|
Histoire & Sciences sociales -> Biographie |
| Ines Rieder Diana Voigt Sidonie Csillag - Homosexuelle chez Freud, lesbienne dans le siècle Epel 2003 / 29 € - 189.95 ffr. / 400 pages ISBN : 2-908855-76-3 FORMAT : 15x23 cm
L'auteur du compte rendu: titulaire dune maîtrise de Psychologie Sociale (Paris X-Nanterre), Mathilde Rembert est conseillère dOrientation-Psychologue de lEducation Nationale. Imprimer
Vienne, 1917. A la station de train urbain Kettenbrückenstrasse, des passants sattroupent autour dune adolescente qui gît sur le sol, inconsciente. Sétant jetée du parapet, elle a fait une chute de plusieurs mètres. Une tentative de suicide sérieuse. Mais, contrairement à la Mademoiselle Else dArthur Schnitzler, Sidonie Csillag ne parviendra jamais à mettre fin à ses jours. Deux autres tentatives nempêcheront pas cette bourgeoise viennoise dorigine juive convertie au catholicisme, conservatrice et antisémite, de mourir presque centenaire, après avoir tranquillement traversé un 20ème siècle qui ne fut pourtant en rien tranquille. Persévérer dans lêtre, tel est lexploit de cette anti-héroïne.
Mais alors, pourquoi écrire sa biographie ? Arrivée en fin de vie, Sidonie est contactée par lauteure Diana Voigt, petite fille dune de ses amies, qui projette décrire sur le thème du vieillissement chez les femmes. Et là, surprise ! Sidonie lui apprend ce quelle avait plus ou moins caché à son entourage : elle nest autre que la «jeune homosexuelle» du texte de Freud «Psychogénèse dun cas dhomosexualité féminine» écrit en 1919 et paru dans le recueil Psychose, névrose et perversion (dont les Presses Universitaires de France viennent de nous offrir la
12 ème édition !). Ce cas, repris par Lacan dans son séminaire sur lAngoisse en 1963, fit couler beaucoup dencre chez les psychanalystes. Contrairement à dautres patientes de Freud, Sidonie Csillag navait jusque là jamais fait lobjet daucune recherche historique. Accompagnée dInes Rieder, Diana Voigt décide donc décrire sa biographie.
Seul le conservateur des archives Freud aux Etats-Unis, Kurt Eissler, avait réussi à retrouver Sidonie dans les années 60. Les entretiens avaient sans doute donné à celle-ci loccasion de dire tout le mal quelle pensait du père de la psychanalyse. Si, dans sa jeunesse, elle sétait rendue cinq fois par semaine pendant plusieurs mois au 19, Berggasse, cétait contrainte et forcée par ses parents. Mécontents de lattirance de leur fille pour la demi-mondaine Léonie Von Puttkamer, ils ne pouvaient pourtant guère la mettre sous pression : la malheureuse avait en effet tenté de se suicider
Pour la faire rentrer dans le droit chemin, il ne leur restait que la méthode douce en loccurrence, la psychanalyse. Autant le dire tout de suite, le courant ne passera pas entre Sigmund et Sidonie. Le psychanalyste se rend bien compte quelle nest pas demandeuse, quelle ne vient aux séances que pour obéir à son père, quil ne sagit donc pas dune analyse ; la jeune fille «innocente», de son côté, est épouvantée par les propos de Freud sur la sexualité - «schmutzige jüdische Phantasie !» (sale imagination juive), sindignera-t-elle
La parution de sa biographie en langue allemande en 2000 étant parvenue à la connaissance de Jean Allouch, de lEcole Lacanienne de Psychanalyse, les Editions et Publications de lEcole Lacanienne nous en présentent aujourdhui la version française. Il sagit sans aucun doute dun événement important pour la recherche historique sur le lesbianisme, mais en sera-t-il de même pour la psychanalyse ? Les membres viennois de lInternational Psychoanalytical Association nont pas souhaité recevoir Rieder et Voigt. Quel sera laccueil en France ? Lintérêt des courants psychanalytiques pour lhomosexualité est grand, comme en témoignent les sujets traités cette dernière année dans les revues Clinique Méditerranéenne, la Revue Française de Psychanalyse et Revue de la cause Freudienne.
«Je lai connu, à 19 ans, et cest pour ça que je suis une célébrité cest grotesque», déclare Sidonie à ses deux intervieweuses. Cest donc bien malgré elle que cette femme est entrée dans la légende de la psychanalyse. Sa biographie, accompagnée de photos dépoque, darchives juridiques et de récapitulatifs historiques, nen est pas moins passionnante. Le lecteur accompagne Sidonie Csillag dans sa traversée du siècle (première Guerre mondiale, crise des années trente, montée du nazisme, seconde guerre mondiale, reconstruction
) et dans son tour du monde (Europe, Amérique et Asie).
Attirée par les femmes, avec toutes les difficultés que cela peut impliquer à lépoque, Sidonie sautorise tardivement à vivre sa première expérience sexuelle, à loccasion dun voyage à Prague (il faut dire que lAutriche fut lun des rares pays à pénaliser non seulement lhomosexualité masculine mais aussi lhomosexualité féminine, et ce jusque dans les années 70 !). Comme beaucoup de femmes, lesbiennes ou non, elle est plus ou moins contrainte de vivre dans le cadre du mariage hétérosexuel, ne serait-ce que pour des raisons économiques. Il lui arrive cependant déprouver une authentique attirance pour certains hommes. Elle aura finalement du mal à vivre son amour pour les femmes, tant sur le plan physique que sur le plan affectif. Poursuivant des chimères (Monique), elle ne sait pas faire face à un amour réel (Wjera), se réfugiant dans son amour pour les animaux qui sont bien moins menaçants que les êtres humains
Mal aimée par une mère séductrice qui voyait en toute femme même en sa propre fille une rivale, lui préférant donc ses fils, et par un père plus occupé par ses affaires dans lindustrie que par sa progéniture, Sidonie devint une infirme du cur. Cette faille intime nous la rend infiniment attachante. Tout compte fait, elle aurait peut-être eu besoin
dune psychanalyse.
Mathilde Rembert ( Mis en ligne le 06/02/2004 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Les Homosexuels de Gonzague de Larocque Hérésies de Didier Eribon | | |
|
|
|
|