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Histoire & Sciences sociales -> Biographie |
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Nouveau tombeau pour Drumont | | | Grégoire Kauffmann Edouard Drumont Perrin 2008 / 26 € - 170.3 ffr. / 562 pages ISBN : 978-2-262-02399-7 FORMAT : 15,5cm x 24,0cm
L'auteur du compte rendu : agrégé dhistoire, Nicolas Plagne est un ancien élève de lEcole Normale Supérieure. Il a fait des études dhistoire et de philosophie. Après avoir été assistant à lInstitut national des langues et civilisations orientales, il enseigne dans un lycée de la région rouennaise et finit de rédiger une thèse consacrée à lhistoire des polémiques autour des origines de lEtat russe. Imprimer
En 2000, la Ville de Paris procède à une étrange opération de «profanation» légale de cimetière. Par un arrêté de Jean Tibéri, maintenu par la municipalité suivante, linscription «immortel auteur de La France Juive» est effacée de la stèle érigée sur la tombe de Drumont. Des visiteurs juifs du cimetière avaient protesté quune telle formule gravée en 1943 comme un éloge fût encore lisible un demi-siècle après lhommage de Vichy. Malgré quelques contre-protestations ultra-minoritaires, la tombe de Drumont fut donc corrigée. Lhomme, un maître à penser du mouvement antisémite avec Maurras, est pourtant complètement oublié, sauf des antisémites cultivés et des connaisseurs de lextrême-droite. Ce livre de Grégoire Kaufmann comble donc une lacune.
Mais il le fait dun tout autre point de vue que lhagiographie de ses admirateurs. On peut lire en effet ce Drumont comme une sorte de nouveau tombeau, qui ne se contente pas du blanc de la retouche, mais veut substituer aux derniers vestiges dune piété désuète une mémoire critique: une plongée dans la vie dun idéologue désormais maudit pour lenterrer définitivement politiquement auprès des curieux. Car Kauffman croit au retour possible des démons de Drumont et veut détruire le mythe avant quil ne puisse re-servir. Doù un livre souvent à charge et «iconoclaste» qui prend le contre-pied de lidéalisation morale dont bénéficia le personnage dans certains milieux. Son édition chez Perrin (dont les titres depuis quelques années ont gagné en qualité) peut lui assurer ce rôle auprès dun assez large public, grâce au genre biographique.
De cette vie, les grandes lignes sont déjà connues des amateurs dhistoire et des connaisseurs : un journaliste écrivain raté devenu du jour au lendemain lécrivain du moment grâce à un gros pamphlet indigeste au titre provocateur La France Juive ; tenté par les formes de populisme de droite (boulangisme), il fonde son courant (La ligue antisémite) et son journal (La Libre Parole) cristallisant les thèmes à la mode de critique du capitalisme cosmopolite et du bouc-émissaire entre xénophobie et racisme, sans proposer de solution plus claire que la France aux Français et un pouvoir autoritaire «propre»: Sur tous ces épisodes et ces thèmes, Kauffmann revient plus longuement. Recourant systématiquement aux documents de lépoque et aux archives quand elles existent, il retrace précisément cet itinéraire à la fois banal sur un plan psycho-social et atypique. Le portrait quil fait de Drumont nest pas flatteur : égocentrique et mégalomane, bon vivant aimant largent jusquau chantage, mythomane et manipulateur, carriériste sans scrupule et faiseur professionnel de scandales, chrétien douteux, etc. On est loin du plaidoyer de Bernanos qui cherchait à sauver Drumont après 1945 de sa mauvaise réputation par lidéalisation dune vie de combat pour la morale et la vérité.
Issu dun milieu modeste de basses classes moyennes, Drumont est poussé par un père petit fonctionnaire, amateur de livres et dhistoire, à faire son lycée ; ladolescent passionné de poésie et dhistoire sy ennuie et découvre le mépris des élites sociales de la France bourgeoise du Second Empire ; décevant les espoirs de son père, qui dailleurs le laisse orphelin bientôt, il connaît un déclassement angoissant et une jeunesse de frustration, dont il tirera sa vision du monde : un patriotisme nourri dhistoire romantique, un populisme social de ressentiment contre le monde de la naissance et de largent facile, un certain anti-capitalisme dans les limites dune morale chrétienne. Car Drumont retrouve la foi et devient un apôtre du catholicisme de combat. Trouvant son idéal communautaire et son idéal dordre juste dans une nation unie spirituellement, le petit-bourgeois Drumont délaisse progressivement les chroniques littéraires et les romans ratés (où perce le thème romantique de la belle Juive rusée) pour épanouir son talent polémiste et bataille alors contre les ennemis de lintérieur : capitalisme cosmopolite du libéralisme libre-échangiste exploiteur de la misère des peuples, républicains opportunistes liés aux milieux daffaires, minorités religieuses émancipées et sur-représentées dans la bourgeoisie et le capitalisme (francs-maçons et protestants notamment) : tout vient de la Révolution française et de ses «droits de lhomme» trompeurs, qui détruisent la société, son ordre naturel et minent les droits de Dieu. Tout est permis et bien sûr avec lindividualisme et la tolérance relativiste, le dévoiement de léconomie par la cupidité.
En Drumont cristallisent les éléments dune droite réactionnaire catholique et paternaliste sociale se mettant en place depuis Joseph de Maistre. Mais lennemi principal national : cest «le Juif, roi de lépoque», dont la réussite sociale est éclatante et symbolique de la dissolution, puisquil doit son succès à des réseaux transnationaux millénaires devenus le sang du système capitaliste (le monde de largent). Un thème présent chez un autre écrivain-sociologue anti-démocrate et catholique (certes dans le domaine de la fiction et avec plus de talent !) : Balzac.
La spécificité de Drumont est de se présenter en journaliste-enquêteur engagé et avec quelle virulence ! Journaliste de combat, Drumont lest assurément et formé à bonne école. Après avoir fait ses armes modestement dans la presse catholique conservatrice (LUnivers de Veuillot, Le Figaro) et sous linfluence dHenri Rochefort, le polémiste impulsif crée sa Libre Parole qui marque lépoque et où il étale ses obsessions (qui se polarisent sur lAllemand pendant la Première Guerre Mondiale) : lheure de gloire est bien sûr lAffaire Dreyfus. Catholique social et réactionnaire, le journal devient avec LAction française une Bible dune certaine droite : Cette dimension sociale de lantisémitisme de Drumont explique les ambiguïtés dune partie de la gauche au début, dautant que Drumont ménage un moment un certain radical-socialisme patriote et anti-corruption et le socialisme (malgré le problème «Marx»), en dépit de leur athéisme voire leur anti-cléricalisme. La fin du livre porte sur la mémoire de Drumont avant, pendant et après Vichy.
Le livre de Grégoire Kaufmann est le développement dune thèse Sciences Po inspirée par Michel Winock (qui avait publié un article biographique sur Drumont dans un recueil) et menée sous la direction de Jean-Pierre Azéma. Il procède évidemment en grande partie aussi des premiers travaux sur les origines de lantisémitisme dans la droite nationale en France des historiens Beau de Loménie (auteur dun militant mais intéressant et très documenté Responsabilités des dynasties bourgeoises) et de Zeev Sternhell (auteur du remarqué en son temps La Droite révolutionnaire). Une originalité de Kauffman est de fournir pour la première fois un vaste appareil de notes et bibliographie, avec sérieux pour autant quon puisse en juger (chez les bouquinistes ou en bibliothèque) ; cest donc une étude fouillée et documentée.
Nicolas Plagne ( Mis en ligne le 16/07/2008 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:A l'école de l'Action française de François Huguenin Charles Maurras de Bruno Goyet La Droite révolutionnaire, 1885-1914 de Zeev Sternhell | | |
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