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Simul et singulis…
André Blanc   Histoire de la Comédie-Française - De Molière à Talma
Perrin 2007 /  24.80 € - 162.44 ffr. / 514 pages
ISBN : 978-2-262-02382-9
FORMAT : 15,5cm x 24,0cm

L’auteur du compte rendu : agrégée d’histoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié L’Histoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à l’historiographie (Flammarion, 2002).
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André Blanc est professeur émérite à l’université Paris X et il est spécialiste du théâtre (entre autres, il est l’éditeur du Théâtre du XVIIe siècle dans la Pléiade/Gallimard). Après plusieurs ouvrages sur le théâtre du XVIIe siècle, il donne aujourd’hui une magistrale Histoire de la Comédie-Française. De Molière à Talma. Cet ouvrage érudit, fondé sur l’exploitation des archives de la Comédie Française, répond aux règles du genre universitaire, avec des notes et compléments, l’indication des sources, un index ; en revanche aucune bibliographie n’est proposée. Un cahier central (un peu décevant) reproduit quelques documents. Le plan est chronologique : 37 chapitres qui permettent de suivre au fil des années ou des acteurs la vie souvent tumultueuse du théâtre.

Avec un style le plus souvent alerte, élégant et volontiers ironique, jamais ennuyeux, André Blanc guide tambour battant son lecteur à travers deux siècles d’histoire d’un théâtre pas comme les autres. Fondée le 21 octobre 1680 (Molière est mort en 1673) par une lettre de cachet, la Comédie Française est une société par actions qui rassemble quinze acteurs et douze actrices qui se partagent 21 parts ¼ (le roi se réserve une demie part), acte passé devant notaire. Comédiens du Roi avant tout, les acteurs doivent se produire à la cour (où qu’elle soit) et jouent dans leur théâtre à Paris. Ils se disent d’ailleurs volontiers officiers du roi. André Blanc rappelle le contexte du XVIIe siècle, la coutume des Princes d’entretenir une troupe, la présence de rivaux à Paris (en particulier les «Italiens»). Il campe (et ce n’est pas le moindre intérêt du livre !) de façon précise l’ensemble de la vie théâtrale : certes les acteurs au premier plan, mais aussi les décorateurs, concierges, portiers et multiples artisans qui contribuent à la réussite du spectacle.

En se fondant sur une étude minutieuse des archives de la Comédie Française, André Blanc suit les aventures et mésaventures de la troupe, ses difficultés financières constantes (ou presque). Les règlements se succèdent (en particulier la charte de 1757). Si une pièce ne rencontre pas le succès escompté, c’est sur le montant des recettes que l’on s’appuie pour prendre la décision de poursuivre malgré tout, ou d’arrêter les frais. Une chasse constante (et en partie infructueuse) aux fraudeurs est menée, tandis que les comédiens sont contraints d’accepter la distribution de nombreuses places gratuites. Les relations avec les auteurs (moins payés que les comédiens, même si leur rang social est meilleur) font l’objet de passages très intéressants, d’autant que les uns et les autres constituent de fortes personnalités (Voltaire, Crébillon, Beaumarchais pour ne citer que les plus connus), et que les comédiens écrivent souvent eux mêmes, et ont toujours un avis motivé sur les pièces qu’ils jouent. Autre difficulté : posséder une salle de théâtre digne de la troupe ! La Comédie française changera plusieurs fois de lieu, fera construire sa salle rue des Fossés-Saint-Germain (actuellement rue de l’Ancienne Comédie). L’architecture de l'intérieur du théâtre évolue aussi, avec l’évolution du jeu.

Au fil des pages apparaissent des figures hautes en couleurs (Baron, la Champmeslé, la Clairon, Talma…) et l'on s’interroge aussi sur l’acteur, son métier, les interprétations, les questions posées dès l’époque sur le jeu et l’art, le «paradoxe du comédien». On rencontre un public cultivé et exigeant, plein de talent lui aussi, qui peut idolâtrer ses comédiens préférés ou les huer. On a enfin une explication claire sur les relations entre l’Eglise et les comédiens, et ce statut qui n’existe qu’en France, de l’excommunication jetée sur les comédiens, malgré la volonté royale, malgré les contre-exemples fournis par l’Italie et l’Espagne. Situation fausse qui peut aboutir à des excès : ainsi le cas célèbre - et unique - d’Adrienne Lecouvreur, enterrée à la hâte dans une fosse, sans cérémonie ni jamais de sépulture honorable, parce qu’elle était morte sans avoir pu recevoir les sacrements. Dans la vie quotidienne, le clergé - le plus souvent - fermait les yeux, baptisait les enfants, mariait les parents (quitte à ce que sur l’acte de mariage figure le titre d’officier du roi, et non celui de comédien), les enterrait juste après avoir reçu sur leur lit de mort une renonciation au théâtre. Les comédiens se battirent avec constance pendant deux siècles pour obtenir que l’Eglise de France revienne sur cette exclusion, mais vainement.

André Blanc fait aussi justice de l’idée reçue selon laquelle le comédien ne peut appartenir qu’à de basses classes sociales : il y plusieurs nobles parmi ces comédiens de l’Ancien régime, ainsi Dancourt, issu d’une famille de petite noblesse, comédien et auteur ; une place fut nommée en son honneur (hors les murs à l’époque), qui est aujourd’hui la place Charles Dullin : un homme de théâtre chasse l’autre… Il y a aussi une forte «reproduction» : on est souvent fils ou fille de comédiens, l’endogamie règne. Somme toute, beaucoup de points communs avec aujourd’hui ! On suit les comédiens dans leurs relations avec la société, les liaisons entretenues, les scandales provoqués, mais aussi la vie «bourgeoise» en dehors du théâtre, les retraites plus ou moins confortables selon la prévoyance et la bonne gestion de l’individu, des morts souvent à des âges avancés.

Enfin les relations entre les comédiens et le pouvoir politique ont toujours été particulièrement fortes, compte tenu de l’origine et du statut de la Comédie Française ; l’apogée se situe aux temps tumultueux de la Révolution Française. On voit alors les comédiens adopter selon leurs tempéraments toute la gamme possible des attitudes… La Comédie Française, elle, perd en janvier 1791 son monopole, qu’elle avait maintenu au cours des deux siècles précédents, tout en menant une guerre sans répit contre la concurrence des autres théâtres parisiens. Après une période difficile, le théâtre se réorganise sous la férule impériale, le célèbre «décret de Moscou» : «Le Théâtre continue d’être placé sous la direction du Surintendant des spectacles» (p.451), un «décret, qui réforme plus qu’il n’innove et qui serait passé à peu près inaperçu, n’étaient le lieu et la date de sa rédaction» (p.453). Un nouvel avenir s’ouvre devant les comédiens chargés de conserver le répertoire français et d’être les gardiens de la tradition tout en se tenant ouverts aux nouveautés.

En reprenant l’histoire de la Comédie Française, une institution contemporaine des Académies, une institution d’Ancien régime, avec un statut de corporation, on peut aisément en pointer les imperfections, les défauts, les erreurs de parcours (et poursuivre la liste aujourd’hui…). Il n’en demeure pas moins que, défauts et qualités imbriqués, la Comédie Française a assuré à Paris (et en France ) une permanence du théâtre et du théâtre de qualité, qu’elle appartient pleinement à notre histoire, et qu’elle est le seul exemple d’une troupe qui ait résisté à l’épreuve du temps. «Simul et singulis», que les mauvaises langues traduisent par «Ensemble et chacun pour soi» mais qu’il faut comprendre comme le symbole de la ruche, à savoir que seul le travail de chacun de ses membres peut assurer la réussite du groupe.

Une lecture instructive et amusante qui ne pourra que ravir les amateurs de théâtre. Des anecdotes nombreuses, relatées avec esprit et qui égayent certains chapitres plus austères (en particulier sur les questions financières). Un ouvrage de référence.


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 13/11/2007 )
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