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Histoire & Sciences sociales  ->  Sociologie / Economie  
 

Défendre les règles et la méthode
Bernard Lahire   L'Esprit sociologique
La Découverte - Textes à l'appui 2005 /  26.50 € - 173.58 ffr. / 434 pages
ISBN : 2-7071-4508-4
FORMAT : 14x22 cm

L'auteur du compte rendu: Guy Dreux est professeur certifié de Sciences Economiques et Sociales au lycée Michelet de Vanves (92). Il est titulaire d'un DEA de sciences politiques sur le retour de l'URSS d'André Gide.
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La sociologie, on le sait, est une discipline qui a dû se battre pour faire reconnaître sa légitimité dans le champ des sciences humaines. Sa place dans l'université a été lentement acquise et ce n'est que dans les années soixante par exemple qu'une licence de sociologie est créée (par les efforts de Raymond Aron notamment). Cette science, jeune donc institutionnellement, même si la "tradition sociologique" est plus ancienne, fait l'objet de critiques et de mises en doute régulières ; ses méthodes, ses démarches et ses développements théoriques ne satisferaient pas aux exigences de la démarche scientifique. Le sociologue serait au mieux un beau parleur…

Ce discours ne serait pas forcément dérangeant si l'institution elle-même, les professionnels eux-mêmes, ne donnaient pas de temps en temps des verges pour se faire battre… Ce fut le cas le 7 avril 2001 avec la soutenance d'une thèse par l'astrologue Elisabeth Tessier (dirigée par Michel Maffesoli) qui reçut les félicitations du jury. A la suite de cet événement, dont on ne sait s'il relève de la chronique médiatico-mondaine ou des annales de l'université, Bernard Lahire avait constitué un groupe de relecture de cette thèse pour en souligner l'indigence et pour une bonne part le caractère scandaleux.

L'Esprit sociologique se veut donc un rappel des règles de la méthode. Bernard Lahire ne prétend pas définir ce qu'est la sociologie (même si l'on peut comprendre ce qu'elle ne peut pas être) mais plutôt souligner ce qui permet d'en établir les garanties de scientificité. Si les controverses sont justes et légitimes, si les débats sont la vie même de toute discipline, il reste que ces discussions ne peuvent avoir lieu que dans un cadre commun et partagé, où des règles et procédures minimales de démonstration, d'enquête, d'exposition et d'administration de la preuve sont respectées, reposant sur des acquis de l'histoire de la discipline.

Décrire la réalité sociale, l'interpréter, l'objectiver, constituent trois piliers du travail sociologique qui ne peuvent se concevoir qu'à partir d'un "travail d'observation systématique des comportements, dont l'ensemble des résultats est livré au lecteur". Cette première remarque permet à l'auteur de critiquer les tentations de l'essayisme. Si pour lui l'essai est un genre légitime, il l'est beaucoup moins lorsqu'il est présenté comme un travail scientifique, lorsqu'il en prend l'apparence. Ce type d'ouvrage, par exemple La Société de consommation de Jean Baudrillard, présente un défaut de surinterprétation rendu sensible par le décalage entre le haut degré de généralité du propos et la relative faiblesse des données empiriques. La réalité sociale est alors plus évoquée que construite méthodiquement.

Dans la même perspective Bernard Lahire reproche à certains travaux de Pierre Bourdieu (La Distinction en particulier) de reposer sur des exemples empiriques qui, d'une certaine façon, fonctionnent trop bien et sont finalement assimilables à des ideaux-types. Tout en se défendant d'adopter une position strictement positiviste, Bernard Lahire insiste sur le caractère essentiel des enquêtes et de l'utilisation de l'ensemble des données pour les travaux sociologiques, y compris et surtout lorsque ces dernières ne correspondent pas exactement au cadre théorique adopté.

A travers l'analyse de nombreux ouvrages plus ou moins classiques de la sociologie, l'auteur mène son enquête pour souligner les procédés de démonstration utilisés. Il interroge alors le recours à l'analogie, les rapprochements possibles avec la littérature et les inspirations ou intuitions qu'elle génère, ou encore le sens de la fameuse formule de la "construction sociale de la réalité". A chaque fois, Bernard Lahire pointe les glissements ou les facilités que suivent certains raisonnements, les pièges de certains présupposés.

La remise en cause ou la relativisation des résultats des travaux sociologiques n'est pas seulement le fruit de difficultés internes à cette discipline. Le développement actuel des sciences cognitives correspond à un esprit de recherche que Bernard Lahire qualifie d’anti-sociologique. Les sciences humaines, et donc ici pas seulement la sociologie, reposent en effet massivement sur l'idée que les comportements, les façons de penser et les développements culturels qui leurs sont liés ne sont pas des faits ou des effets de nature. Or certains travaux actuels des sciences cognitives tendent à renverser ce propos et à établir des invariances à partir desquelles il serait possible de vérifier des déterminations psycho-physiologiques non seulement de certains comportements mais aussi de faits culturels. Ici encore, avec rigueur, Bernard Lahire s'attache à rappeler la grande fonction des sciences humaines : "rappeler que les savoirs, les croyances et les représentations ont une histoire [ou] que les apprentissages ou les socialisations ont des contextes".

Il ne faudrait pas voir dans cet ouvrage un quelconque manuel de méthodologie en sciences sociales. L'auteur utilise même le terme d'anti-manuel. Selon les souhaits expressément énoncés par Bernard Lahire, le livre, rigoureux, s'adresse à un public, sinon averti, du moins disposant d'une culture minimale en sociologie. Convaincu de l'utilité et de la spécificité de cette discipline, l'auteur termine sur une proposition plutôt audacieuse : enseigner les sciences du monde social dès l'école primaire.


Guy Dreux
( Mis en ligne le 06/04/2005 )
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