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Autofiction : une mise au point salutaire
Philippe Gasparini   Autofiction - Une aventure du langage
Seuil - Poétique 2008 /  24 € - 157.2 ffr. / 339 pages
ISBN : 978-2-02-097397-7
FORMAT : 14,0cm x 20,5cm

L'auteur du compte rendu : Arnaud Genon est l’auteur d’une thèse de doctorat (PhD) soutenue à l’Université de Nottingham Trent. Professeur de Lettres Modernes, il est aussi membre du Groupe «Autofiction» ITEM (CNRS-ENS) et auteur, chez l’Harmattan de Hervé Guibert. Vers une esthétique postmoderne (2007).
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À trop utiliser le terme «autofiction», souvent de manière très maladroite, la critique, journalistique principalement, en a fait un mot sans consistance. Il sert, à tort, à désigner tout texte vaguement autobiographique, tout roman personnel, tout récit de soi, sans distinction aucune. Il pourrait finir, par voie de conséquence, par ne plus rien désigner du tout.

Au cœur de ce flou théorique, l’entreprise de Philippe Gasparini, déjà auteur d’une riche étude sur le roman autobiographique (Est-il je ? Roman autobiographique et autofiction, Seuil, Poétique, 2004), nous paraît d’autant plus salutaire qu’elle était attendue par ceux qui s’intéressent à l’écriture autobiographique, mais aussi, plus généralement, à la littérature contemporaine. Ce que cherche à constituer Gasparini ici, c’est le socle théorique qui fait actuellement défaut et qui a justement permis au terme de s’ancrer dans le vocabulaire critique de manière malhabile parfois, erronée souvent. Pour y parvenir, il décide de «remonter à la source du mot, puis de reconstituer son histoire», en relatant son évolution, en expliquant ses différents sens, ses contradictions.

Serge Doubrovsky occupe une large place dans cet ouvrage. Comment pouvait-il en être autrement ? Écrivain et universitaire, c’est lui qui, en 1977, inventait le mot dans «une période d’intense bouillonnement culturel», celui du «microcosme littéraire américain» dans lequel il évoluait et où se développait une terminologie littéraire faite de termes tels que «transfiction», «superfiction», «fiction of the self»… Sur la quatrième de couverture de son roman intitulé Fils (1977), apparaissait donc le terme «autofiction» assorti d’une petite note expliquant, comme le résume Gasparini, que «ce n’est plus l’histoire, les péripéties qui peuvent sembler romanesques, mais c’est la forme même du récit qui transforme les faits réels en fiction».

Qu’est donc cette autofiction telle que l’entend Doubrovsky en 1977 ? En même temps que son auteur cherche à se distinguer de l’autobiographie pratiquée par Rousseau, il en emprunte tous les codes, à commencer par le «pacte autobiographique» défini par Philippe Lejeune quelques années plus tôt. Ainsi, le narrateur d’une autofiction, qui emploiera la première personne du singulier, portera le même nom que l’auteur du livre. Mais chose nouvelle dans l’autofiction, «le pacte autobiographique s’applique à ses souvenirs, non à la mise en scène de leur surgissement et de leur rumination. Fils programme donc une double réception : référentielle quant au passé du héros-narrateur, fictionnelle quant au cadre narratif justifiant l’évocation mémorielle». A cette double réception s’ajoute la particularité stylistique du texte ainsi que le lien entretenu avec la cure psychanalytique que suivait alors Doubrovsky.

L’originalité de l’œuvre de Serge Doubrovsky se situe aussi – et surtout selon Gasparini – dans le geste autocritique qui accompagne sa création littéraire. Universitaire, il s’est livré et se livre encore à l’exercice de la critique de son propre travail en relatant la genèse de ses textes, en les commentant, en exposant sa méthode et en définissant aussi sa stratégie narrative. En cela, Serge Doubrovsky vient encore brouiller les frontières génériques dans la mesure où ses études peuvent se lire comme de nouveaux fragments autobiographiques.

Alors que Serge Doubrovsky sera amené à faire évoluer sa propre définition de l’autofiction avec ses autres «romans», notamment sur la question du style et la place de la psychanalyse, le terme commencera, lui, à entrer dans le vocabulaire critique. Jacques Lecarme et Philippe Lejeune seront les premiers, au début des années 80, à l’utiliser avec des acceptions parfois différentes, tantôt centrées sur «l’auto», tantôt sur la «fiction». Avec rigueur et force détails, Gasparini retrace l’examen du concept d’autofiction par ces deux théoriciens de l’écriture autobiographique en soulignant, très justement, «l’importance du dialogue critique dans la maturation du concept d’autofiction».

Au-delà des propres ajustements de l’auteur sur le sens de son néologisme, l’histoire du mot a dû aussi composer avec les «attaques» d’autres poéticiens, tels que Gérard Genette et Vincent Colonna, qui assignèrent au terme «de nouveaux signifiés que son créateur ne pouvait accepter, car ils impliquaient une exclusion de ses propres œuvres comme référents». Ainsi, «autofiction» devint synonyme de «fictionnalisation de soi», expression qui renvoie à des textes dans lesquels l’auteur-narrateur s’imagine une vie, s’invente des vies alors que la définition initiale insistait sur le caractère référentiel de ce qui est raconté : récit «d’événements et de faits strictement réels».

En marge de ces discussions sur la définition du terme ainsi que sur ses emplois sont apparus des expressions ou mots concurrents que Gasparini évoque à leur tour. «La Nouvelle autobiographie», expression que l’on doit à Alain Robbe-Grillet, aurait pu concurrencer la dénomination de Doubrovsky et cela d’autant plus étrangement que le héraut du Nouveau Roman avait jusque-là évacué la notion d’auteur et d’expérience vécue. Mais si elle n’eut pas un large écho, c’est que «le créateur du concept de ‘nouvelle autobiographie’ ne chercha pas à en étendre le domaine au-delà des auteurs de sa génération et de son clan». L’autre terme est celui de «surfiction», inventé par Raymond Federman pour désigner sa propre pratique qui visait à rendre compatibles écritures expérimentale et autobiographie. Là aussi, le mot ne dépassa pas les frontières d’une sphère de spécialistes.

Le Livre brisé (1989) de Serge Doubrovsky, le colloque de Nanterre «Autofiction & Cie» (1992) contribueront à la diffusion du néologisme qui rencontrera un large écho à la fin des années 90 sous les impulsions nouvelles ou renouvelées de chercheurs (Marie Darrieussecq, Jacques Lecarme), de romanciers (Marc Wietzmann) et d’essayistes (Christophe Donner). A partir du début des années 2000, Serge Doubrovsky proposera une définition stable de l’autofiction, envisagée comme variante postmoderne de l’autobiographie et composée d’une dizaine de critères définitoires tels que «l’identité onomastique de l’auteur et du héros narrateur», «le sous-titre roman», «le primat du récit» ou encore «une stratégie d’emprise du lecteur». Plus tard, les concepts de «roman du Je» et de «roman autobiographique» – qui recoupe la notion d’autofiction telle qu’entendue par certains aujourd’hui – permettront «d’aborder autrement la problématique de l’ambiguïté générique» et cette analyse permettra à Gasparini de revenir sur sa précédente étude.

Une fois cette histoire du mot terminée, Philippe Gasparini finit par s’interroger sur la possibilité d’en faire la synthèse afin d’obtenir «un concept opératoire pour la littérature d’aujourd’hui et de demain». En empruntant à Arnaud Schmitt le concept «d’autonarration» qui devient la «forme contemporaine» de l’espace autobiographique, Gasparini cherche à redonner une cohérence au concept d’autofiction. L’autofiction est alors définie comme un texte dans lequel «un certain nombre d’éléments de l’auto-récit ont été imaginés ou remaniés par l’auteur». Dès lors, «autofiction ne signifiera ni plus ni moins que roman autobiographique contemporain».

Cette étude est tout à la fois l’histoire d’une notion et un traité de poétique sur ce que Gasparini finit par nommer l’autonarration. Analyse riche, claire, accessible et exigeante, elle redonne à chacun des termes autobiographie, autofiction, roman autobiographique, autofabulation leur dignité. Désignant des pratiques précises, des procédés narratifs repérables, elle rend opératoires des notions qui seront désormais utilisées, espérons-le, à bon escient.


Arnaud Genon
( Mis en ligne le 18/06/2008 )
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