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Pas d’écarts au ''pays du milieu'' | | | Roland Barthes Carnets du voyage en Chine Christian Bourgois 2009 / 23 € - 150.65 ffr. / 245 pages ISBN : 978-2-267-02019-9 FORMAT : 12cm x 20cm
Voir aussi :
- Alain Robbe-Grillet, Pourquoi j'aime Barthes , Christian Bourgois, Février 2008, 74p., 8 , ISBN : 978-2-267-02023-6
Lauteur du compte rendu : Arnaud Genon est docteur en littérature française (PhD), membre du Groupe «Autofiction» ITEM (CNRS-ENS) et auteur, chez lHarmattan, de Hervé Guibert. Vers une esthétique postmoderne (2007). Il a cofondé un site de ressources consacré à Hervé Guibert (http://herveguibert.net) et un site dédié à lécriture autofictionnelle (http://autofiction.org). Imprimer
Après la récente découverte du magnifique Journal de deuil de Roland Barthes (aux éditions du Seuil), on attendait avec autant denthousiasme ses Carnets du voyage en Chine qui, eux aussi, étaient jusque-là restés inédits. Les éditions Bourgois, associées à lIMEC, les publient au cur dune riche actualité autour du célèbre auteur des Mythologies, disparu il y 29 ans.
A lorigine de ces Carnets se trouve une invitation officielle pour un voyage en Chine, du 11 avril au 4 mai 1974, voyage «organisé et encadré» auquel Roland Barthes participa en compagnie de François Wahl (son éditeur dalors) et dune délégation du groupe Tel Quel composée de Philippe Sollers, Julia Kristeva et Marcelin Pleynet. Dès le départ, comme le note Anne Herschberg dans sa présentation, «Roland Barthes pense à rapporter un texte de Chine». Mais de ces notes ne naîtront finalement quun exposé sur la Chine à lÉcole Pratique des Hautes Études et un article du Monde intitulé «Alors, la Chine ?». Fallait-il alors publier comme texte ce qui pourrait être considéré comme un simple avant-texte ?
Il est vrai que ces notes, méditations et réflexions traduisent lennui que ressent très rapidement le critique à lécoute des discours qui ponctuent chacune des visites dans les écoles, les hôpitaux et autres usines, chaque exposé étant en fait un «tissu de stéréotypes», de topoï, de «briques» ainsi quil les nomme. Alors, lintérêt ne réside pas dans le décryptage de ce quil voit ou entend ainsi remet-il à plus tard «une étude de la rhétorique de ces séances» mais au contraire dans la résistance de la Chine à ses outils dinterprétation. Dès le début, lucide, Roland Barthes remarque dailleurs : «Je sens que je ne pourrai les éclairer en rien mais seulement nous éclairer à partir deux. Donc, ce qui est à écrire, ce nest pas Alors, la Chine ? mais Alors la France ?».
La Chine paraît être sans prise sur Barthes, il ny trouve nul «punctum», notion quil définira ainsi en 1980 dans La Chambre claire : «petit trou, petite tache, petite coupure et aussi coup de dés. Le punctum dune photo, cest ce hasard qui, en elle, me point (mais aussi me meurtrit, me poigne)». En Chine, pas de place pour le hasard, pour la faille : il se confronte aux blocs, aux briques du «réalisme soviétique». «Leur seule uvre dart», la calligraphie, est pour lui lunique source de beauté.
Ces Carnets restent un formidable document sur la manière dont procède Barthes et aussi sur léchec de cette tentative dapproche dun monde quil décrit comme fade et plat. Si le critique pense à un moment que ses notes «attesteront sans doute, la faillite, en ce pays, de [s]on écriture (par comparaison avec le Japon)», il se trompe. Elles révèlent paradoxalement que Barthes, souvent réduit au critique structuraliste et au sémiologue, est avant tout un auteur de la saveur, de lécart, de la trace. Et il naura rien trouvé de cela en ce pays dont le nom signifie étymologiquement est-ce un hasard ? «le pays du milieu».
Hommages
Au cur de cette actualité barthésienne, on lira aussi avec plaisir le recueil de quatre textes quAlain Robbe-Grillet consacra à Roland Barthes et quOlivier Corpet a réunis et présentés. Ces textes, tour à tour issus dune intervention au colloque de Cerisy-la-Salle de juin 1977, dun article dans Le Nouvel Observateur en 1981, dun catalogue de lexposition, en 1995, de dessins de Barthes à Rio de Janeiro et encore dune commande pour France Culture en 1980, traduisent, chacun à leur manière, la profonde estime et l'amitié qui lièrent le Pape du Nouveau Roman à lessayiste depuis 1953.
Ces textes ont en commun dévoquer Roland Barthes comme romancier, comme écrivain plus que comme écrivant. Ainsi que le remarque Olivier Corpet, si Robbe-Grillet évoque Barthes en le considérant de cette manière, cest quil cherche à lever «cette hypothèque interprétative devenue à ses yeux si pesante et déformante au fil des années». Car Barthes, en interprétant les premiers textes de Robbe-Grillet, avait enfermé son uvre «dans une problématique et une rhétorique structuralistes trop univoques», problématique de laquelle voulut sortir lauteur des Gommes en estimant, à la fin des années 70, quil navait en fait toujours parlé que de lui dans ses romans.
Mais de ces pages, on retiendra surtout, et finalement, le véritable hommage, sincère et juste dun romancier pour un écrivain qui, tous deux, auront marqué la littérature de la deuxième moitié du XXe siècle.
Arnaud Genon ( Mis en ligne le 17/03/2009 ) Imprimer
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