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L'exercice d'une pensée
Jacques Rancière   Chroniques des temps consensuels
Seuil - La librairie du XXIe siècle 2005 /  20 € - 131 ffr. / 208 pages
ISBN : 2-02-082073-0
FORMAT : 14,0cm x 22,5cm
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Adimante, s'adressant à Socrate, avançait un doute, une suspicion, à propos des philosophes et notamment des plus doués pour "pratiquer la philosophie" : "en raison même de cette occupation dont tu fais l'éloge, ils souffrent de quelque affection qui les rend inutiles au service des cités." (La République, Platon). Une partie de la jeunesse se consacrant trop longtemps à la philosophie pouvait devenir, toujours selon Adimante, "des personnes tout à fait étranges, pour ne pas dire de vrais pervers." Cette suspicion ancienne connut des fortunes diverses selon les périodes. Elle fonde un registre de discours toujours soucieux de rappeler qu'il existe un bon usage de la philosophie, entendons un usage modéré, qui vise en premier lieu à reconnaître les limites quasi naturelles du propos philosophique.

Jacques Rancière est un philosophe profond et discret. Profond, parce qu'il sait depuis bientôt trente ans tracer des sillons, prolonger les interrogations d'un ouvrage par un autre ouvrage, poursuivre l'énigme démocratique (de son apparition/disparition) dans la philosophie politique classique ou dans les pratiques éducatives. Discret, parce que ses interventions ne cherchent jamais à reprendre les mots des autres pour établir le spectacle d'un soi-disant dialogue ou d'une vaine polémique – plus ou moins médiatiquement rentables. Les perspectives de Jacques Rancière sont lointaines. Il n'y a là aucun détachement, mais bien plutôt une façon de ne jamais se laisser embarquer.

A quoi peut être utile la philosophie, demandait Adimante ? Ne faut-il pas se méfier de ceux qui s'y adonnent trop et trop longtemps ? La publication de ce recueil de courtes chroniques de Jacques Rancière pourrait proposer une réponse : marquer un temps, celui de la réflexion bien sûr, pour ne pas nous laisser nous embarquer par la doxa de notre époque. A la manière d'une enquête sur nos "temps consensuels", Rancière propose d'examiner dans différents domaines ce qui "insensiblement" (mais le mot ici est bien maladroit) tend à disparaître : la démocratie elle-même. Il faut d'abord s'entendre sur le terme de "consensus". Nous sommes enclins à nous réjouir de la fin des batailles idéologiques, prompts à célébrer une ère consensuelle, gage de la pacification des rapports sociaux et d'une nouvelle sagesse enfin commune. Le consensus célèbre les "petites différences" ; celles qu'il faut agiter pour échapper à l'ennui, mais celles aussi qu'il faut maintenir à leur dimension pour ne jamais perturber l'ordre et la raison du moment.

Ecrites entre 1996 et 2005, ces chroniques évoquent pourtant des temps traversés par la guerre et l'épuration, par le racisme et l'exclusion. Car le consensus, selon Jacques Rancière, n'est pas un régime de plaisirs simples d'une société débarrassée des grandes espérances, il est un régime "sensible" d'interprétation de ce qui est. Par cela, il permet de maintenir un discours de pacification au moment même où la guerre fait rage. Des guerres sans nom, à l'instar de la guerre du Golfe.

La peinture, le cinéma, l'Europe, Foucault, Lévi-Strauss, la guerre du Golfe, les élections présidentielles de 2002, etc. sont autant de sujets qui permettent à l'auteur de souligner les glissements de sens et les modes actuels d'interprétation. Dans cet exercice d'une pensée on retrouve évidemment les thèmes chers à Jacques Rancière : le dévoilement des fausses oppositions, la figure du peuple devenu ennemi de la démocratie, le refus de l'histoire, le statut des images… On retrouve aussi cette affirmation si fondamentale dans sa pensée, et encore récemment développée dans La Haine de la démocratie (La Fabrique éditions) : "La démocratie est la forme de gouvernement qui repose sur l'idée que nul individu et nul groupe n'ont de titre à gouverner les autres" (p.180).

Si, comme le dit Jacques Rancière, le consensus "ne nous demande qu'à consentir", à l'image du récent référendum où si un "oui" et un "non" nous sont proposés, l'alternative nous est refusée, il y a un grand intérêt et une forme d'urgence à prendre le temps de philosopher un peu. L'enjeu n'est pas mince, puisque réintroduire de la politique pourrait bien être ce à quoi servent ces Chroniques des temps consensuels.


Guy Dreux
( Mis en ligne le 06/01/2006 )
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