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L'ère de l'infantilisation
Benjamin Barber   Comment le capitalisme nous infantilise
Fayard 2007 /  23 € - 150.65 ffr. / 524 pages
ISBN : 978-2-213-63248-3
FORMAT : 15,5cm x 23,5cm

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.
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Le capitalisme règne désormais seul ou quasiment sur le monde. Va-t-il de pair avec la démocratie ? On peut effectivement en douter, en voyant qu’il fait courir de plus en plus de risques au monde et... au capitalisme lui-même. Pourquoi ? Le livre de Benjamin Barber, professeur de sciences politiques à l’université du Maryland, spécialiste de la société civile, auteur de Djihad versus McWorld, s’en prend à l’éthos infantiliste, à cette infantilisation intimement liée aux exigences du capitalisme consumériste dans une économie mondiale de marché.

Rappelons L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme de Max Weber : il fut un temps où le capitalisme exigeait de nouvelles conduites sociales et véhiculait des valeurs éthiques, morales ou religieuses relativement compatibles avec la liberté. Il y eut le capitalisme libéral (éthique individualiste radicale) puis le capitalisme managérial (éthique de l'organisation et de la conservation). Selon Benjamin Barber, nous entrons dans une nouvelle ère du capitalisme, le capitalisme consumériste : d'un côté, les adultes développent des désirs impulsifs de type enfantin, de l'autre le système marchand propose des produits à caractère infantilisant pour coller à cette tendance nouvelle. L'enfance permanente. Une éthique d'infantilisation qui a pour protagoniste idéal l'acheteur compulsif. Effectivement, une victoire des consommateurs ne veut pas dire une victoire des citoyens. Il n’existe pas de «république des consommateurs», res publica veut dire la «chose publique» et non les intérêts privés. Le marché ne peut pas faire le travail de la démocratie. Ce que Barber appelle «schizophrénie civique» qui scinde le moi en deux fragments antagoniques, niant la légitimité du «citoyen». Les hommes et femmes politiques sont mis en marché et vendus comme des produits à un peuple que l'on considère non plus comme un corps civique mais comme une clientèle.

Benjamin Barber écrit : «Autrement dit, je n'applique pas de l'extérieur la notion d'infantilisation à ce que fait le marché pour éclairer ses pratiques en ces temps de vente forcée ; j'extrapole à partir des pratiques concrètes du marché consumériste l'idée d'infantilisation. Je ne suggère pas dans une formulation passive qu'«un processus d'infantilisation est en cours». J'affirme que beaucoup de nos grandes institutions politiques, économiques et pédagogiques font, consciemment et à dessein, oeuvre d'infantilisation, et que nous sommes donc exposés à des pratiques associées comme la privatisation et le branding [mise sous marque (brand), création d'une marque]. Car c'est ainsi que l'on maintient un système de capitalisme consumériste qui n'est plus soutenu par les forces traditionnelles du marché, l'offre et la demande» (p.23). Et plus loin encore : «L'infantilisation a pour but d'inciter les adultes à la puérilité, et de préserver ce qu'il y a d'enfantin chez les enfants qui essaient de grandir, tout en leur donnant le «pouvoir adulte» de consommer." (pp.114-115)

L'expansion du capitalisme consumériste se comprend aisément. Il tente de se répandre partout où il peut, jusque dans nos sphères les plus intimes (sentiments) et donc les plus corporelles (sexualité)… et même plus. Par exemple, près de 20 % du génome a été breveté à des fins privées et commerciales et le rythme s'accélère. Le marché mondial est en pleine surproduction. Il faut écouler les produits mais le problème est qu'il y a trop peu de consommateurs. D’où l’incitation à pousser les clients pour qu'ils consomment. Situation inverse dans les pays du Sud où il y a trop de besoins urgents mais non rentables. Les enfants occidentaux sont donc devenus une manne intéressante. De plus, comme cette économie est incapable de vendre aux pauvres ce dont ils ont besoin, le marché tente désespérément de vendre aux riches ce dont ils n'ont pas besoin.

La pathologie culturelle du capitalisme consumériste privilégie la consommation, en rompant l'équilibre traditionnel du capitalisme entre production et consommation, travail et loisir, investissement et dépense. Le comportement infantile est une conséquence d'un processus régressif qui se présente comme une défense contre les problèmes effrayants des adultes, qu'un moi déstructuré est incapable d'affronter. Ce qui n'était qu'une phase passagère dans le développement de l'enfant devient une pathologie quand cet état persiste plus tard et que l'enfant ne réussit pas ou mal son adaptation : subordonner le ça au surmoi ; c'est-à-dire se civiliser.

Certes, on comprend aussi pourquoi nos sociétés célèbrent l'enfant et l'infantilisme ad nauseam, ce dernier perpétuant l'égoïsme originel du capitalisme (la main invisible du marché) et son expansion. Dans la culture pathologique de l'économie consumériste, le comportement du consommateur se révèle remarquablement inconciliable avec les tendances civilisatrices au point qu'il contamine tout. "Hors de la culture populaire, l'éthos infantiliste domine aussi : en politique ou en religion, des jugements dogmatiques à l'emporte-pièce remplacent les complexes nuances de la réflexion morale adulte, et les stigmates d'une enfance éternelle sont imposés à des adultes qui s'abandonnent à la puérilité sans plaisir et à l'indolence sans innocence. D'où le goût nouveau du consommateur pour la vieillesse sans dignité, la tenue sans cérémonie, le sexe sans reproduction, le travail sans discipline, le jeu sans spontanéité, l'achat sans but, la certitude sans doute, la vie sans responsabilité, et le narcissisme dans le grand âge et jusque dans la mort sans une once de sagesse ou d'humilité. A l'époque où nous vivons, la civilisation n'est pas un idéal ou une aspiration, c'est un jeu vidéo." (p.16) D'où la mode du rétro qui permet à la jeunesse de se vieillir en restant jeune.

Le point fort du livre est son approche concrète, à partir de chiffres. Par exemple le fait que l'industrie publicitaire a dépensé à elle seule, aux Etats-Unis, 230 milliards de dollars en 2001, dont 40 milliards de dollars pour la publicité visant les enfants (contre 2,2 milliards en 1968 et 4,2 milliards en 1984). Ou des preuves anecdotiques comme la distribution des sucettes pour calmer les passagers excédés aux points de contrôle par la police des aéroports, les produits culturels de plus en plus infantilisants comme Harry Potter ou Le Seigneur des anneaux, films où se ruent les adultes (quand ils n'ont pas cessé de lire), les jeux vidéo pour adolescents, (World of Warcraft, Grand Theft Auto, Narc, les films tirés de bandes dessinées (Spider-Man et Cie), les nouvelles chaînes de télévision «pédagogiques» comme BabyFirstTV, la chirurgie esthétique et les injections de Botox qui promettent une fontaine de jouvence aux femmes du baby-boom jalouses de leurs filles. Perte de poids sans exercice, mariage sans engagement, peinture ou piano par les chiffres sans pratique ni discipline, «diplômes d'université» par Internet sans suivre de cours ni apprendre, succès sportifs avec anabolisants.

En politique, le désastre est là : guerre sans conscription, idéalisme sans impôt, morale sans sacrifice et vertu sans effort. Une vision du monde issue d'un rêve d'enfant, ou il suffit de dire «je veux donc j'exige» : café sans caféine, crème sans matière grasse, bière sans alcool... le sexe virtuel comme sexe sans sexe, guerre sans guerre, et la redéfinition de la politique en gestion technocratique comme politique sans politique. Il y a bien sûr les colloques organisés sur toute la planète comme à Paris (conférence sur le Marché de la jeunesse, 7-8 avril 2005 «comment acquérir et retenir des clients dans la catégorie des 0-25 ans»), etc. Les recherches effectuées sur Google montrent l'abêtissement de la culture populaire. Si l'on rassemble les dix premiers thèmes des divers classements, on ne voit que des questions liées aux célébrités pour adolescents, à la culture de masse et au sport ; quatre seulement se situent en dehors de cet univers (Nostradamus, l'ouragan Katrina, le tsunami et l'Irak).

Benjamin Barber identifie trois paires dialectiques : facile et difficile, simple et complexe, rapide et lent. Dire que l'éthos infantiliste préfère le facile au difficile, c'est dire que les jeunes sont naturellement attirés par ce qui est simple et non par ce qui est complexe, par ce qui est rapide et non par ce qui est lent. Il s'attaque ensuite aux cinq formes de domination de marché, donnant une substance à sa démonstration de l'impact totalisant, sinon totalitaire, de la culture consumériste sur nos vies : le marché consumériste se caractérise par l'ubiquité (il est partout), l'omniprésence temporelle (il est «toujours là» et aspire à emplir l'ensemble du temps), l'addictivité (il crée ses propres formes de renforcement), la capacité d'autoduplication (il se répand comme un virus) et l'omnilégitimité (il s'autojustifie et mine les fondements moraux de toute résistance). Benjamin Barber envisage bien des solutions pour sortir de cette impasse (la créolisation, la carnavalisation, le brouillage culturel) mais sans grande conviction et en étant un peu dupe que ces solutions sont bien souvent générées par le marche lui-même.

L’essai est en général souvent intéressant et documenté (son point fort) même s'il reste sans doute trop sociologique et trop long, se perdant souvent en digressions qui lui font perdre beaucoup de son intérêt. Cependant, il a l'avantage de mettre en garde avec une certaine vigueur sur le fait que la démocratie et à terme le capitalisme lui-même risquent de pâtir d'une telle situation.


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 04/03/2008 )
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