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Histoire & Sciences sociales -> Histoire Générale |
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Petit traité an-historique de morale culturelle | | | Fernando Bàez Histoire universelle de la destruction des livres - Des tablettes sumériennes à la guerre d'Irak Fayard 2008 / 28 € - 183.4 ffr. / 527 pages ISBN : 978-2-213-63484-5 FORMAT : 15,5cm x 23,5cm
Traduction de Nelly Lhermillier.
L'auteur du compte rendu : Archiviste paléographe, Rémi Mathis est conservateur stagiaire des bibliothèques, en formation à lENSSIB. Il prépare une thèse de doctorat sur Simon Arnauld de Pomponne à lUniversité de Paris-Sorbonne, sous la direction de L. Bély. Imprimer
Est-ce un signe des temps ? Est-ce pour exorciser les angoisses dune société qui accorde de moins en moins de place à la culture ? Craint-on, au travers de ce phénomène, un rejet beaucoup plus large de la pensée, dont le livre serait un symbole ? Cela a-t-il un lien avec la remise en cause du livre sous forme papier au profit de lédition électronique ? Toujours est-il que les ouvrages sur la destruction des livres et des bibliothèques fleurissent depuis quelques années.
Les anglo-saxons sont sans doute les plus actifs dans le domaine, avec notamment Libricide : The Regime-Sponsored Destruction of Books and Libraries in the Twentieth Century de Rebecca Knuth (Praeger Publishers, 2003), qui fournissait une intéressante réflexion sur la place de la destruction des livres comme arme de guerre et outil utilisé par les dictatures modernes. La même chercheuse avait ensuite donné avec Burning books and leveling libraries un livre très bien informé mais, paradoxalement, sans doute moins achevé. Signalons enfin le très intéressant Lost Libraries. The Destruction of great Book Collections since Antiquity (Palgrave MacMillan, 2004), actes de colloque sous la direction de James Raven, lun des seuls à tenter une analyse du phénomène sans tomber dans les anachronismes ou la volonté de voir des continuités là où elles nexistent pas. En français, on se souvient peut-être de Livres en feu, histoire de la destruction sans fin des bibliothèques de Lucien Polastron (Denoël, 2004). Ce livre mélangeait, dans un joyeux désordre, destructions volontaires et involontaires, autodafés nazis et inondations, Inquisition et incendies accidentels, sans autre but que de montrer que beaucoup de livres ont été détruits et que cest mal. Cest hélas dans cette lignée que se place le présent ouvrage.
La thèse de Fernando Báez, si elle nest pas dune congestionnante originalité, nest pourtant pas sans intérêt : pour lui, la destruction des livres a toujours été voulue, volontaire, dans un but unique : annihiler la mémoire dun peuple ou dun groupe au nom dune mémoire ou dune culture plus haute (pp.23-29). Ainsi des Espagnols contre les Mayas ou des Nazis contre les Juifs. Cela aurait semblé raisonnable sil avait su borner son propos et rédiger louvrage en préférant la rigueur scientifique à la sentimentalité et au goût du dramatique. Au long de près de cinq-cents pages de texte, lauteur ne cesse de passer dun sujet à lautre, dEurope en Asie puis en Amérique, de lAntiquité à lépoque contemporaine, laissant penser que laccumulation tient lieu dargumentation et la quantité dexemples, danalyse.
Lauteur se perd sans cesse dans son propos, faute davoir défini les termes employés et les bornes de son travail. Les tablettes de terre cuite dEbla la plupart du temps des archives économiques ou juridiques sont-elles des livres ? Oui, semble répondre M. Báez pour qui tout document écrit quel que soit son support et son contenu est un livre, pour peu que cela serve son propos. La présence dun support ne paraît dailleurs même pas indispensable car lauteur mélange allègrement le livre comme support et le livre comme texte : tantôt on regrette la destruction de rouleaux ou de codex, tantôt on pleure le fait que le texte de tragédies grecques ne nous soient pas parvenues. On va jusquà rechercher des livres qui auraient pu être détruits (Bouilhet et Du Camp conseillant à Flaubert de brûler la Tentation de saint Antoine, p.328).
Finalement, tout est bon pour se plaindre de la destruction des livres. Les premiers chapitres, sur lAntiquité, sont à cet égard exemplaires : lauteur se contente, pendant près de cent pages, de faire la liste des bibliothèques ayant existé, afin de faire remarquer quaucune na été conservée intacte jusquà nos jours. Remarquons au passage que si certaines tablettes mésopotamiennes sont arrivées jusquà nous, cest précisément grâce à lincendie qui a cuit la terre crue qui leur tenait de support. Lauteur se garde bien de tenter la moindre analyse ou de rechercher une certaine cohérence dans laction. Auguste est vilipendé pour avoir fait brûler «plus de deux mille livres grecs et romains qui lui déplaisaient» (la source, Suétone, nest bien entendu pas critiquée) puis immédiatement loué pour avoir fondé des bibliothèques. Jamais lauteur ne se questionne sur la signification de ces actes ni comment ils peuvent cohabiter. En revanche, il insiste sur le fait que les bibliothèques fondées par lempereur brûlent peu après (pp.115-116).
Mais il nest pas donné à tout le monde décrire par sauts et par gambades. Comment approfondir sa réflexion quand on veut parler de tout et, ainsi, de rien et quon ne consacre quune page à la Révolution française (p.241) ? Sans préciser aucune source, lauteur cite quelques livres détruits sans que lon sache pourquoi ceux-là et pas dautres, ni quel fut réellement leur sort. «Un texte peu cité et moins lu, rédigé par la jésuite Jean Joseph Rossignol, intitulé Traité de lusure disparut presque entièrement, détruit par les sans-culottes», lit-on avant que lauteur ne passe à autre chose. On ne saura jamais quand, ni pourquoi. On ne saura même pas ce quil entend par «disparut presque entièrement». Limportant nétant pas dexpliquer ni de comprendre mais de marquer les esprits.
Comme il désire tout traiter dans son ouvrage et que rien de ce qui est écrit ne lui doit être étranger, lauteur parle des palimpsestes, ces manuscrits grattés pour laisser la place à un nouveau texte. Comment traiter sous langle de la destruction cette pratique complexe qui, dans des périodes où le parchemin était trop cher pour quon en achète du neuf, a permis de recopier des textes importants ? Lauteur trouve la solution en sappuyant sur un exemple précis et en affirmant de manière péremptoire que le texte recopié de saint Augustin na «à lheure actuelle [
] que peu dimportance» alors que le traité de Cicéron gratté est essentiel (p.146). Intéressant jugement de valeur. Finalement, les premiers chapitres se réduisent à une histoire assez impressionniste des bibliothèques de lAntiquité, chaque chapitre se terminant par une lamentation car aucune delle nest arrivée jusquà nous (ce qui prouve bien que les hommes sont méchants).
On passera sur les jugements à lemporte-pièce (on apprend quAl-Mansûr était «un écrivain frustré», p.164) et les prises de positions non argumentées (lauteur croit savoir où se trouvait la bibliothèque du temple funéraire de Ramsès II - p.54. Il a plus de chances que les archéologues travaillant sur le site depuis des dizaines dannées). Lauteur nous avait dailleurs déjà habitué à sa finesse : il déclarait sans ambages dans Il saqueo cultural de America latina que les Européens navaient cessé de piller lAmérique latine et comparait leurs actions actuelles avec celles de Conquistadores.
Le problème tient sans doute à la méthodologie employée : au lieu détudier de manière sereine la destruction des livres et des bibliothèques à travers lhistoire, en analysant leurs causes et leur signification dans les différentes civilisations, Fernando Báez part dun unique principe : «détruire des livres, cest mal». Il relit alors lhistoire de lhumanité à laune de cette seule maxime plus morale quhistorique, navigant danachronismes en jugements hâtifs. Il ne cherche pas à comprendre les processus qui aboutissent aux condamnations de livres, à leur destruction ou à leur anéantissement mais se contente de poser son regard dhomme du XXIe siècle sur ces pratiques complexes. Dès lors, louvrage est plus moral (voire moralisant) que scientifique.
Lauteur se rattrape heureusement sur les derniers chapitres, quand il se permet enfin dapprofondir certains faits, détudier plus à fond des cas au lieu de papillonner dun incendie à une inondation. Cela tient certainement aussi au fait que les opérations systématiques de destruction des livres dauteurs juifs ou «décadents» par les Nazis (pp.293-312) sont monoblocs et ont une signification claire. Mais, même là, il va bien vite en besogne, regroupant sous le terme «régimes de terreur» lURSS, lEspagne franquiste, la Chine de Mao, la dictature argentine, les fondamentalistes algériens, des pays africains en guerre et les menées dIsraël à Gaza ou en Cisjordanie (pp.345-367).
Le chapitre sur lIrak est sans doute le mieux informé et lun des plus intéressants. Mais, outre que lon peut sinterroger sur la neutralité du témoignage de lauteur directeur de la bibliothèque nationale du Venezuela de Chávez, qui se vante sur le site de ladite bibliothèque dêtre considéré comme persona non grata aux États-Unis les amalgames saccumulent, identifiant destruction de livres et darchives, pillages des antiquités des musées et assassinats duniversitaires. On atteint des sommets de confusion quand lauteur sattaque à la destruction des livres électroniques (pp.396-397). Il semble entendre par là non pas même la destruction physique de lappareil (qui naurait aucune conséquence culturelle autre que pour son possesseur) mais le simple vidage accidentel de la mémoire, comparée à la perte dune bibliothèque de 14 millions de volumes (alors quil suffirait de télécharger de nouveaux les livres, sans aucun dommage).
Bien sûr quil est honteux que les soldats américains aient préféré la protection du ministère du pétrole à celle de la bibliothèque nationale ou des principaux musées. Il est vrai que la destruction systématique dun peuple passe avant tout par celle de sa culture et quil arrive que les écrits et, partant, les bibliothèques soient ciblés. Il est vrai que les destructions accidentelles elles-mêmes ont souvent des causes plus complexes quand les rapports sur les insuffisances dun système électrique sont négligés, que les bibliothécaires attirent en vain lattention sur les risques encourus, et quinévitablement le feu finit par prendre, laccident nen est pas tout à fait un. Mais précisément, on attendait dun ouvrage historique une prise en compte de la complexité de la question et non de longs gémissements romantiques.
Après avoir lu cet ouvrage qui se veut édifiant et qui cherche à élever notre sens moral en nous apprenant quil est mal de brûler les livres ; à lheure où libraires et lecteurs sont inondés de nouvelles parutions à lintérêt incertain ; dans une société où le livre est devenu un objet de consommation souvent plus destiné à enrichir des groupes industriels quà élever son lectorat, on na quune envie : faire preuve desprit de contradiction et rédiger un paradoxal éloge de la destruction des livres. Lichtenberg na-t-il pas écrit que «mettre la dernière main à luvre, cest la brûler» ?
Rémi Mathis ( Mis en ligne le 21/05/2008 ) Imprimer | | |
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