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Histoire & Sciences sociales -> Historiographie |
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Variations autour du/des temps de l’histoire | | | Christian Delacroix François Dosse Patrick Garcia Collectif Historicités La Découverte - Armillaire 2009 / 24 € - 157.2 ffr. / 299 pages ISBN : 978-2-7071-5679-2 FORMAT : 13,5cm x 22cm
Lauteur du compte rendu : agrégée dhistoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié LHistoire en France du Moyen Âge à nos jours. Introduction à lhistoriographie (Flammarion, 2002). Imprimer
Dans leur collection «Armillaire», les éditions La Découverte publient, sous la direction de Christian Delacroix, François Dosse et Patrick Garcia, universitaires, historiens spécialistes dhistoriographie, un ouvrage consacré à une notion relativement neuve en histoire, du moins sous ce terme : lhistoricité. Quinze articles auxquels sajoutent deux inédits, lun de Paul Ricoeur, lautre de Reinhart Koselleck.
Depuis les années 80, François Hartog a proposé de réfléchir à ce quil a appelé le «régime dhistoricité», notion quil propose pour la première fois dans une note critique dun article des Annales ESC («Marshall Salins et lanthropologie de lhistoire», novembre-décembre 1983). Il élabore sa réflexion à un moment où se pose de façon renouvelée la réflexion sur le temps à la fois lorsque paraissent Les Lieux de mémoire, sous la direction de Pierre Nora, et alors que les travaux de Paul Ricur (Temps et récit, La Mémoire et loubli) rencontrent un fort écho chez les historiens. Les travaux de lhistorien allemand Reinhart Koselleck (1923-2006) - «cest la tension entre lexpérience et lattente qui suscite de façon chaque fois différente des solutions nouvelles et qui engendre par là le temps historique», p.140) auteur dont louvrage Futur Passé : contribution à la sémantique des temps historiques (1979) a été publié en Français en 1990, rencontrent alors les préoccupations dhistoriens français. Tandis que, sur dautres plans, cette période est aussi celle durant laquelle les historiens français manifestent leur intérêt pour l'événement, naguère décrié et délaissé par lEcole des Annales. Autant de pistes et de lectures neuves, alors que se pose outre-Atlantique la question du linguistic turn, et que les Annales proposent le «tournant critique».
François Hartog revendique la part qua tenue dans lélaboration de la notion de «régime dhistoricité» sa lecture de Marshall Salins, lanthropologue américain. Assez vite la notion intéresse, et, en 2003, le centre dhistoire sociale du XXe siècle de Paris I organise un colloque sur «Les usages politiques de lhistoire» (publié en 2006 par Claire Andrieu et alii) ; à la même époque, paraît Historicités de laction publique, sous la direction de P. Laborier et D. Trom.
Historicités est le résultat dun séminaire organisé par lIHTP et le Centre dhistoire culturelle des sociétés contemporaines, Université de Saint Quentin en Yvelines («Régimes dhistoricité et modèles temporels en histoire», 2001-2002). La notion dhistoricité est présentée sous divers angles, en quatre parties : «Généalogies», «Le moment Koselleck», «Un nouveau régime dhistoricité ?», «Transversalités disciplinaires». Cette dernière partie est sans doute la plus stimulante, dans la mesure où elle présente des usages possibles de la notion. Chaque contribution se clôt sur une courte bibliographie qui invite à aller plus loin. Lambition des directeurs de louvrage est affichée demblée dans lavant-propos : «Dautres disciplines que lhistoire contribuent à analyser la pluralité des formes dhistoricité. Pour tester lhypothèse du «tournant historique» qui est à lorigine de cet ouvrage, la perspective pluridisciplinaire est bien sûr indispensable pour mesurer la complexité de la notion dhistoricité, quelle soit déclinée par le philosophe, lanthropologue, le psychanalyste, le linguiste ou le géographe. Une manière, pour nous, de ne pas mettre lhistoire seule au centre de la circularité de compréhension entre notre condition historique et notre besoin de lhistoriciser» (p.9).
La première partie souvre sur une conférence de Paul Ricur, «La distance temporelle et la mort en histoire», inédite en Français et prononcée à loccasion du centenaire du philosophe allemand Hans-Georg Gadamer (1900-2002). Puis trois chapitres plus factuels posent la généalogie de la notion et lanalysent au fil des siècles : Droysen et lhistoricité, les historicités grecques et leurs ruptures. La deuxième partie est tout entière consacrée au «moment Koselleck», auteur dont la pensée fondatrice dans ce domaine est ainsi soulignée et à qui, dune certaine façon, cet ouvrage est dédié. Un texte inédit de Koselleck («La désagrégation de la «maison» comme entité de domination. Quelques remarques sur lévolution du droit réglementant maison, famille et domesticité en Prusse entre la Révolution française et 1848») et deux articles sur sa contribution à la théorie de lhistoire y sont inclus. En effet, après des recherches centrées sur les réformes prussiennes, dans les années 1970 Reinhart Koselleck a principalement réfléchi à la théorie de lhistoire, avec des travaux qui lui ont valu lintérêt de Paul Ricur qui lui consacre un chapitre entier dans Temps et récit. J. Hook, qui analyse lapport de Koselleck à la théorie de lhistoire, termine son article par une citation éclairante de Koselleck : «Du point de vue de la tâche scientifique dune théorie de lhistoire, il sagit de savoir ce quelle produit au plan analytique afin de conquérir un ordre rationnel sur le chaos du matériau historique ou sur le présavoir historique. Lhistoire elle-même (si ce terme chargé didéologie peut être accepté) est irrationnelle - cest tout au plus son analyse qui est rationnelle» (allocution prononcée à loccasion du 85e anniversaire de G. Gadamer, Février 1985, p.112).
La troisième partie sinterroge sur «Un nouveau régime dhistoricité» et souvre par un entretien avec François Hartog, qui raconte comment il en vient à proposer la notion et quel usage on peut en faire : «le régime dhistoricité (
) aide à mesurer comment, ici et là, hier et aujourdhui, les hommes, jetés dans lexistence, pris entre lexpérience et lattente, ont fabriqué du temps humain ou social dans un monde qui na jamais ignoré échanges, interactions et conflits. Il aide à travailler» (p.148). Des contributions sinterrogent aussi sur le poids de la mémoire dans notre société et les usages faits de lhistoire (en particulier celles de P. Garcia et de H. Rousso). Enfin une quatrième partie réfléchit aux transversalités disciplinaires et donne des exemples concrets de lutilisation de la notion dhistoricité dans lécriture de la psychanalyse, lanthropologie, lhistoire, la géographie, etc.
Un ouvrage dense, destiné à un public universitaire, plutôt tourné vers la philosophie de lhistoire. Le lecteur familier de lhistoriographie mesurera lui-même, en fonction de son expérience et de ses centres dintérêt, la valeur de lapport dun tel ouvrage à la pratique de lhistorien.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 17/11/2009 ) Imprimer
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