| Jacques Soubeyroux Goya politique Sulliver 2011 / 18 € - 117.9 ffr. / 192 pages ISBN : 978-2351220757 FORMAT : 15cm x 22cm Imprimer
La longévité de Goya, qui meurt en 1828 à lâge de 82 ans, nexplique pas à elle seule le rapport privilégié que le personnage entretient avec lhistoire de son temps. Ayant vécu, souvent avec douleur, les évolutions sociopolitiques autant que morales, les crises mais aussi les guerres qui traversèrent son pays, lAragonais aura été, à cheval sur deux siècles, un infatigable sondeur de la noirceur humaine. Lhispaniste Jacques Soubeyroux, déjà connu pour ses travaux sur lEspagne du XVIIIe siècle, revient dans un essai dense sur cette personnalité fascinante de lart occidental.
Le postulat est simple : Goya aura été «un véritable acteur de la crise de la société dAncien Régime et de leffervescence libérale des premières décennies du XIXe siècle, et non un simple témoin». Car lengagement déchirant qui transparaît de ses toiles, mais aussi de ses remarquables séries de dessins, se précise au fil dune maturation artistique tourmentée et concentrique, un peu comme si elle franchissait à chaque fois un cercle supplémentaire de lenfer dont elle veut rendre compte.
La première partie de lessai, à caractère plutôt sociologique, nous permet dassister à lascension dun homme dorigine modeste au rang de peintre de cour anobli : elle consacre limage dun self-made artist qui jamais ne recula face aux nombreux obstacles (notamment politiques) qui se dressaient sur son parcours, et montre dans quelle mesure Goya fut en fait lun des premiers «artistes professionnels» dEurope à assumer sa liberté, au risque de se positionner en rupture des canons officiels.
Le second pan de louvrage est occupé par une passionnante réévaluation de luvre, notamment des Désastres de la guerre, des Caprices et de toutes ces eaux-fortes qui installèrent Goya dans la veine du romantisme noir. Soubeyroux montre quant à lui que, dans cet univers cruel, à la limite sadien, esthétique et éthique sont, quoi quon en dise, indissociables, et que, si Goya semble se complaire dans les scènes monstrueuses, cest pour en faire émerger, en toute lucidité, la part la plus obscure de nos consciences. Désincarcérant Goya du carcan national où l'on a tendance à lenfermer (lui qui aurait dénoncé les crimes napoléoniens par patriotisme), Soubeyroux le fait accéder au patrimoine universel de langoisse humaine. Il transfigure le maudit en messager de la compassion et réhabilite pleinement les quatre maîtres mots qui guidèrent réellement sa démarche : Vérité, Justice, Raison et Liberté.
Ainsi, sous ce jour nouveau, el sordo accède à la lumière au terme dune quête solitaire, souterraine, et plus dun siècle avant le Guernica de Picasso, son talent, selon le superbe mot dYves Bonnefoy se tient à l«avant-garde de la vigilance spirituelle».
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 22/03/2011 ) Imprimer | | |