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Prendre au sérieux le néolibéralisme
Pierre Dardot   Christian Laval   La Nouvelle raison du monde - Essai sur la société néolibérale
La Découverte 2010 /  13 € - 85.15 ffr. / 498 pages
ISBN : 978-2-7071-6502-2
FORMAT : 12,6cm x 19,1cm

Première publication en janvier 2009 (La Découverte)

L'auteur du compte rendu: Guy Dreux est professeur certifié de Sciences Économiques et Sociales en région parisienne (92). Il est titulaire d'un DEA de sciences politiques sur le retour de l'URSS d'André Gide.

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En 1978, Michel Foucault proposait, dans le cadre de son cours au collège de France, une première généalogie du néolibéralisme (Naissance de la biopolitique). Il le concevait d'emblée, non comme une simple politique économique mais essentiellement comme une nouvelle forme de gouvernement. Parce que le néolibéralisme n'est pas le simple retour (après une période keynésienne) au libéralisme d'antan et parce qu'il n'est pas un produit d'importation anglo-saxon, Michel Foucault insistait sur l'originalité politique et anthropologique du néolibéralisme par rapport au libéralisme (économique ou politique) classique.

Dans les années 1980-1990, les sociétés et économies occidentales ont subi des transformations radicales. Si les critiques, notamment dans les mouvements dits "altermondialistes", de la "déréglementation" et de la "dérégulation", et plus généralement de la "marchandisation du monde", avaient toute leur pertinence et leur légitimité, elles n'ont bien souvent pas réussi à développer une analyse spécifique du phénomène néolibéral. Le plus souvent, ces critiques concevaient notre période comme un des mouvements de balancier de l'histoire, qui font alterner des phases de laisser-faire et des phases d'intervention de l'État. Opposer laisser-faire et intervention de l'État rendait toutefois difficilement compréhensible la permanence de l'action de l'État ou l'inflation législative. Autrement dit, pour beaucoup de critiques, la particularité du néolibéralisme ne résidait que dans le qualificatif que l'on ajoutait au libéralisme classique - "ultra", "pur" ou "financiarisé".

Prendre au sérieux l'originalité du néolibéralisme est précisément la tâche que se sont assignée, dans le cadre de leur séminaire «Question Marx» (dont est déjà issue une publication remarquée sur les thèses de Toni Negri, Sauver Marx ?, en collaboration avec El Mouhoub Mouhoud), Pierre Dardot (philosophe) et Christian Laval (sociologue, auteur notamment de L'Ambition sociologique et de L'Homme économique).

Avec une rare érudition, les auteurs proposent une grande fresque historique du travail d'élaboration de la raison néolibérale (en précisant préalablement les contours et les apports du libéralisme classique) tout en restant attentifs aux différences et nuances entre les auteurs (particulièrement entre les ordolibéraux allemands et les néolibéraux austro-américains), comme entre les discours et les réalités. L'ouvrage est donc à la fois un essai, écrit dans un esprit systématique mais sans forcer les cohérences, et un outil extrêmement riche dans ses références et précis dans ses analyses.

On peut retenir quatre enseignements majeurs : Le néolibéralisme n'est pas le retour au libéralisme classique, il n'en est pas une version "pure" ou "ultra". Le néolibéralisme n'est pas un produit d'importation anglo-saxon ; il a ses sources en Europe. Le néolibéralisme ne se réduit pas à une politique économique, il est une nouvelle forme de gouvernement, une nouvelle gouvernementalité. Le néolibéralisme n'est pas à proprement parler une idéologie mais un système de dispositifs qui entend organiser, ordonner l'ensemble des institutions et des rapports humains selon le principe de la concurrence généralisée. Les auteurs en proposent une définition : "Le néolibéralisme peut se définir comme l'ensemble des discours, des pratiques, des dispositifs qui déterminent un nouveau mode de gouvernement des hommes selon le principe universel de concurrence".

La crise du libéralisme du début du XXe siècle est le moment fondateur du néolibéralisme. Il est alors et avant tout une volonté de rupture avec l'erreur des classiques : celle de croire que le marché est un phénomène naturel, spontané, qui n'appelle donc que le laisser-faire. A l'inverse de leurs prédécesseurs, les néolibéraux affirmeront que le marché est un construit social, qu'il suppose donc une intervention de l'État. L'essentiel est, dans une perspective d'histoire naturelle des hommes et des sociétés issue de Spencer, de construire des espaces et des mécanismes de concurrence dans l'ensemble des institutions sociales et que la concurrence soit la forme pratique de l'ensemble des rapports humains. La question essentielle n'est donc pas celle du plus ou moins d'État mais bien plutôt celle de la conversion de l'intervention l'État sur le mode de la gouvernance des entreprises, conçues comme le modèle absolu de toutes les institutions. L'État devient État entrepreneur, s'applique des règles de droit privé, pour servir un seul objectif : créer partout des situations de marché et de concurrence. Les auteurs s'interrogent finalement sur de nouveaux types de subjectivité, de "néosujets", tant les relations sociales sont affectées par ces stratégies.

La démonstration est d'autant plus saisissante que les auteurs restituent avec précision une histoire au mieux méconnue, sinon cachée, qui montre que la construction européenne est fondamentalement un produit du néolibéralisme. La notion d'"économie sociale de marché", souvent défendue par le Parti socialiste pour présenter les Traités de l'Union européenne comme des "compromis", s'avère être tout au contraire une notion stratégique d'une véritable "politique de société", d'une politique de transformation et de conversion de l'ensemble des rapports humains à l'ordre de la concurrence généralisée.

L'ouvrage de P. Dardot et de C. Laval n'est pas seulement un ouvrage d'érudition. Il est un ouvrage de philosophie politique majeur tant il est essentiel pour nous aujourd'hui de comprendre la nature et la cohérence des transformations radicales qui affectent l'école et l'université, les entreprises privées comme publiques, les hôpitaux, les bibliothèques, les commissariats de police… et finalement nos mœurs. La pire erreur serait de croire que la crise de l'automne 2008 a mis fin quasi naturellement à cet épisode néolibéral en réhabilitant l'intervention de l'État.

La Nouvelle raison du monde est donc un livre indispensable pour penser et prendre part aux prochains débats sur l'Europe et plus largement pour penser une alternative crédible à notre monde malade.


Guy Dreux
( Mis en ligne le 21/09/2010 )
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