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La disposition d'un fouillis
Laurent Thévenot   L'Action au pluriel - Sociologie des régimes d'engagement
La Découverte - Textes à l'appui 2006 /  27 € - 176.85 ffr. / 310 pages
ISBN : 2-7071-4640-4
FORMAT : 13,5cm x 22,0cm

L'auteur du compte rendu: Guy Dreux est professeur certifié de Sciences Economiques et Sociales en région parisienne (92). Il est titulaire d'un DEA de sciences politiques sur le retour de l'URSS d'André Gide.
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Si l'on se sent autorisé à ne commenter ici que la couverture du livre c'est que Laurent Thévenot lui-même nous y invite. Dans son épilogue en effet, justement intitulée "Une personnalité à tiroirs", l'auteur prend cette couverture pour illustrer les thèmes des appartenances multiples, des identités et des engagements pluriels développés dans l'ouvrage.

Selon Laurent Thévenot, cette photographie est censée être celle du "fouillis" d'un "simple tiroir de bureau où la personne [l'auteur lui-même] a fourré pêle-mêle, au jour le jour, un fourbi de choses". Ce désordre d'objets dont on ne s'est pas donné la peine de mieux les "arranger" est d'autant plus intéressant que Laurent Thévenot précise : "L'échantillon de ce tiroir peut faire paraître la personne." Plus encore, ces objets s'accordent avec sa théorie puisque ces objets sont comme des "témoins qui rappellent les engagements composant la personne. L'engagement ne tient pas seulement à une compétence, une capacité, un capital, une ressource. Il est ce à quoi la personne est tenue pour se maintenir dans un certain régime : il offre une certaine continuité dans le temps et dans l'espace." On l'aura compris cette couverture n'a rien d'anecdotique, puisqu'elle illustre "une approche pragmatique de l'identité personnelle, d'une personne intégrant des engagements variés sans que l'on puisse postuler une identité sociale ou individuelle stabilisée hors de ces engagements."

Mais avec cette expression, "sans que l'on puisse postuler une identité sociale", nous sommes bien au cœur d'un des problèmes que pose cet ouvrage. Si l'on peut suivre l'auteur dans sa volonté de proposer une théorie de l'action et des identités qui s'éloigne des approches souvent jugées trop mécanistes de Pierre Bourdieu, on peut se demander si la relativisation des déterminismes sociaux ne présuppose pas des individus jouissant d'une liberté qui resterait encore à démontrer. Or, cette distance prise par rapport aux conditions économiques et sociales des individus est particulièrement visible dans le commentaire que l'auteur fait de sa photographie de couverture.

Celle-ci est intégralement constituée de jeux d'équilibre et laisse imaginer un homme forcément sympathique. L'équilibre entre la monnaie et les timbres du Secours populaire souligne la présence d'un homme qui ne nie pas quelques plaisirs qui se monnaient mais qui n'en oublie pas pour autant la nécessaire solidarité et le souci de l'autre. De même, dans une inclinaison quasi symétrique, on trouvera une calculatrice et un objet (presse papier ou vide poche) représentant une femme accorte. Là encore, tout pousse à la sympathie pour un homme dont on sent le juste équilibre entre les plaisirs revendiqués de la chair et l'exercice de la raison.

Autre axe d'équilibre : une lettre de son père l'encourageant à pratiquer des exercices physiques (dessins de positions de gymnastique à l'appui) et une discrète présence de deux œuvres picturales : un tableau de Malevitch et un dessin de Picasso. Est-il utile ici de développer le plaisir de celles et ceux qui savent allier le souci de soi et la fréquentation des plus grandes œuvres, abstraites de surcroît, ou le plaisir des lettrés de s'inscrire dans plusieurs histoires : une histoire familiale et la grande histoire de la noblesse du monde comme disait l'autre.

Ce tiroir dresse donc le portrait d'un homme dont il est difficile de ne pas apprécier les qualités aussi éminentes, lorsqu'elles sont prises une à une, mais redoublées de valeur par l'équilibre qu'elles offrent en se complétant. D'autant qu'il ne faut pas oublier quelques éléments mineurs qui achèvent ce portrait. Laurent Thévenot est un homme simple (comme en témoigne son ticket de métro) et qui ne refuse pas une certaine rusticité (comme en témoigne l'opinel). Aussi, Laurent Thévenot a de l'humour, en acceptant de déposer un photomaton de lui lorsqu'il avait une douzaine d'années. Enfin, on n'échappe pas à la situation présente de l'auteur rendue perceptible par une règle et un stylo en parallèle et au centre de l'image. Toute cette "disposition" rend peu probable le désordre spontané d'un tiroir de bureau, ici trop volontairement ouvert.

Mais ce qui nous semble être le plus significatif de la perspective de Laurent Thévenot, c'est la place très inégale qu'il accorde à deux éléments : un ordre de mission et une désagrapheuse. Le premier renvoie directement au statut social de l'auteur ; or celui-ci n'est qu'à peine évoqué par deux lignes de commentaire. Le second est montré par un petit paragraphe où l'auteur tente de nous faire percevoir la correspondance subtile qu'il entend établir entre une fonction "minuscule" et "infime" (désagrapher) et le potentiel quasi épistémologique que contient cet objet lorsqu'on l'utilise "sociologiquement".

Or il nous semble qu'en faisant plus grand cas des conditions réelles d'émergence d'une telle théorie, nous pourrions établir des correspondances plus profondes et mieux construites entre la "disposition" de ce fouillis d'objets et les "dispositions" dont parlait Pierre Bourdieu lorsqu'il définissait l'habitus…


Guy Dreux
( Mis en ligne le 06/04/2006 )
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