| Michel Winock Madame de Staël Fayard 2010 / 24,80 € - 162.44 ffr. / 576 pages ISBN : 978-2-213-65451-5 FORMAT : 15,3cm x 23,5cm
L'auteur du compte rendu : Agrégé, Pierre Triomphe a soutenu une thèse sur «Les mises en scène du passé au Palais-Bourbon (1815-1848). Aux origines dune mémoire nationale». Il a publié LEurope de François Guizot (Privat, 2002). Imprimer
Le libéralisme a souvent mauvaise presse en France, et ses théoriciens comme ses adeptes ne suscitent généralement quun intérêt poli, quand ce nest une hostilité ouverte. Les libéraux neurent dailleurs dinfluence notable quau XIXe siècle, encore furent-ils le plus souvent liés à lorléanisme, et progressivement associés à la droite après la révolution de 1830, alors que ce courant reste jusquà nos jours marqué à gauche dans le monde anglo-saxon où il a presque constamment bénéficié dune attention plus soutenue. Depuis les années 1970, les études universitaires hexagonales tendent cependant à remettre certains auteurs à lhonneur. Les uvres de Tocqueville et de Guizot ont ainsi été réévaluées. A ces adeptes dun libéralisme de raison plutôt que de passion, non dénué dun certain conservatisme, sopposent les figures du premier libéralisme français, marqué à gauche, même sil porte lhéritage des traditions de liberté aristocratique dont avaient été nourris nombre de ses adeptes, et souvent imprégné de romantisme.
Au premier rang de ceux-ci rayonne un couple uni par une forte complicité intellectuelle et des relations sentimentales complexes : Madame de Staël et Benjamin Constant. La plus grande longévité de ce dernier, son rôle politique très actif sous la Restauration et lémotion soulevée par sa mort peu après la révolution de Juillet expliquent en partie quil ait plus souvent attiré lattention des historiens que sa compagne, même si lon peut aussi y voir les relents persistants de la misogynie du XIXe siècle. Cest à cette «ingratitude de la postérité» que Michel Winock entend mettre un terme. Spécialiste reconnu de la vie politique hexagonale contemporaine, lauteur veut remettre en lumière auprès du grand public éclairé la vie mouvementée dune Européenne dorigine genevoise et prussienne, mariée à un Suédois, mais française de cur et associée à toutes les péripéties de la vie politique hexagonale depuis son plus jeune âge, en tant que simple témoin dans un premier temps, puis de plus en plus dactrice.
Née en 1766, cette protestante, fille du ministre de Louis XVI Necker, fut idéalement placée face aux événements des dernières heures de lAncien Régime et des débuts de la Révolution. Tenant salon après son mariage avec le baron de Staël, elle reçoit les figures marquantes de la vie politique et intellectuelle française, et participe de façon indirecte aux intrigues politiques. Faute de pouvoir occuper elle-même une place officielle, elle cherche à faire triompher ses idées, ou à favoriser la carrière de ses protégés, à commencer par son père, dont elle favorisa les ultimes manuvres politiques aux débuts de la Révolution, avant de passer le reste de sa vie à défendre sa mémoire, et par Benjamin Constant, avec qui la relation amoureuse tumultueuse nouée à lépoque thermidorienne ne sacheva définitivement quà la fin de lEmpire, soit quelques années seulement avant sa mort en 1817.
La principale constante de son engagement politique est naturellement la défense des libertés individuelles : elle combattit pour labolition de lesclavage, pour la liberté religieuse, protesta contre les violences de lépoque révolutionnaire, doù quelles vinssent, et surtout sopposa à larbitraire napoléonien, dont elle souffrit particulièrement puisquelle passa lessentiel de cette période en exil à Coppet en Suisse. Jusquà ses derniers jours, elle rêva de ladoption en France dune monarchie constitutionnelle à langlaise, dont la Restauration pouvait à certains égards constituer lincarnation, ce dont témoigne notamment son ouvrage posthume, Considérations sur la Révolution française.
Les activités politiques et la vie amoureuse, particulièrement riche, de Madame de Staël, étaient souvent étroitement imbriquées, de même que ses activités dans le monde des lettres. Cette femme navait cessé de fréquenter tout au long de sa vie les plus grands écrivains de son temps, français comme dAlembert, Diderot, Chateaubriand, germanophones comme Goethe, Schiller, les frères Schlegel. Cest au contact de ces derniers quelle découvrit le romantisme outre-Rhin et contribua à le populariser dans lHexagone à travers des ouvrages comme De lAllemagne, tout en publiant plusieurs romans, comme Delphine, liés à cette sensibilité.
Les quelques 500 pages de louvrage de Michel Winock nous rappellent donc les multiples péripéties de cette vie mouvementée, qui ont contribué à nourrir une pensée féconde, originale et cohérente, dont il met en valeur les principaux apports au paysage intellectuel de son temps. Agréable à lire, cet ouvrage dépourvu de notes est agrémenté dune iconographie originale, dune petite anthologie mettant en valeur sa pensée sur divers objets, et surtout dun savoureux florilège dune vingtaine de pages de portraits et de jugements de contemporains.
Pierre Triomphe ( Mis en ligne le 16/11/2010 ) Imprimer
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