrale de louvrage mais dune sélection de seize articles. La version française modifie la structure originelle. Au fil des trois parties intitulées «Milieux», «Evénements», et «Symboles», on croise, entre autres, «La mafia», «La place», «Les noms de rues», «Les cinq Journées de Milan», «La Grande Guerre», «Le 8 septembre», «Les papes», «Garibaldi», «Mussolini», «LAmérique». Ces articles ont été rédigés par des auteurs issus dhorizons variés. Il nest donc guère étonnant que les styles et les approches diffèrent largement. Ainsi, à la démonstration volontiers théorisante et conceptuelle de Gian Pietro Brunetta chargé de larticle sur «Le cinéma», succède le récit poignant et en partie autobiographique de Nuto Revelli, vétéran de «La retraite de Russie».
Au total, certains articles se révèlent franchement convaincants voire passionnants («Les noms de rue», «Mussolini», «La mafia», «Larrivée des Alliés»
). Dautres le sont moins, en particulier lorsque les auteurs omettent de sinterroger sur les éléments qui permettent de constituer lobjet de leur étude en lieu de mémoire.
Dans un essai placé en début douvrage, immédiatement après une très dense préface historiographique due à Gilles Pécout, professeur dhistoire contemporaine à lEcole Normale Supérieure, Mario Isnenghi présente - à distance - les grandes lignes du projet mis en uvre il y a plus de dix ans. Ces pages sont décisives car il y rappelle le contexte qui présida à la conception de lentreprise et en dévoile les présupposés épistémologiques et politiques. Au milieu des années 1990, Mario Isnenghi souhaitait sériger en «défenseur de la mémoire» face à limage largement diffusée dune Italie faible, divisée et éclatée. Il sinsurge contre ceux qui postulent et précipitent le déclin de «lEtat national unitaire né du Risorgimento et renouvelé par la Résistance» (p.49). Il nhésite pas à identifier précisément ces déclinologues : il sagit des «régionalismes ultras», au premier rang desquels vient la Ligue padane, mais aussi des «nostalgies clérico-intransigeantes et anti-étatiques» (p.49) : le message est transparent et les cibles, aisément reconnaissables
Face à elles, Mario Isnenghi souhaite «confirmer toute la force heuristique de lhistoriographie dorigine antifasciste, toute son aptitude à penser lhistoire globale du pays [
] et à la raconter à ce pays lui-même» (p.53). Que lon partage ou non les thèses de son maître duvre, force est de reconnaître quI luoghi della Memoria, uvre historique mais également politique, ancrée dans la tradition antifasciste, a marqué lhistoriographie italienne des années 1990 et il faut être reconnaissant aux Editions de la Rue dUlm den permettre la lecture au public français.
La seule réserve tient à lusage parcimonieux des notes de bas de pages. Il aurait en effet été souhaitable de les multiplier pour éclairer une réalité italienne dont le lecteur français nest pas nécessairement familier. Ainsi, et pour ne citer quun seul exemple, dans larticle consacré à «La place», Mario Isnenghi fait brièvement référence aux «événements de juillet 1960» (p.122), sans que rien, pas même la chronologie placée en fin de volume, ne permette de décrypter lallusion. Quelques notes supplémentaires auraient évité au lecteur peu au fait de lhistoire italienne de ségarer au milieu de ces lieux de mémoires et de sy sentir comme dans «un temple, où de vivants piliers laissent parfois sortir de confuses paroles»
Raphaël Muller ( Mis en ligne le 02/09/2006 ) Imprimer
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