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Devenir l'Autre
Stéphane Barsacq   Cioran. Ejaculations mystiques
Seuil - Points essais 2015 /  7.50 € - 49.13 ffr. / 150 pages
ISBN : 978-2-7578-5133-3
FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm

Première publication en février 2011 (Seuil)

L'auteur du compte rendu : Alexis Fourmont a étudié les sciences politiques des deux côtés du Rhin.

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«Désunis, nous courrons à la catastrophe. Unis, nous y parviendrons». Tel est l’aphorisme que Stéphane Barsacq a placé en exergue de son essai intitulé Cioran. Éjaculations mystiques. Désabusé, voire pessimiste, le propos l’est assurément et correspond à coup sûr à la tournure d’esprit de Cioran. A vrai dire, comme le lecteur l’apprendra au fil des pages, la trajectoire personnelle de l’écrivain durant le siècle dernier a contribué à dicter cette posture.

Né en 1911 en Roumanie, Cioran était le fils d’un pope. Il provenait de Rasinari, un petit village de Transylvanie. Marquée par l’amour des montagnes et des paysans, son enfance fut heureuse, voire idyllique, jusqu’à ce qu’il les quitte pour la ville de Sibiu. Stéphane Barsacq note que Cioran «a fait l’expérience de la mort en disant adieu à l’enfance». A Sibiu, observe l’auteur, Cioran s’est frotté à deux écoles : les bibliothèques et les bordels. Ce sont probablement ses propres errements aux côtés de l’hitlérisme et du fascisme roumain qui lui ont inspiré, par la suite, ce pessimisme si profond dont il s’est fait le chantre tout au long de son œuvre. A cet égard, Cioran écrivit en substance en 1987 dans Aveux et Anathèmes qu’il ne constituait en rien un cas isolé. En effet, lorsqu’il était «adolescent, Tourgueniev avait accroché dans sa chambre le portrait de Fouquier-Tinville. La jeunesse partout et toujours a idéalisé les bourreaux».

Par ailleurs, «sa courbe personnelle, précise Stéphane Barsacq, l’apparente à celle de bien des mystiques : ni bassesse matérialiste, ni niaiserie idéaliste. Il a été dans le monde ; il a agi, il a été tenté, et il a fauté. Il n’a pas fauté à moitié : il a fauté à l’excès». S. Barsacq obtint une bourse pour étudier à Berlin de novembre 1933 jusqu’à 1935. Alors qu’à la même époque Simone Weil ou Raymond Aron s’inquiétèrent de ce qui se tramait outre-Rhin, Cioran en revanche applaudit. Son enthousiasme se traduisit par toute une série d’articles ouvertement pronazis. L’essayiste raconte que Cioran croisa un jour Hitler, ce qui l’émut singulièrement. Dans Transfiguration de la Roumanie (1937), Cioran alla jusqu’à rédiger rien de moins que «des passages insoutenables contre les Juifs, les Hongrois, les Tziganes». A son retour en Roumanie, il s’engagea en faveur de la Garde de fer, constituée autour du «capitaine» Corneliu Codreanu et formée de légionnaires animés de l’esprit des fascistes. Il s’agissait in fine d’établir l’Etat national-légionnaire.

Désillusion et désespoir règnent sans partage chez Cioran en raison de ses sombres expériences à l’extrême droite durant les années 1930 et 1940. Entendant expier «sa grande faute sans laquelle il n’eût pas été Cioran, et sans laquelle son œuvre française n’eût pas existé», l’écrivain d’origine roumaine indiquait naguère avoir écrit «pour injurier la vie et pour s’injurier». Dans cette perspective, l’essayiste Stéphane Barsacq considère que Cioran était «bel et bien la mort», rien de moins. Il était une sorte de «prophète des Apocalypses». D’aucuns l’ont tenu pour «l’aristocrate des Vandales», un «anti-prophète», un «penseur crépusculaire», un «ange réactionnaire», un «destructeur qui ajoute à l’existence, qui l’enrichit en la sapant».

Lors de son arrivée dans l’Hexagone, «le Hamlet de Transylvanie» découvrit «l’esprit français», dont S. Barsacq écrit que Cioran «le possède hautement». Toutefois, il ne s’y limitait point, puisque ses références aux auteurs slaves comme Dostoïevski, Tolstoï et Gogol étaient nombreuses. Dans son œuvre, la méditation religieuse est présente. Il entretenait en effet une sorte d’ardente «polémique avec dieu» découlant d’une «déception réciproque». Écrivant dans la langue de Molière, Cioran essayait de «devenir l’Autre : non plus celui qui sait, mais celui qui balbutie». Il espérait atteindre le salut «ni par l’édification ni par le sermon, mais par la contrition». Le Roumain, explique l’auteur, «s’est battu avec le français et avec lui-même, pour se donner le baptême d’une identité différente».

Dans un style enlevé et fort agréable à lire, Stéphane Barsacq rend compte de la profonde complexité d’un cheminement intellectuel et d’une œuvre qui ne se laissent pas appréhender aisément.


Alexis Fourmont
( Mis en ligne le 14/07/2015 )
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