| |
Le plaisir littéraire en France | | | Michel Prigent Collectif Histoire de la France littéraire - Coffret en 3 volumes PUF - Quadrige - Dicos Poche 2006 / 63 € - 412.65 ffr. / 2768 pages ISBN : 2-13-052427-3 FORMAT : 15,0cm x 20,5cm
Volume 1 : Naissances, Renaissances. Moyen Âge XVIe siècle. Sous la direction de Franck Lestringant et Michel Zink.
Volume 2 : Classicismes, XVIIe XVIIIe siècle. Sous la direction de Jean-Charles Darmon et Michel Delon.
Volume 3 : Modernités, XIXe XXe siècle. Sous la direction de Patrick Berthier et Michel Jarrety.
L'auteur du compte rendu : Alain Romestaing est maître de conférences en Littérature française à lIUT de lUniversité René Descartes - Paris V. Sa thèse, soutenue à La Sorbonne - Paris IV, traite du corps dans lensemble de l'uvre de Jean Giono. Il est rattaché à lUMR 7171, «écritures de la modernité», à la Sorbonne Nouvelle - Paris 3. Imprimer
LHistoire de la France littéraire répond, selon Michel Prigent qui a dirigé lensemble de louvrage à la fois en tant quuniversitaire de renom et en tant quéditeur (il est président du directoire des PUF), à la nécessité de combler une lacune : si les histoires de la littérature française ne manquent pas, ce nétait pas le cas dun ouvrage conséquent mobilisant les énergies dans le domaine de la critique littéraire mais aussi de la sociologie, de lhistoire, de la philosophie, de la théologie, de la musicologie, du théâtre, du cinéma
et présentant la littérature française dans son interdépendance avec lensemble de la vie sociale et culturelle depuis le Moyen Âge. Une centaine dauteurs et de collaborateurs reconnus, dirigés par Frank Lestringant et Michel Zink pour le premier volume, Jean-Charles Darmon et Michel Delon pour le second, Patrick Berthier et Michel Jarrety pour le dernier, ont donc travaillé collectivement mais avec des perspectives propres, voire hétérogènes, chacun pouvant suivre la logique de sa spécialisation plutôt que de traiter un sujet imposé.
Ces perspectives diverses sont néanmoins organisées selon une configuration densemble, même si cette configuration est assez inhabituelle. Plutôt que de suivre un ordre simplement séculaire, en effet, les auteurs proposent trois grands moments, tous déclinés au pluriel afin de rejeter limpression quil y aurait des ruptures simples et uniques scandant lhistoire littéraire : le moment des «Naissances, Renaissances», parcourant le Moyen-Âge et le XVIe siècle, assurant le passage (héritages, transmissions, traductions) de lAntiquité dans les langues européennes et mettant au monde, peu à peu, la France littéraire ; celui des «Classicismes», marqués par la recherche de la règle et de la vérité (politique, religieuse, morale, littéraire), du siècle de Louis XIV jusquà la Révolution française ; enfin, celui des «Modernités» qui, à partir du romantisme, transforment les «Belles-Lettres» en «Littérature», dans lacception «que nous lui donnons aujourdhui où la création personnelle se trouve privilégiée» (Avant-propos du volume 3, p.2).
Outre cette volonté de configurer de manière originale des contenus et des approches très riches et très différents, le projet est audacieux pour une deuxième raison : il se veut à la fois uvre (très) savante et «livre du plaisir littéraire en France», selon les derniers mots de la préface (laquelle contrarie quelque peu ledit plaisir par excès daccumulations). Il ny parvient pas toujours. On sattend en effet à ce que des spécialistes ne transigent pas sur la précision et lexactitude quand il sagit de resituer les uvres dans les conditions de leurs sources, de leur transmission, de leur réception et de leur impact. Mais le premier volume paraîtra probablement très, voire trop, technique à un lecteur contemporain moyen, cest-à-dire nayant a priori que des connaissances vagues concernant lAntiquité, le Moyen Âge, ou les différents états des langues grecque, latine et médiévales. Ce pauvre lecteur moyen risque par exemple de trouver très touchants ou quelque peu inquiétants les scrupules de Michel Magnien (p.77) de navoir pu tenir compte dautres articles importants parus à la suite du sien plus quinformé ! sur «Le français et la latinité : de lémergence à lillustration» !
Il nempêche que le même volume permet de comprendre concrètement, si ce nest facilement, comment apparaissent les grammaires («Lespace linguistique européen»), comment et sous quelles formes complexes étaient constitués et transmis les manuscrits («Le livre de part et dautre de Gutenberg») ou la place de la religion dans les textes. On apprendra également dans le deuxième volume quel était «Le statut de lécrivain à lâge classique», comment ont évolué les salons, quelles étaient les limites entre «Loral et lécrit», «Littérature et peinture», «Littérature et musique» ou quelles étaient «Les frontières du licite, lobscénité». On termine (comme dans le premier volume) sur une partie plus traditionnelle concernant les différents genres. Mais les genres et les statuts se redéfinissent au début du XIXe siècle : le troisième volume revient en première partie sur les formes littéraires, pour étudier ensuite les relations multiples de la littérature avec la critique (delle-même et des Arts), et enfin la figure et les «relais» (édition, revues, presse) de lécrivain.
On laura compris, lensemble des trois volumes tente dactualiser létat des connaissances concernant la littérature française sur le long terme et à un moment où la place de lécrivain, comme le craignent les auteurs de lavant-propos du dernier volume (p.4), est «insensiblement plus modeste» et «accompagne sans doute un certain reflux de la littérature dans la vie culturelle, ou leffritement de son prestige». Le pari de cette courageuse édition est pourtant despérer le maintien, si ce nest le renouvellement et le renforcement, de lintérêt des vrais lecteurs, malgré, pour reprendre la préface de Michel Prigent, «les marchands du Temple, les Trissotin et les Vadius, les empêcheurs décrire et de lire par réel plaisir».
Alain Romestaing ( Mis en ligne le 04/10/2006 ) Imprimer | | |