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Permanence d'un débat
Bernard Bruneteau   Le Totalitarisme - Origines d'un concept, genèse d'un débat. 1930-1942
Cerf - Politique 2010 /  38 € - 248.9 ffr. / 491 pages
ISBN : 978-2-204-09208-1
FORMAT : 13,6cm x 21,5cm
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L'historien Bernard Bruneteau, qui s'est spécialisé sur les génocides du XXe siècle et les régimes qui les ont perpétrés, revient ici sur le concept de totalitarisme, aujourd'hui encore très controversé, en publiant une somme d'articles rédigés sur le sujet entre 1930 et 1942.

L'objectif de l'entreprise est double : d'une part, comme le suggère le sous-titre, Origines d'un concept, genèses d'un débat, il s'agit de démontrer que la notion de totalitarisme n'est pas comme on l'a souvent prétendu issue des combats idéologiques de la Guerre froide, mais que dès l'apparition des régimes dits totalitaires, maints intellectuels les identifièrent comme tels et tentèrent d'en définir les particularités. D'autre part, le retour aux sources du débat permet de défendre la pertinence d'une comparaison entre les régimes fasciste, nazi et communiste, qu'une partie des intellectuels a toujours combattue.

Toute tentative d'étude comparative entre ces régimes a en effet longtemps été jugée scandaleuse : sur le plan idéologique, il ne pouvait y avoir de collusion possible entre le régime communiste à prétention égalitaire et universaliste, et le régime nazi, raciste et particulariste ; sur le plan des crimes commis, chercher à en comparer la nature et le nombre reviendrait en fait à banaliser la Shoah en remettant en cause le principe de son unicité. Par ailleurs, l'idée que les violences n'étaient que circonstancielles dans le régime communiste, alors qu'elles étaient consubstantielles aux régimes nazi et fasciste a permis à toute une «historiographie engagée» (p.21) d'affirmer que le communisme n'avait commis que des «erreurs» quand les régimes fascistes s'étaient rendus coupables de «crimes».

Pour dépasser ces débats, Bernard Bruneteau juge indispensable de revenir sur le contexte d'émergence de la notion de totalitarisme, soit la période de l'entre-deux-guerres, pendant laquelle des auteurs gravitant dans des sphères intellectuelles variées ont tenté une première catégorisation du concept, alors même que le nombre des victimes du stalinisme était encore méconnu et que la Shoah n'avait pas eu lieu. Le corpus proposé met ainsi en lumière une cinquantaine d'auteurs parfois méconnus ou oubliés aujourd'hui, journalistes, philosophes, sociologues, juristes et économistes, provenant d'horizons politiques divers - sympathisants communistes, libéraux démocrates ou catholiques militants - , qui ont dans leurs écrits identifié la singularité de ces régimes naissants et jeté les bases d'une définition du totalitarisme.

Il n'en ressort bien évidemment pas une vision uniforme du concept, mais tous ces auteurs relèvent dans ces nouveaux régimes des caractéristiques qui ne peuvent plus les apparenter aux dictatures ou régimes autoritaires traditionnels : les trois régimes se retrouvent sur le plan de leurs principes innovants, celui du chef et de la religion de l'État-parti ; ils apparaissent inédits également dans leurs pratiques, la direction de l'économie, une totale déconstruction du droit et l'institutionnalisation de la terreur.

L'exercice comparatif n'aboutit pour autant pas, pour la plupart des auteurs, à une identification des trois régimes. Si l'idée d'une convergence globale justifie la création du concept de totalitarisme, la plupart des observateurs admettent son caractère pluriel en reconnaissant différents degrés de l'État totalitaire, selon son intensité. Ici les interprétations des auteurs divergent : pour certains, le totalitarisme voyait sa pleine réalisation dans la Russie soviétique, parce qu'elle semblait la seule à avoir réussi son emprise sur tous les domaines de l'existence, politique, spirituel et économique. Pour d'autres au contraire, le fascisme et le nazisme représentaient déjà un danger plus grand que l'URSS dont le projet rationaliste et universaliste en faisait malgré tout l'héritière des Lumières.

On ne trouvera pas dans ce corpus datant de l'entre-deux-guerres, et pour cause, de comparaison du nombre de victimes des terreurs nazie et communiste, mais à l'instar de François Furet, Ernst Nolte et Stéphane Courtois, Bruneteau dénonce la mauvaise foi qu'il y aurait à singulariser la barbarie du fascisme par rapport à la terreur de masse stalinienne : si l'on admet que le nazisme et le stalinisme, en tant que régimes totalitaires, contenaient dans leurs germes la violence responsable des millions de victimes qu'ils ont engendrées, alors la comparaison des chiffres devient non seulement possible mais nécessaire, quitte à rendre caduque la thèse de l'unicité de la Shoah, et très secondaire les différences idéologiques de base entre communisme et fascisme.

Cette relecture des premiers textes ayant identifié le ou les totalitarismes est à plus d'un point de vue passionnante, mais les conclusions qu'en tire Bruneteau dès son introduction – à savoir la légitimité d'une comparaison entre les régimes totalitaires – ne manqueront pas de relancer la polémique. Car aussi lucides qu'aient été les auteurs de l'entre-deux-guerres cités par Bruneteau, il manquait à leur grille d'étude un élément aussi fondamental que le projet génocidaire nazi, qui ne saurait passer pour anecdotique, et qui légitime encore aujourd'hui le refus d'un certain nombre d'historiens de mettre sur le même plan les victimes du régime nazi et celles du régime soviétique, aussi nombreuses qu'elles aient pu être. Si la violence a été utilisée avec autant d'outrance dans les trois régimes, elle reste conçue comme un moyen dans le régime soviétique, quand, louée et revendiquée dans les régimes fasciste et nazi, elle constitue une fin en soi. On peut estimer au regard du nombre des victimes que cette différence est finalement dérisoire. Ou pas. Il n'est en tout cas pas certain à ce titre que la somme de Bernard Bruneteau suffise à trancher le débat.


Natacha Milkoff
( Mis en ligne le 09/11/2010 )
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