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Histoire & Sciences sociales -> Science Politique |
| Frédéric Dufoing L’Écologie radicale - ''Illico'', n°31 Editions Infolio - Illico 2012 / 10 € - 65.5 ffr. / 158 pages ISBN : 978-2-88474-944-2 FORMAT : 11,1cm x 17,5cm
Frédéric Dufoing collabore à Parutions.com
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Sil est un corpus idéologique difficile à circonscrire dans la pluralité de ses dimensions et de ses applications (couvrant un éventail qui sétend du niveau métapolitique à des comportements citoyens quotidiens, en passant par des discussions parlementaires et la spéculation sur les futuribles de notre espèce), cest sans conteste celui de lécologisme. Le philosophe et politologue belge Frédéric Dufoing déjà remarqué pour ses excellentes analyses des mécanismes de la modernité publiés naguère dans la revue de critique Jibrile nous offre dapprocher le sujet par la bande, avec un essai stimulant quil a choisi de focaliser sur un versant méconnu de la question : lexpression de sa radicalité. Nourrie par une bibliositographie exhaustive qui déborde largement de lespace francophone, sa réflexion nen fait pas moins léconomie dun didactisme sans faille, indispensable à la compréhension fine des lignes de force qui traversent lécologisme.
Il aura fallu à lessayiste un considérable travail de débroussaillage préalable à lexamen des auteurs et des visions quil a retenus. En effet, la notion décologisme, plus que nimporte quel «-isme» sans doute, doit pour exister se positionner en permanence par rapport à deux concepts fondamentaux de notre identité humaine : la nature et la culture. La richesse sémantique des diverses dérivations du terme témoigne des louvoiements, bifurcations et dissidences qui ont marqué son évolution. Le premier mérite de Frédéric Dufoing est donc détablir de quoi il parle. Pour ce faire, il propose en amont une très convaincante définition de l«idéologie», soit «une vision du monde ayant des objectifs socio-politiques et partagée par un groupe, constituée à la fois de valeurs, de schèmes explicatifs (ou de scénarios), de référents historiques, culturels et même parfois mythiques (ou religieux) qui se donnent sens au travers des rapports quils entretiennent les uns avec les autres». Cette précaution herméneutique va lui permettre dinscrire son propos dans un cadre parfaitement clair et de pouvoir mieux situer les figures marquantes de lécologie radicale, de ses inspirateurs à ses activistes.
Deuxième étape, la désambigüisation des mots. Frédéric Dufoing dédie ainsi quelques pages à distinguer lécologie (mot apparu chez le naturaliste Ernest Haeckel en 1866 et désignant une discipline scientifique consacrée à létude dun milieu) de lécologisme (idéologie politique) et de lenvironnementalisme (qui relève plutôt dun réflexe de préservation et, par là, dattitudes pragmatiques). Vient ensuite lévocation des origines et des facettes de lécologisme, et là non plus le faisceau des critères de discrimination nest pas aisé à rassembler. Après avoir posé quelques jalons chronologiques (mythe de lArcadie dépeint par Daniel Worster ; premières atteintes à la biodiversité du fait du green imperialism inhérent aux sociétés coloniales ; apports décrivains à travers des dystopies littéraires ou le récit dexpériences personnelles telle que celle de Henry David Thoreau, retiré à Walden), Frédéric Dufoing confronte lécologisme avec les idées de progrès et de modernité.
Les clivages fondateurs de lécologisme sont dès lors tracés, entre écocentrisme dune part (protection intégrale et inconditionnelle de la nature) et anthropocentrisme dautre part (gestion des ressources naturelles en faveur des intérêts humains), ou encore attention à léthique individuelle pure versus nécessité de sorganiser en collectivités respectueuses de lenvironnement. Les concepts se font discours du moment où ils sarriment à des thématiques, elles-mêmes articulées à leur contexte socio-historique : dans le cas de lécologisme, les sujets de débats seront, tout au long du XXe siècle jusquà nos jours, la lutte contre le nucléaire, les désastres de la pollution, la dénonciation de la «déshumanisation grasse» imputable à lhubris consumériste, la protection des minorités, etc. Lécologisme se dégage de limagerie idyllique, pastorale et gentiment naïve où voudraient le cantonner ses détracteurs, pour investir pleinement le champ de la réflexion sociale, relative à lOccident mais aussi aux rapports de cette aire civilisationnelle avec les pays dits «émergents».
Comme si laffaire nétait pas encore assez complexe, il sagit de saisir également les développements de lécologie de part et dautre de lAtlantique. Et pour cause : «Alors que limaginaire américain oppose une nature sauvage intouchée [
] à lhomme (civilisé), limaginaire européen ne peut concevoir la nature que comme déjà marquée, produite par lactivité humaine ; lidentité respective et les rapports entre les deux pôles sont donc ambivalents. Dautre part, lécologisme européen est beaucoup plus axé sur des thématiques sociopolitiques que celui du nouveau continent, plus éthique, parfois spiritualiste». À partir des années 90, ces traditions vont se croiser et se fertiliser. Frédéric Dufoing dénombre huit avatars majeurs dans l'écologisme, allant des plus libertaires et hédonistes aux plus conscientisés et à visée holiste. Tous ont en commun une critique de fond de la société industrielle et des modes de vie délétères quelle induit. Chacun envisage différemment les réalisations concrètes de ses objectifs, les accommodements possibles ou non avec lÉtat, le recours raisonné à la technique ou son abandon total. Certains nhésitent pas à verser dans lillégalité, voire dans une forme particulièrement atypique de terrorisme (on pense au fameux Unabomber, qui constitue à lui seul un cas décole).
Cinq courants radicaux sont disséqués, tous plus étonnants les uns que les autres, dautant quils sont en grande part importés de cette exoplanète que sont les États-Unis. Il en va ainsi pour lécologie profonde (traduction de deep ecology) et le biorégionalisme, pour lanarcho-primitivisme de Zerzan ou lécologie sociale de Bookchin. Le décroissantisme est certes quant à lui bien implanté depuis deux décennies dans lHexagone, mais on redécouvrira ici les véritables tenants et aboutissants de son message de «simplicité volontaire». Enfin, Frédéric Dufoing, en passeur passionné, est lun des premiers à introduire auprès du public francophone lécologisme agrarien de Wendell Berry, qui «réalise larticulation cohérente du fond conservateur de lécologisme, pleinement assumé, quoique de manière nuancée, avec les exigences de liberté civique proches de celles du libéralisme et un imaginaire, une logique de relativisme culturel ainsi que des critiques très proches de celles de laltermondialisme des années 1990».
On laura compris, louvrage de Frédéric Dufoing brosse le panorama qui était attendu sur un thème au demeurant délicat (qui, osant ne fût-ce que citer le terme de «radicalité» à notre époque frileuse, nest quelque peu suspect ?). Sa plume de polémiste, que lon sent frémir au détour dune phrase, dune allusion, dune botte en touche, ne déforce jamais lobjectivité et la probité intellectuelle avec lesquelles il aborde les multiples ramifications de son sujet. Et lécologisme dy gagner, sinon un héraut supplémentaire, du moins lun de ses scrutateurs les mieux avisés.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 13/03/2012 ) Imprimer | | |
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