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Histoire & Sciences sociales -> Science Politique |
| Sophie Coignard Le Marchand de sable Albin Michel 2006 / 17.50 € - 114.63 ffr. / 224 pages ISBN : 2-226-17086-3 FORMAT : 14,5cm x 22,5cm
L'auteur du compte rendu : Mathieu Zagrodzki est diplômé en droit privé de lUniversité Paris II et de Sciences Po Paris. Il est actuellement doctorant au sein du Pôle Action Publique du Centre de Recherches Politiques de Sciences-Po (CEVIPOF). Imprimer
Un passage de lombre à la lumière. Voilà comment était présentée lélection de Bertrand Delanoë à la mairie de Paris, après une ère Tibéri marquée par les affaires judiciaires et les guerres de clans au sein de la droite. De lombre à la lumière, une trajectoire qui ressemble également à celle du nouvel édile, chef relativement anonyme de la minorité socialiste au conseil municipal pendant des années, projeté du jour au lendemain sur le devant de la scène politico-médiatique. Lenquête menée par Sophie Coignard au sein du système Delanoë, cinq ans après son élection, montre toutefois que la rupture tant revendiquée par rapport au mandat de Jean Tibéri est loin dêtre évidente. En effet, les talents de lactuel maire de Paris relèvent plus, daprès lauteur de LOmerta française, de lillusionnisme que de laction.
Le tour de magie le plus spectaculaire de Bertrand Delanoë est davoir réussi à persuader lopinion publique et la presse de la qualité de son bilan. Logement, circulation, pollution, crèches, démocratie locale, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes daprès les nombreux communiqués de presse diffusés par le service communication de M. le Maire. La réalité décrite par Sophie Coignard, entre maquillage des chiffres, démagogie et intoxication médiatique, nest malheureusement pas aussi rose. Lambitieuse politique de relance du logement social dans une capitale où le prix de limmobilier a explosé ces dernières années nest que poudre aux yeux. Si les quelques projets de construction et de rénovation sont insuffisants pour modifier la situation de manière significative, la stratégie dacquisition dimmeubles par la municipalité constitue quant à elle la quintessence dun certain cynisme politique. Occupés à 80 %, ces appartements acquis ne permettent pas de loger des familles modestes à un rythme aussi rapide quespéré, eu égard aux besoins et aux sommes dépensées. La tactique employée par la mairie est donc simple : persécuter les anciens occupants de ces immeubles, en laissant notamment ces derniers se dégrader ou en augmentant les charges, afin de les forcer à partir et pouvoir ainsi les remplacer par des personnes en attente dun logement social. La situation catastrophique de la circulation à Paris est un autre exemple de ce décalage entre affichage politique et réalité. La «bunkerisation» de Paris à coup de béton, de feux, de couloirs de bus et dinversion des sens de circulation na fait quaggraver les bouchons dans la capitale, et par conséquent la pollution atmosphérique et sonore
Sans parler de lillusion de démocratie locale que constitue la création de différents conseils locaux, observatoires et autres comités sans pouvoirs réels, les projets les plus importants, comme la rénovation des Halles, se faisant sans concertation.
Deuxième tour de magie, la supposée rupture avec le clientélisme et le manque de transparence de lère Tibéri. Entre les subventions versées à certaines associations homosexuelles très controversées, dont la non mixte ARCL (Archives, Recherches et Cultures Lesbiennes) ou le Centre gay et lesbien, qui a licencié son Directeur Général pour cause
dhétérosexualité, le copinage avec certaines personnalités issues du showbiz (lexemple de lattribution de la concession dune salle classée monument historique au comique Elie Semoun afin quil y ouvre un bar est à cet égard symbolique), la reconduction dans des circonstances douteuses des marchés publics de leau et du ramassage des ordures au profit du duopole Lyonnaise/Générale des Eaux, le chouchoutage de la CGT pour éviter tout mouvement social à lapproche de lattribution des Jeux Olympiques de 2012 ou encore les contrats de partenariat signés avec des groupes industriels comme Coca-cola, on saperçoit que le «changement dère» nest quun slogan, tant ces pratiques nont rien à envier à celles du clan corse qui a tenu la ville pendant six ans. Sans oublier que Bertrand Delanoë se garde bien de rappeler que des projets comme le tramway, la rénovation du Petit Palais et la passerelle Bercy-Tolbiac, que lactuel maire présente comme des succès de son mandat, ont été lancés par son prédécesseur.
Comment donc le natif de Bizerte fait-il pour tromper de la sorte la vigilance des médias et des électeurs ? La réponse est simple selon Sophie Coignard : une stratégie de communication bien rôdée, qui parvient à faire oublier lessentiel en focalisant lattention sur le secondaire. Tout dabord, tout est fait pour donner dun maire en réalité caractériel et mégalomane une image simple, humaine et compassionnelle. Un exemple : linsistance sur son éphémère carrière dans la publicité, qui lui permet de se démarquer des technocrates qui ont colonisé la scène politique française et de faire oublier son parcours dapparatchik au sein du Parti Socialiste. Ensuite, un service communication qui distille quatre fois plus de communiqués de presse par rapport à lépoque précédente, et lambiance de fête permanente (Paris Plage, Nuit Blanche, Fête des Voisins, Fête du Pain, Fête des Arbres, Concours des fenêtres, cours et balcons fleuris
) qui caractérise le mandat de Delanoë sont autant de manières de faire oublier les sujets qui fâchent. Ajoutons à cela linvention dune «novlangue» politiquement correcte, qui consiste à utiliser à tout bout de champ des mots difficilement critiquables comme «solidaire», «citoyen», «événementiel», «festif», «éthique», «populaire» ou encore «écologique» et lon se rend compte que la politique de communication du maire est une véritable machine de guerre. Machine de guerre efficace jusquici, tant les sondages dopinion révèlent un soutien massif des parisiens envers Bertrand Delanoë, en dépit dune année 2005 marquée par léchec de la candidature parisienne à lorganisation des JO et les dramatiques incendies dimmeubles.
Ironique, drôle, richement documenté, Le Marchand de sable est un essai agréable à lire, malgré quelques passages peu convaincants, comme le chapitre sur lalliance secrète entre Chirac et Delanoë. Si certains thèmes abordés dans le livre, comme le clientélisme à légard de certains groupements homosexuels ou les questions de circulation, lont déjà été dans Pariscide de François Devoucoux du Buysson, paru lan dernier, les redondances ne sont pas trop nombreuses. Ce que la journaliste du Point, qui a rencontré «laccusé Delanoë» à plusieurs reprises, essaie de montrer ici, ce sont les dessous dune mécanique politique et communicationnelle bien huilée, dont les apparences sont bien souvent aux antipodes de la réalité.
La conclusion que lon tire de la lecture du Marchand de sable, sans être nouvelle, ne rend pas optimiste : il suffit de bien maîtriser son image pour être populaire en politique. Le décalage entre discours et action publique nest pas près de disparaître
Mathieu Zagrodzki ( Mis en ligne le 26/04/2006 ) Imprimer | | |
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