| Adélaïde de Place Abdel Rahman El Bacha Frédéric Chopin Bleu nuit éditeur - Horizons 2010 / 20 € - 131 ffr. / 176 pages ISBN : 978-2-35884-010-1 FORMAT : 14 x 20 cm Imprimer
Lui ferait-on grâce de la tuberculose dont il mourut en 1849, il est assez comique de prétendre, par un argument commercial devenu habituel, que Frédéric Chopin «aurait eu deux cents ans» le 1er mars 2010. Cest toutefois le prétexte choisi par lannuelle et désormais institutionnelle «Folle journée» de Nantes pour célébrer lauteur des Ballades et des Nocturnes, et par nombre déditeurs pour se bousculer sur le sentier ordinairement désert de la «grande musique».
Signalons pour mémoire, et dans lordre croissant de leur utilité, Chopin, limpossible amour, dÈve Ruggieri (Michel Lafon), où lon apprend que ce fashion victim «passait des heures à choisir le ton exact du gris de son costume ou du blanc de ses gants sur mesure», façon de souligner son bon goût ; les Aspects de Chopin dAlfred Cortot, précédés dune préface dHélène Grimaud en guise de jouvence (Albin Michel) ; plus original, Les Deux Âmes de Frédéric Chopin de Jean-Yves Clément, illustré dun rare daguerréotype, interroge les dualités de son modèle : «français et polonais, classique et romantique, emporté et réservé, abattu et exalté, morbide et empli d'humour badin, social et renfermé, mondain et secret» (Presses de la Renaissance). En revanche, peu de biographies nouvelles depuis celles de Tadeusz Zielinski, imposante (Fayard, 1995), et dAlain Duault (Actes Sud, 2004), synthétique.
Lintérêt du Chopin dAdélaïde de Place réside, comme tous les volumes de la collection «Horizons» de Bleu Nuit, dans la qualité de son iconographie, mais aussi dans labondance des citations extraites de la presse, des mémoires ou des correspondances dépoque, qui donnent à son récit une vivacité et une authenticité particulières. Le bel éloge funèbre de Berlioz, paru dans le Journal des débats le 27 octobre 1849, est reproduit intégralement : il est à la fois éclairant et précieux sous la plume dun critique si féroce. Berlioz y rapporte ce mot de Chopin, entre deux toux, grossièrement pressé de jouer «quelque petite chose» sitôt avalé le café dun dîner mondain : «Ah, monsieur
jai si peu mangé !» Exquis dans la vacherie : il y a dans lélégance de ce refus quelque chose de lorgueil de Mozart, son idéal.
Ennemi des «gros papillons de salon» et de la publicité, lartiste serait surpris du culte quil suscite aujourdhui ; par chance, son uvre, presque entièrement contenue dans son piano, le tient sagement éloigné des Stades de France et autres Palais Omnisports. Touchons du bois : Chopin nest pas près de passer à la moulinette dun opéra-rock à la noix, tant quil y aura pour le défendre des pianistes de la classe dAbdel Rahman El Bacha, qui aborde en postface quelques aspects agogiques originaux : sa proximité, en tant que franco-libanais, avec la double culture de Chopin, qui donnait pour timidité son scrupule à sexprimer en français ; lautodiscipline de fer quil simposait à dix-neuf ans, si éloignée des pâmoisons dont il est devenu malgré lui le symbole ; comme il lest devenu de la pure virtuosité, lui qui recommandait à ses élèves de jouer au ralenti son Concerto en si mineur pendant un mois avant de passer à la vitesse supérieure, afin den observer toutes les inflexions.
Tous les biographes de Chopin aiment insister sur les contradictions de sa musique et de sa personnalité, que la postérité sest gardée de résoudre. Mais Adélaïde de Place a raison dinsister sur le plus profond et le plus humain de ces paradoxes, souligné par Chopin lui-même : «Extérieurement je suis gai, mais intérieurement je suis mordu. [
] Plaisir de vivre ; et tout de suite après, désir de la mort. » Comment expliquer autrement le voisinage de la Sonate funèbre et des Valses brillantes ? De la torrentueuse Ballade n° 4 et de linexplicable Berceuse, anxiolytique dont le goutte-à-goutte sécoule depuis plus dun siècle et demi ?
Même le cur de Chopin, emmuré dans un pilier de léglise Sainte-Croix de Varsovie, restera muet sur ce mystère : le ministère polonais de la Culture en a interdit la biopsie en 2008. Quimporte : cette agréable et palpitante biographie en tiendra lieu.
Olivier Philipponnat ( Mis en ligne le 24/02/2010 ) Imprimer
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