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Histoire & Sciences sociales -> Science Politique |
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Droit civil et civilisation | | | Philippe Malaurie Dictionnaire d’un droit humaniste LGDJ 2015 / 25 € - 163.75 ffr. / 273 pages ISBN : 978-2-275-04687-7 FORMAT : 14,5 cm × 22,0 cm
Maddy Cornu (Illustrateur)
L'auteur du compte rendu : Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, Agrégé d'histoire, Docteur ès lettres, sciences humaines et sociales, Nicolas Plagne est l'auteur d'une thèse sur les origines de l'Etat dans la mémoire collective russe. Il enseigne dans un lycée des environs de Rouen. Imprimer
Inconnu du grand public, Philippe Malaurie est une figure célèbre et populaire de luniversité dAssas et un professeur de droit civil respecté dans la profession. Auteur de manuels bien connus des étudiants et de ses collègues, mais aussi darticles et conférences ainsi que dautres ouvrages relevant du genre de lessai engagé, cest avant tout un grand professeur soucieux de pédagogie et passionné par lenseignement du droit civil, le cur du droit (il déteste, dit-il parfois, le droit administratif) ; doté dune faconde remarquable et dun humour solide réjouissant les amphithéâtres, le professeur à nuds papillon a mis pendant des décennies son élégante fantaisie verbale et vestimentaire au service dune conception un peu «conservatrice» du droit, traitant dailleurs sans tabou tous les sujets. Car, aime-t-il à répéter : le droit est partout et soccupe de tout ; il nous concerne donc tous, que nous le sachions ou non ! Convaincu de cette idée, il sest même risqué à la vulgarisation amusante, publiant un Droit civil illustré, avec le dessinateur Philippe Delestre chez Defrénois en 2011 ; cette année, il réédite lexercice avec un texte assez proche, en substance et pour lesprit, illustré par Maddy Cornu : cest ce Dictionnaire dun droit humaniste, que co-éditent luniversité dont il est professeur émérite (Assas) et la grande maison juridique quest la Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence : un gage de sérieux pour ce livre dont le titre pourrait laisser penser quil est sentimental et les illustrations quil relève du genre de la BD façon «le droit pour les Nuls». Or il sagit plutôt dune défense et illustration sans notes en bas de page de lhumanisme en droit et du droit au service de lhumanisme, pour tout dire dune vision morale de la société dont le droit par vocation et destination serait le défenseur, même sil népuise pas de loin la profondeur morale de lexistence ni la signification éthique de la société.
Autant prévenir le lecteur qui ne sen douterait pas : Philippe Malaurie est un juriste conservateur, peut-être un peu «réactionnaire» et son idée de lhumanisme puise ses sources principalement dans la tradition chrétienne de lEurope, elle-même enracinée dans la Bible juive et lévangile dune part, dans lhumanisme païen grec et romain dautre part. Visiblement catholique, Malaurie ne répugne pas à citer, outre lEcriture sainte, son collègue, le célèbre «Doyen» (Jean) Carbonnier, protestant notoire, et même lex-grand rabbin Bernheim (le plagiaire !)
pour défendre le mariage comme institution fondatrice de la société contre la Loi Taubira sur le mariage «dit pour tous». Cest que le mariage à proprement parler articule la communauté de vie basée sur le consentement, lamour et la sexualité et la succession des générations. Le mariage nest pas seulement une question de concubinage et de sexualité, cest une institution durable par nature et de volonté liée à la fondation de la famille, même si la stérilité accidentelle peut empêcher la procréation normalement naturelle. Or cela nest possible que pour le couple «hétérosexuel». Du moins jusquà une mutation anthropologique aux conséquences dangereuses, banalisant la procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui, les suites prévisibles de la légalisation du mariage homosexuel
Quoi quon pense de cette position, argumentée loyalement, on ne peut reprocher à Philippe Malaurie davancer masqué ni desquiver les questions dactualité !
Cest justement son dessein de plaider pour lhumanisme occidental, quil rapproche dailleurs des grandes traditions et sagesses traitées par les philosophes, historiens et ethnologues ; sans appuyer lourdement sur sa foi, quon devine, mais qui reste discrète et qui sexprime souvent par la bouche des poètes ou la citation des saints, Malaurie se réfère à une sorte de fond commun anthropologique des sociétés, tout en revendiquant lidentité chrétienne au fond de lhumanisme européen, même laïque. Et mariage, famille, respect des faibles et des malades («handicap»), de lenfant, du pauvre et du vieillard, respect du mourant et des morts («fin de vie, euthanasie») sont le cur éthique personnaliste de cette identité. Une personne qui justement ne peut être chosifiée et transformée en marchandise, car si on ne parle pas en droit de son âme, elle est quand même douée desprit, de raison à partir dun certain âge, avec une vocation à létat dadulte libre et responsable ; ce qui implique aussi la volonté et donc le respect de cette dernière, tant quelle ne viole pas les droits légitimes des autres sujets de droit !
Cest la différence justement entre lhomme et lanimal, dont Malaurie rappelle quil a certains droits selon la loi et quil est protégé contre les traitements cruels, tout en précisant quil faut distinguer en droit les catégories danimaux. Mais lanimal à proprement parler nest pas une personne pour la Bible comme pour le droit français ou occidental. Cest un vivant doué de sensibilité sur qui lhomme agriculteur ou chasseur a pouvoir et garde, depuis le jardin dEden. On devrait lui laisser vivre une existence conforme aux besoins de sa nature, dans un environnement adapté. On considère même quon doit agir pour sauver les espèces menacées et en préserver lenvironnement et que nous partageons avec les animaux la vie sur une planète fragile. Mais on na pas encore supprimé lidée danimaux nuisibles ou dangereux. Malaurie note dailleurs que la corrida est encore autorisée, au nom des traditions locales, de la culture ! Le droit a ses incohérences qui sont celles de la société et de ses débats de valeurs ! Mais attention à lexcès sur les droits des animaux. A quand lanimalophobie ?
Larticle «animal» qui ouvre, après «abus des droits», le dictionnaire offre donc un cas-limite qui sert à penser lhumanisme. Malaurie expose donc sous forme dune sélection darticles classés par ordre alphabétique les notions fondamentales du droit civil, qui est la vraie constitution civile dun pays, selon lexpression de feu Jean Carbonnier. Après lanimal, le bien et les biens ! Suivant la distinction de lêtre et de lavoir, Malaurie rappelle que si le droit protège nos biens matériels et autres propriétés et richesses, les vrais biens ont plus à voir avec lêtre de la personne, qui est aussi protégé par les lois. Bien entendu, suivant la distinction de Péguy entre pauvreté et misère, Malaurie reconnaît quil y a un dénuement matériel qui est dégradant pour la personne. Comme une démesure dans la fortune aliène le super-riche. Lhumanisme dit que lhomme ne vit pas que de pain et dargent (!) et quil faut se garder des excès ! Lhybris et labus mènent à la ruine. Lhumanisme est équilibre et respect des autres.
Tout cela avait été vu par les Romains, doù nous viennent tant de notions, dadages, de règles et didées du droit. Notamment lidée que lexcès de droit est injustice et que lexcès de loi et corruption de lEtat ! Evidemment, parmi les héritages romains, celui dobligation des personnes et notamment du «contrat» : «la plus nécessaire de toutes les institutions», «le contrat cest la rencontre». Sans oublier la tradition chrétienne de la bonne foi et donc de la morale dans les obligations civiles (thème du doyen Georges Ripert autrefois). Le droit, népuisant pas la vie morale ni surtout la vie intérieure, spirituelle, ne peut cependant évacuer la référence à la relation morale entre des sujets libres responsables de leurs actes et donc sujets à la sanction des juges. Dans tout droit, il y a implicitement une idée de la transcendance et la référence à des valeurs partagées. Même si le droit se limite à des relations extérieures entre ces volontés et ne doit surtout pas vouloir tout contrôler et juger, il manifeste la dimension éthique de la société, dont il vise à protéger la survie. Avec parfois des effets pervers
On trouvera aussi dans ce dictionnaire des articles consacrés au Code civil, à la Loi, à linflation législative, aux droits de lHomme, à la justice, à la doctrine (le droit comme discipline enseignée), à la jurisprudence (le droit comme tradition mouvante dinterprétation), etc. Quoi quon pense de ses options, par son talent pédagogique, Philippe Malaurie rend accessibles les enjeux du droit et donne une image vivante dune discipline souvent considérée comme aride, arbitraire et purement formaliste. Contre le positivisme technicien, faussement objectif ou neutre sur le plan moral, contre aussi les tendances dominantes du relativisme post-moderne certes, Malaurie montre lenracinement historique et métaphysique, la cohérence de pensée aussi du droit et sa dimension axiologique. Une société a le droit quelle se donne et quelle mérite ; si elle détruit par mode et pour répondre à des demandes sociales infondées lhéritage dune sage évolution organique, elle en subira aussi des conséquences fâcheuses. Cest pourquoi, conscient de ces enjeux de civilisation, lhumanisme juridique y livre bataille avec panache !
Nicolas Plagne ( Mis en ligne le 03/11/2015 ) Imprimer | | |
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