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Histoire & Sciences sociales -> Science Politique |
| François Hourmant François Mitterrand, le pouvoir et la plume - Portrait d'un président en écrivain PUF - Le noeud gordien 2010 / 25 € - 163.75 ffr. / 237 pages ISBN : 978-2-13-058434-6 FORMAT : 15cm x 21,7cm
L'auteur du compte rendu : Agrégé et docteur en histoire, Alexandre Dupilet est professeur dans le secondaire. Imprimer
Au cours dun entretien avec le psychanalyste Ali Magoudi au milieu des années 80, François Mitterrand confessa que, depuis son accession à la présidence de la République, il menait une vie des plus austères, ne sautorisant guère quun seul luxe : celui de flâner de temps à autre chez les bouquinistes et les libraires du quartier Saint-Germain à la recherche de livres rares ou déditions originales. Chez lancien chef dÉtat, lhomme politique néclipsait jamais longtemps le bibliophile, lhomme de lettres, si bien que François Mitterrand est passé à la postérité sous le double statut de politique et décrivain.
Cest cette dernière facette de sa personnalité, magnifiée par le portrait officiel de Gisèle Freund, que tente déclairer, dans cet essai, François Hourmant. Il sattache ainsi à montrer comment François Mitterrand sut jouer de sa passion pour la littérature pour se fabriquer une identité décrivain et sinterroge, de manière plus générale, sur les relations entre pouvoir et littérature et sur limportance de la symbolique lettrée dans le monde politique. Organisant son analyse autour des étapes majeures qui ont jalonné la carrière politique de lancien président, lauteur met à jour les procédés employés pour élaborer cette posture littéraire.
Cest avec la publication de La Paille et le Grain en 1975, puis celle de LAbeille et lArchitecte en 1978, que celui qui était alors premier secrétaire du Parti socialiste commença à être considéré comme un véritable auteur. Ces essais nétaient pas seulement des ouvrages politiques ; François Mitterrand sy interrogeait sur son rapport à lécriture, jouant des clichés littéraires (lurgence et la difficulté décrire, limportance de linspiration) pour simposer en tant quécrivain. «Bonheur décrire, culture fulgurante, sagesse à la Montesquieu, charme des paysages de la mémoire, éblouissement devant la vie, ce livre, à la suite de La Paille et le Grain, fait partie des uvres qui échappent au temps», nhésitait pas à affirmer léditeur de LAbeille et lArchitecte en quatrième de couverture. Laventurier qui franchissait les grilles des jardins de lObservatoire seffaçait devant lhomme à la force tranquille désormais prêt à assumer les plus hautes fonctions. Les relations privilégiées que François Mitterrand ne cessa de cultiver avec le monde des lettres, limportance quil accorda à la culture et à la littérature par le biais de mesures comme le prix unique du livre, son brio lorsquil était convié à évoquer ses lectures favorites, comme en témoigne un numéro mémorable dApostrophes tourné en 1975, confortèrent cette image décrivain.
François Hourmant revient aussi sur La Lettre à tous les Français, publiée dans le cadre de la campagne de 1988, véritable accomplissement de la «littérarisation de la posture mitterrandienne». Plus quen candidat, cest en écrivain que François Mitterrand sadressa à ses électeurs. Et plus quen programme de gouvernement, cest en uvre littéraire, au terme dune campagne de communication savamment orchestrée, que fut reçu cet opuscule. Tout au long de louvrage, lauteur met en évidence le rôle capital joué par les commentateurs politiques et les critiques littéraires, qui, à lexception de quelques-uns, relayèrent, sans véritablement la questionner, cette posture dhomme de lettres, encensèrent la prose mitterrandienne et consacrèrent le président grand écrivain ; François Nourrissier voyait même en lui un «Chateaubriand sous le leader au repos», formule faussement inspirée qui en dit long sur la comédie littéraire qui se jouait alors.
François Hourmant met également en évidence les diverses raisons qui amenèrent François Mitterrand à endosser cette posture. Son goût sincère pour la littérature ny était pas étranger mais les raisons électorales ne doivent pas être minorées. En se présentant comme auteur, François Mitterrand prenait le contre-pied de son adversaire de lépoque, Valéry Giscard dEstaing, qui cultivait alors une image de technocrate froid et responsable. Cette enquête montre aussi que les hommes politiques de la Ve République aspirant à devenir président nont guère le choix : en simposant comme grand écrivain avec les Mémoires de guerre, en réactualisant une tradition française qui veut que lautorité politique aille de concert avec lexcellence stylistique, le général de Gaulle obligeait ses successeurs à suivre ses pas. En revanche, François Hourmant se refuse, prudemment, à émettre un jugement sur les véritables qualités décrivain de François Mitterrand. Aussi en est-on toujours à se demander au terme de cet ouvrage, si cette identité littéraire nétait quune posture ou si elle comportait une part de vérité.
Sappuyant sur une vaste bibliographie parfaitement maîtrisée, François Hourmant livre ici une étude remarquable, qui est néanmoins dun accès difficile : le vocabulaire employé, fort riche mais aussi très lourd, nuit à la fluidité de la lecture et à la clarté de la démonstration. En voulant élargir son sujet, lauteur sautorise des digressions (par exemple sur lattachement de François Mitterrand au protocole, sur la symbolique de ses doubles funérailles) qui égarent le lecteur. Malgré ces quelques réserves, on se réjouit de constater, quaux côtés de journalistes en mal de scoops et danciens conseillers désuvrés, dont les ouvrages ne manqueront pas doccuper les têtes de gondole lan prochain pour le trentième anniversaire de larrivée de la gauche au pouvoir et le quinzième anniversaire de la mort de lancien chef dÉtat, le milieu universitaire se soit emparé de François Mitterrand comme véritable objet détude, le faisant enfin entrer dans lHistoire.
Alexandre Dupilet ( Mis en ligne le 09/11/2010 ) Imprimer
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Ailleurs sur le web :Extrait de l'émission Apostrophe de 1975 sur le site de l'INA : | | |
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