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Histoire & Sciences sociales  ->  Historiographie  
 

France, terre d’histoire
Laurent Avezou   Raconter la France - Histoire d'une histoire
Armand Colin 2008 /  28 € - 183.4 ffr. / 430 pages
ISBN : 978-2-200-34590-7
FORMAT : 16cm x 24cm

L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié Les Demeures du Soleil, Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003), Vauban : l'intelligence du territoire (2006, en collaboration), Les Ministres de la Guerre, 1570-1792 : histoire et dictionnaire biographique (2007, dir.).
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Qu’est-ce qu’être historien ? Comment écrit-on l’histoire ? Quelles intentions, de siècle en siècle, met-on sous ce grand mot ? Telles sont les immenses questions auxquelles Laurent Avezou entreprend de répondre dans Raconter la France. Le propos englobe l’«histoire de France» mais la dépasse amplement, car la démonstration suit un parcours de deux mille ans, qui va des auteurs de l’Antiquité aux universitaires du XXIe siècle.

Comme dans les aventures d’Astérix, tout commence en 52 avant Jésus-Christ, avec la conquête de la Gaule par César. Dans ses Commentaires, le général vainqueur définit la Gaule et trace ses frontières (l’Océan, le Rhin, les Alpes, les Pyrénées), mais le pays ainsi délimité n’a ni unité ni histoire. Il n’en aura pas davantage au sein de l’Empire romain : les auteurs païens puis chrétiens qui parlent de la Gaule écrivent une histoire à vocation universelle, qui glorifie la Ville éternelle puis le règne du Dieu chrétien.

Les chroniqueurs du Moyen Age sont les continuateurs des histoires universelles élaborées à partir du IVe siècle. Ils rapportent une succession d’événements qui manifestent la toute-puissance de Dieu. La restauration de l’Empire d’Occident par Charlemagne contribue au renouveau de cette histoire à prétention universaliste. Ce n’est que lentement et discrètement, dans les scriptoria des abbayes, aux alentours de l’an Mil, qu’émerge une histoire des rois francs qui va devenir une histoire de France, cette «doulce France» dont parle la Chanson de Roland. Les premiers signes d’un sentiment qui s’apparenterait au patriotisme apparaissent dès le XIIe siècle, mais sa vraie naissance peut être datée de la guerre de Cent Ans, car c’est contre l’autre (l’Anglais) que s’affirme l’identité française.

À l’époque moderne, l’histoire de France est toujours une histoire des rois de France. Patronnée et contrôlée par le pouvoir royal, laïcisée, elle commence à puiser aux archives et intègre peu à peu les leçons de la critique des textes apparue à la Renaissance. Mais les progrès de la critique détruisent bien des pieuses légendes sur lesquelles reposait le prestige de la dynastie capétienne et préparent le divorce entre la France et la monarchie. Le mythe de l’origine troyenne des Francs est démonté ; on redécouvre, dès le XVIe siècle, «nos ancêtres les Gaulois». La succession des trois races royales, mérovingienne, carolingienne et capétienne, ne peut plus être comprise comme une suite harmonieuse, et la légitimité de la race régnante en est affaiblie d’autant.

L’histoire écrite entre 1789 et 1879 n’est pas moins chargée d’intentions politiques. Les auteurs de tous bords revisitent le passé de la France à la lumière de la Révolution. Tandis que pour les légitimistes elle est une parenthèse qu’il faut effacer au plus vite, pour leurs adversaires, au contraire, les grands hommes de la France sont compris comme autant de précurseurs de la Révolution. Tous redécouvrent un Moyen Age auquel le romantisme confère une dimension essentiellement littéraire et pittoresque.

La constitution de l’histoire en une discipline scientifique est en fin de compte fort tardive : elle a à peine plus d’un siècle. Les historiens des années 1880-1900, Gabriel Monod, Ernest Lavisse, Charles-Victor Langlois, Charles Seignobos, réalisent l’alliance de l’histoire et de l’érudition. Ils énoncent les règles de la méthode historique, qui établit les faits d’après la critique et la confrontation des documents, une méthode qui, à peu de choses près, reste celle des historiens du XXIe siècle. Cette première génération de l’histoire scientifique, étiquetée «positiviste», sera dédaignée par les générations suivantes, celle des Annales (Marc Bloch et Lucien Febvre, puis Fernand Braudel), celle de l’«anthropologie historique» ou encore celle de l’«histoire culturelle». Mais Laurent Avezou montre que ce sont moins les méthodes qui changent que le champ des curiosités qui s’élargit, à l’économie, à la société, à la culture, aux «mentalités».

Le paradoxe de l’histoire «scientifique» qui s’impose à partir de la IIIe République est qu’elle a plutôt rajeuni que remis en cause l’ancienne histoire royale. L’histoire de France des manuels de Lavisse postule l’éternité et la continuité de la France, depuis Vercingétorix jusqu’à Félix Faure. D’après la vulgate enseignée dans les écoles, de grands rois et de grands ministres ont construit la patrie à travers les siècles, et la Révolution est présentée comme le couronnement de l’édifice. Le théâtre, le roman populaire et le cinéma ont largement diffusé ces schémas jusqu’aux années 1970.

C’est à cette époque que la conception triomphaliste de l’histoire de France vole en éclats. L’enseignement de la chronologie disparaît des écoles et des lycées. La France «une et indivisible» est contestée à l’heure de la décolonisation et du regain des identités régionales et communautaires. L’État qui a construit la France est aussi la force qui a envoyé 1 million et demi de Français à la mort entre 1914 et 1918, livré 75 000 de ses ressortissants à l’ennemi entre 1940 et 1945, perdu la guerre d’indépendance de l’Algérie. Une histoire fragmentée, «en miettes», «un agrégat d’histoires», écrit même Laurent Avezou, a succédé au «roman national» en vigueur entre 1870 et 1940. En même temps, l’État n’a pas renoncé à écrire l’histoire : des lois dites «mémorielles», votées à partir des années 1990, prétendent indiquer où se trouve la vérité historique.

Dans l’étude de ces différentes séquences historiographiques, Laurent Avezou ne se satisfait pas d’un récit linéaire. Chaque chapitre est ponctué de pauses thématiques qui font le point sur tel mythe historique, telle grande figure, tel historien marquant. Ainsi sont évoqués Grégoire de Tours, le baptême de Clovis, la défaite des Arabes à Poitiers, les rois fainéants, Charlemagne, Hugues Capet, le Trésor des chartes, Bouvines, Jeanne d’Arc, la carte de France, Pharamond, Voltaire, l’Académie française, Henri IV et Sully, Napoléon, Richelieu, le bicentenaire de 1789 et le général de Gaulle.

Raconter la France est un livre riche, touffu, parfois ardu, qui s’adresse à de bons connaisseurs de l’histoire plutôt qu’au très grand public. Pour les historiens de profession, il est sans nul doute appelé à devenir un ouvrage de référence, un vade-mecum qui les conviera à un double travail de distanciation : vis-à-vis de leurs sources, d’un côté, vis-à-vis d’eux-mêmes, de leurs opinions et de leurs préjugés, de l’autre.

On pourra trouver la leçon de scepticisme un peu forte. Parions, au contraire, que le livre de Laurent Avezou encouragera les historiens à se défaire des passions tristes que sont le conformisme intellectuel et l’esprit de parti, et qu’il les incitera à cultiver une passion noble : celle de la vérité.


Thierry Sarmant
( Mis en ligne le 27/01/2009 )
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