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Pour une politique des archives | | | Bruno Delmas La Société sans mémoire - Propos dissidents sur la politique des archives en France Bourin Editeur - Document 2006 / 22 € - 144.1 ffr. / 200 pages ISBN : 2-84941-041-1 FORMAT : 14,0cm x 22,0cm
L'auteur du compte rendu : Rémi Mathis est élève à l'Ecole Nationale des Chartes. Il prépare une thèse sur Simon Arnauld de Pomponne sous la direction d'Olivier Poncet (ENC) et Lucien Bély (Paris IV). Imprimer
Récemment, chercheurs, citoyens et curieux ont pu se rendre compte, en tant que lecteurs, du pitoyable état des Archives nationales quand, après la fermeture de la salle de lecture (CARAN), des solutions de fortune ont été trouvées pour communiquer les documents dans des conditions qui nétaient idéales pour personne. Les Archives françaises vont mal : la direction des Archives de France est la plus petite direction du plus petit ministère de lÉtat, le rayonnement des Archives nationales est bien inférieur à ce quil pourrait être. Plus grave, il semble que la réalité même des archives soit étrangère à la plus grande partie de la population. Le propos de B. Delmas est donc vaste et pédagogique, afin de mettre à plat une réalité, de lanalyser et de proposer des voies à explorer.
Dans une première partie, il tente de définir ce quest une archive et un archiviste. Bien loin de se réduire à des vieux papiers indéchiffrables, une archive est le produit de lactivité de toute personne physique ou morale dans le cadre dune activité, quel que soit son support. On voit que la définition, donnée par une loi de 1979, est extrêmement large. Bien loin de se réduire au parchemin poussiéreux, ce sont des plans, des photographies, des bandes sonores, des documents numériques, des bases de données
et parfois des objets plus pittoresques encore. Les usages sont donc multiples. À lorigine, on ne conserve pas les archives pour trouver un hypothétique ancêtre noble qui flatte lego mais pour prouver ses droits. Cest la raison même de la création des archives, et elles servent encore quotidiennement, pour obtenir un droit de passage sur le terrain de son voisin ou indemniser les familles juives spoliées.
Parallèlement, limportance de la notion de mémoire tend à croître dans notre société. Là encore, le terme nest pas équivoque : se souvenir, cest également conserver une continuité dans laction, donc une identité. Certaines entreprises lont bien compris, elles qui fondent leur personnalité sur une longue et riche histoire : à quoi sert dinvestir de fortes sommes dans le knowledge management si son premier support les archives nest pas utilisé ? Lensemble de la population est demandeuse dactions allant dans ce sens : il nest quà voir le succès de la mise à disposition sur internet de la base de données des morts de la Première Guerre mondiale. Le besoin didentité est manifeste à tous les échelons de la société, de lindividu à lentreprise, de linstitution à la commune. Dans tous les cas, réduire les archives à lécriture de lhistoire est très réducteur.
Dans une seconde partie, B. Delmas insiste sur la crise qui touche les archives, malgré leur utilité à tous les niveaux et une forte demande sociale. Selon lauteur, le mal est général : il nexiste aucune culture de larchive dans la population française et aucune volonté den insuffler une. Les élites sont souvent ignorantes de la réalité des archives : il y a de quoi sinquiéter quand un communiqué du Conseil des ministres restreint sa conception des besoins des Archives nationales au «stockage des archives». Plus largement, le temps des archives et celui dune société dominée par les médias de masse et le présentisme, nest pas le même.
La conséquence de cela est que, peu à peu, la politique des archives ne coïncide plus avec la réalité. La création des régions na pas été suivie de celle de services darchives régionales, si bien que ces archives relatives à léchelon régional sont désormais partagées en deux : celles du conseil régional dans des services propres et celles de lÉtat dans les archives départementales du chef-lieu de région, pourtant souvent déjà engorgées. La décentralisation na pas été suivie du redéploiement budgétaire nécessaire un bon fonctionnement des services. Les Archives nationales souffrent aussi de navoir pas évolué, notamment dans leur statut. Alors que la plupart des grandes institutions (BnF, BPI, grands musées
) sont largement autonomes, les AN dépendent directement de la direction des Archives de France, ce qui limite leur action. Lespace laissé vacant est alors pris par dautres institutions, publiques ou non : BnF pour linternet, IMEC pour les archives des écrivains et maisons déditions, Fondation Nationale des Sciences Politiques pour celles des hommes politiques, etc. Ne disposant pas de suffisamment de moyens ni de personnel, les Archives nationales doivent se replier sur leur fonction patrimoniale, accentuant ainsi un peu plus leurs insuffisances et le fossé avec les besoins. On peut espérer que la construction du nouveau bâtiment des Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine (on na pas trouvé de place à Paris
) viendra améliorer ce sombre état des lieux mais, là encore, les négociations sont rudes pour obtenir des crédits et du personnel en nombre suffisant pour que le centre puisse ouvrir dans de bonnes conditions.
Bruno Delmas ouvre des perspectives dans une troisième partie. Il présente dabord quelques enjeux nouveaux. Il souligne limportance renouvelée des archives dans un monde où nos actes ont des conséquences qui ne se comptent plus en années mais en dizaine, centaines, voire milliers dannées. Comment conserver les informations vitales concernant lenfouissement des déchets nucléaires ou les conséquences de la thérapie génique ? La mondialisation des archives et de leurs producteurs, leur masse exponentielle, la judiciarisation de la société sont dautres enjeux auxquels les archives doivent se colletiner.
Lauteur appelle ainsi à repenser les archives autour de quatre grands thèmes. Le premier tourne autour de la collecte qui doit répondre aux nouvelles formes prises par les archives et prendre en compte les futurs usages qui pourront en être faits. Il appelle ensuite à une réflexion renouvelée sur la notion de tri, prise entre limpossibilité matérielle de tout garder et limpossibilité de fait de connaître les besoins et les envies futures. La communication est également prise entre deux feux : dun côté, une demande pour que les archives soient ouvertes plus libéralement. Cette demande ne concerne quune minorité de citoyens (essentiellement des chercheurs) mais est une des principales occasions de parler des archives dans les médias. De lautre une nécessaire protection de la vie privée, alors que lespérance de vie augmente. Bruno Delmas appelle là encore à une adéquation avec lévolution générale du droit et de la jurisprudence. Lauteur appelle à une réflexion approfondie sur un dernier thème : la conservation. Là encore il convient de prévoir et de jouer sur le long terme : comment comprendre que le nouveau bâtiment des Archives départementales de Yvelines est destiné à contenir les collections conservées sur lancien site et rien de plus ? Sitôt le bâtiment construit, on manque déjà de place
Larrivée des archives numériques déplace encore le problème et amène finalement à redéfinir le métier darchiviste.
Tout au long du livre, B. Delmas appelle ainsi à une modification profonde de la politique des archives en France. À travers une vision exigeante du métier, vu comme une tâche scientifique autonome, il souligne que les archivistes doivent sinscrire dans la longue durée selon une démarche propre. Cest ensuite à chaque type dutilisateur dy puiser ce qui peut lui être utile : larchiviste traite des fonds et non des corpus. Lauteur met ainsi en lumière les ambiguïtés de la politique de lÉtat et pose des questions auxquelles il faudra répondre un jour. Il contribue à une prise de conscience dont notre société a besoin. On veut bien sindigner que les archives ne soient pas accessibles dans de bonnes conditions, crier quon nous cache des choses (Sonia Combe, Archives interdites, lhistoire confisquée) mais lorsquil sagit duvrer à améliorer les services, tout change, on a dautres priorités. Il faut donc être conscient que les fonds alloués aux archives (tout comme à léducation et à la recherche) sont des placements et non des fonds perdus.
Les fonctions traditionnelles des archives ont énormément évolué depuis vingt ans. Les demandes ne sont plus les mêmes. Le nombre de producteurs a augmenté sensiblement ; ces derniers se sont diversifiés. Les lieux de conservation ne se limitent pas aux Archives départementales mais ont été balkanisés, par lapparition dentreprises darchivages et de nouveau métiers liés aux archives. Il convient de prendre en compte ces évolutions et de repenser le réseau archivistique français. On peut certes sinquiéter quand on entend il y a quelques jours un journaliste pourtant cultivé de France-Culture dire le plus sérieusement du monde que le patrimoine est de droite et la création artistique de gauche (sic !). Si tous les esprits sont si nuancés et éclairés, il y a lieu de craindre pour les archives patrimoniales
Mais Bruno Delmas insiste sur le fait que les archives recouvrent une réalité bien plus large que les problèmes culturels. Il pense ainsi que le rattachement de la direction des Archives de France au Ministère de la culture relève dune vision partielle et restrictive des archives, qui ne peut que leur nuire, et propose plutôt son rattachement direct au Premier ministre (avec la Documentation française et le Journal officiel) ou, à défaut, au Ministère de la Justice.
On ne peut quespérer que cet ouvrage amènera une prise de conscience à la veille de la présidentielle sur la véritable rôle que les archives sont appelées à jouer dans notre société et quil contribuera à ce quelles puissent avoir les moyens de leur politique et ne soient plus réduites à appliquer la politique de leurs moyens.
Rémi Mathis ( Mis en ligne le 24/11/2006 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Archives secrètes, secrets d'archives? de Sébastien Laurent , collectif Archives interdites de Sonia Combe Les Archives de Sophie Coeuré , Vincent Duclert | | |
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