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Histoire & Sciences sociales -> Sociologie / Economie |
| Patrick Pharo Morale et sociologie - Le sens et les valeurs entre nature et culture Gallimard - Folio essais 2004 / 8.40 € - 55.02 ffr. / 417 pages ISBN : 2-07-030242-3 FORMAT : 11x18 cm
L'auteur du compte rendu: Chercheur au CNRS (Centre d'analyses et de mathématiques sociales - EHESS), Michel Bourdeau a publié divers ouvrages de philosophie de la logique (Pensée symbolique et intuition, PUF; Locus logicus, L'Harmattan) et réédité les conclusions générales du Cours de philosophie positive (Pocket) ainsi que l'Auguste Comte et le positivisime de Stuart Mill (L'Harmattan). Imprimer
La question des rapports de la morale et de la sociologie est presque aussi vieille que cette dernière puisque Comte, à la fin de sa vie, crut nécessaire dajouter à ce quil avait considéré jusqualors comme la science finale une dernière science, qui prenne directement en charge lindividu dans ce quil a de propre et résolve ainsi le grand problème humain : renverser le rapport naturel établi entre égoïsme et altruisme et faire en sorte que celui-ci lemporte sur celui là. De même, Durkheim attendait de la sociologie quelle fonde une science des murs, appelée à succéder à une morale philosophique, cest-à-dire nayant pas encore atteint la positivité.
Cependant, cette préoccupation devait peu à peu disparaître : à lépoque de lère du soupçon, prononcer le mot morale était devenu indécent sauf bien sûr à en dire du mal et, signe du pouvoir dinertie des institutions, le thème ne subsistait plus que dans les programmes universitaires où, jusquen mai 68, un des quatre certificats de la licence de philosophie sintitulait : morale et sociologie. La situation a de nouveau bien changé depuis. La demande de morale va croissant, tandis que les sociologues, de leur côté, se sont assez vite rendu compte que si la sociologie quantitative les mettait à labri des préoccupations alimentaires, elle était intellectuellement bien peu gratifiante. Sest ainsi développé tout un courant mettant laccent sur lanalyse conceptuelle et le dialogue avec les philosophes.
Louvrage de P. Pharo est une excellente expression de cette nouvelle tendance. Lauteur plaide en faveur dune sociologie de la morale, quil préfère appeler sociologie morale, afin sans doute de souligner les effets en retour de ce type de travail sur les rapports des sciences sociales aux faits objectifs. Le propos est développé en deux grandes parties. Une fois délimité le domaine de lenquête, la première commence par présenter les diverses façons dont le thème a été traité, en distinguant trois grands axes : les théories socioculturelles, qui tendraient à ne voir dans les faits moraux que lexpression de forces sociales supra individuelles ; les théories actionnistes qui, refusant la réification des faits sociaux, insistent au contraire sur le rôle de laction individuelle et sappuient le plus souvent pour cela sur le concept de choix rationnel ; les théories naturalistes enfin, pour qui les faits sociaux ne sont que leffet de forces naturelles et qui soulignent volontiers les liens qui unissent la sociologie à la biologie, depuis le darwinisme social jusqu'aux courants cognitivistes actuels, très dépendants des neuro-sciences.
La seconde partie développe alors la position propre de lauteur. Un premier chapitre commence par définir la méthode suivie, qui sinspire de la sémantique de laction développée par Davidson et vise à dégager les orientations subjectives de laction ou du fait social en respectant les contraintes liées à linterprétation des phrases daction. Un dernier chapitre, intitulé sémantique de la culture et de laction, présente alors quelques échantillons de cette sociologie morale, portant sur la compréhension interculturelle, les conditions de laccord civil ou les distorsions du jugement moral.
Le programme dune sociologie morale se heurte à un problème que lauteur à le mérite de poser clairement. Pour être positive, scientifique, la sociologie se doit d'être empirique, de reposer sur des faits ; mais la morale est dun autre ordre, au point que lidée même de fait moral pose problème. Comment, en dautres termes, concilier lobjectivité de la sociologie et la subjectivité de la morale (et lon notera en passant que ladjonction d'une septième science saccompagnait chez Comte de ladoption dune nouvelle méthode dite subjective)? Que lon oppose la réalité à lidéalité, lêtre au devoir être, le fossé semble à première vue infranchissable. La réponse proposée se trouve dans la méthode sémantique, puisque ce sont des conditions objectives de vérité qui permettent d'interpréter les intentions subjectives des agents.
Louvrage se recommande encore par la bienveillance avec laquelle il examine un certain nombre de positions dont la faiblesse saute aux yeux mais dont il est souvent question dans la littérature. On peut ne pas être en tout point daccord sur la direction dans laquelle l'auteur propose dengager la sociologie morale et penser par exemple quil accorde trop de crédit à la sémantique de laction; mais on approuve personnellement sa volonté de mettre un terme à leffacement progressif des thèmes moraux dans la sociologie. Outre lapport propre de Patrick Pharo, le lecteur désireux de prendre contact avec ce domaine en plein renouveau, appréciera le tableau densemble complet, bien informé et pondéré qui fait de ce petit livre une bonne introduction au sujet annoncé dans le titre.
Michel Bourdeau ( Mis en ligne le 05/09/2004 ) Imprimer | | |
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