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La Théorie mimétique
René Girard   Géométries du désir
L'Herne 2010 /  9.50 € - 62.23 ffr. / 220 pages
ISBN : 978-2-85197-922-3
FORMAT : 10,9cm x 16,4cm
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René Girard (né en 1923), auteur de La Violence et le sacré (1972), Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978), La Voix méconnue du réel (2002), Les Origines de la culture (2004) ou encore de Sanglantes origines (Réed. 2011), anthropologue bien connu maintenant, n'est pas si difficile à lire mais bien plus à comprendre car il remet en cause la nature même du désir humain et son autonomie.

René Girard appréhende le mécanisme du désir humain qui ne se fixe pas de façon linéaire mais selon un schéma triangulaire : sujet - modèle - objet. C'est parce que quelqu'un d'autre désire un objet que nous le désirons à notre tour (femme, nourriture, territoire). L'hypothèse girardienne repose sur l'existence d'un troisième élément, médiateur du désir, qui est autrui. C'est parce que l'être que j'ai pris comme modèle désire un objet que je me mets à désirer celui-ci et l'objet ne possède de valeur que parce qu'il est désiré par un autre. Dans cette imitation du désir d’autrui, le sujet envie chez l’autre quelque chose qui lui fait défaut et qui confère à celui-ci un prestige qu’il ne possède pas. D’où la fascination qui en découle ainsi que notre propre insuffisance d'être.

Ce n’est pas tant l’objet que le sujet désire mais le prestige qu'il attribue à celui qui possède cet objet (cela peut être aussi bien un objet matériel qu’une attitude ou un statut social). C’est pourquoi, lorsque le sujet arrive à acquérir l’objet en question, ce dernier le déçoit car il croyait que sa possession allait lui conférer un prestige identique. Le désir doit donc se reporter sur un nouvel objet, plus difficile à obtenir. A une échelle plus importante, un violent conflit peut s'instaurer, menaçant la cohésion du groupe ou de la société tout entière. Ce qui pourrait sembler anecdotique éclaire la quasi-totalité des comportements individuels et collectifs (de la jalousie jusqu'à l'Holocauste) et ceci depuis l'aube de l'humanité. Les premières sociétés ont résolu ces crises mimétiques en prenant une victime innocente – un bouc émissaire – et en la chargeant de tous les maux et péchés du groupe afin de la sacrifier. Progressivement, des simulacres ont remplacé les meurtres réels : ainsi sont nés les rites des religions primitives païennes. Si de nos jours, les hommes n'ont plus recours aux sacrifices rituels, ils se sont toujours entendus pour trouver des boucs émissaires et la violence n'a jamais cessé.

Dans ce petit livre, Girard reprend l'idée de son premier grand essai, Mensonge romantique et vérité romanesque, publié en 1961 et qui reste un modèle du genre : relire de grands romans ou de grands textes pour en tirer une «loi» sur le désir mimétique. Il ne s'agit pas d'une théorie littéraire mais de la compréhension du désir à travers la littérature. Car Girard pense à raison que l'art et a fortiori la littérature peuvent davantage comprendre l'âme humaine et notamment le désir que la philosophie ou d’autres sciences humaines. On trouvera ici plusieurs textes publiés en anglais dans diverses revues ou magazines. Car Girard a eu, pendant de longues années, plus de succès aux Etats-Unis qu'en France, une ironie terrible quand on sait qu'il a été élu à l'académie française fort récemment (2005)... On peut ici lire les analyses suivantes : ''Amour et haine dans Yvain'', ''Paolo et Francesca un désir mimétique'', ''Passion et violence dans Roméo et Juliette'', ''Racine, poète de la gloire'', ''Marivaudage et hypocrisie'', ''L'Erotisme dans les romans de Malraux'', ''Amour et amour-propre dans le roman contemporain''.

Si ces textes n'apportent rien de neuf à la théorie mimétique de l'auteur, de même qu’ils ne peuvent «rivaliser» avec son premier essai, ils intéresseront ceux qui cherchent des analyses sur les romans ou les œuvres de grands auteurs à partir de cette grille d'interprétation. On retrouve ainsi le grand Shakespeare avec la pièce Roméo et Juliette, auteur à qui René Girard a consacré un extraordinaire essai en 1990 (Shakespeare : les feux de l'envie). Roméo et Juliette n'ont rien de romantique et la pièce du dramaturge anglais s'attache précisément à prendre comme toile de fond la rivalité ancestrale entre deux familles. Roméo et Juliette se prennent comme amants alors que leur situation familiale est au pire. Autonomie du désir réellement ? Ne s'aiment-ils pas justement pour cette raison ? La question est épineuse en effet. Shakespeare semble vouloir mettre en scène une histoire d'amour mais, l'inscrivant au cœur d'une rivalité de clans, il en indique son caractère quelque peu frelaté... Là-dessus, la lecture de Girard est d'une pertinence sans faille. Pourquoi sinon Shakespeare aurait-il choisi de condamner à l'échec une si belle histoire ? Simplement pour nous dire que ces deux familles sont machiavéliques en contraignant consciemment la relation entre les jeunes amants ? Non, car parallèlement à la trame narrative principale, il met en scène cette rivalité, indiquant ses évolutions et ses conséquences...

René Girard s'intéresse aussi à Chrétien de Troie, Dante, Racine, Marivaux, André Malraux et il poursuit ainsi ses analyses en montrant comment le désir de rivalité est toujours au centre de la préoccupation des ces auteurs importants. On peut bien sûr reprocher à l'auteur de tirer tous ces textes dans le sens de sa théorie. Mais il prend le soin d'appuyer sa démonstration par le recours aux textes et aux citations. Son analyse est ainsi très serrée et ne peut pas être réfutée sans argument, bien loin de certaines réflexions postmodernes immanentistes expurgeant le sens des textes au nom de théories universitaires fumeuses et abstraites. Au contraire, Girard tente de montrer que les grands textes comportent plus de profondeur et cette conscience que le désir humain ne peut être réduit à des idéaux simplistes.

Géométries du désir, outre son titre évocateur, appuie ainsi la désormais célèbre théorie girardienne en s'intéressant aux grands textes littéraires. Un bon rappel en la matière.


Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 17/05/2011 )
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