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Histoire & Sciences sociales -> Témoignages et Sources Historiques |
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L’absence pour seule éternité | | | Jean-Paul Morel Camille Claudel - Une mise au tombeau Les Impressions nouvelles - Réflexions faites 2009 / 22,50 € - 147.38 ffr. / 318 pages ISBN : 978-2-87449-074-3 FORMAT : 17cm x 24cm Imprimer
Le 10 mars 1913, lartiste Camille Claudel passait définitivement de lautre côté de la vie. Internée sur «placement volontaire» à Ville-Évrard, elle entamait une plongée dans les oubliettes de la psychiatrie, qui allaient la retenir prisonnière jusquà sa mort. Maints ouvrages de référence de lépoque sur la peinture ou la sculpture la signalèrent dailleurs comme décédée aux alentours des années 20, ignorant quen réalité la vieillesse léternisait, non plus dans lécoulement du siècle, mais dans une temporalité parallèle et itérative, propre aux aliénés.
Le philosophe et journaliste Jean-Paul Morel a rassemblé les pièces dispersées dun puzzle aussi sordide que dramatique. Le dossier de cette mise au ban asilaire semble donc enfin complet, bien quil y plane encore des zones de mystère. Au premier coup dil, le livre déroute et présente des aspects rébarbatifs si lon se contente de le feuilleter distraitement : peu de texte explicatif en somme, mais des lettres reproduites in extenso, des listes de noms, des bilans de santé, des articles de loi, de nombreuses annexes. Pourra-t-on réellement sintéresser à ce genre de pensum touffu ? La réponse est oui, car, demblée, nous sommes happés par les engrenages dun authentique drame personnel. Même les pesées mensuelles de la frêle patiente ou ses commandes de colis alimentaires émeuvent. Ces données, dune sécheresse toute clinique, se muent en touchants témoignages des tourments endurés par Camille. Et les documents se font traces.
À cause de quelle fêlure intime se rompit léquilibre de cette femme talentueuse, sensible jusquau génie pur ? Linconnue demeure. Une vague histoire davortement circule, mais cest le non-dit le plus assourdissant de cette enquête. Par contre, il est clair que lamante de Rodin se laissa gagner par une paranoïa hystérique envers son mentor. Rongée par un délire qui flirtait avec de suspectes théories complotistes dépassant de loin ses déchirements passionnels, la malheureuse simagina spoliée, plagiée, pillée de ses derniers meubles par une bande de marchands et de galeristes, tous véreux et francs-maçons, emmenés par le démoniaque Auguste.
On ne lira pas sans frisson les remontrances comminatoires de Madame Louise Claudel, interdisant aux infirmières de laisser sortir le moindre courrier de sa fille ; on ne recevra pas sans malaise la paresse confessée par son cagot de frère, Paul, plus obsédé par le salut de lâme de son aînée que par la préservation de son intégrité psychique ou, pis, le sort de sa dépouille.
La vérité des rapports humains se complexifie à lextrême lorsque lon recoupe certains échanges épistolaires. Camille ne rend jamais sa mère responsable de sa lamentable situation, alors que cette dernière fait pourtant tout pour la maintenir séquestrée ; Rodin tente de rattraper ses lâchetés en fournissant régulièrement de largent à linstitution en charge de Camille ; et puis, il y a les atermoiements et les ambiguïtés de Paul, remis vertement à sa place par linflexible Louise dans une lettre au ton cassant : «Si tu as une conviction si profonde de la religion et que tu veuilles nous la communiquer, commence par prêcher lexemple. Je peux bien te dire que la façon dont tu la comprends et la pratiques, a beaucoup contribué à men éloigner. Je ne trouve chez toi aucune des qualités qui en forment le fond et lesprit, à [commencer par les] devoirs envers les parents, les enfants et soi-même.» À limbroglio familial sajoute la logique cruelle du monde de lart, avec ses engouements flatteurs, ses revers subits et arbitraires, ses irrémédiables amnésies. Autant déléments disparates qui scelleront le destin et la solitude dun être dexception.
Nous navons dès lors pas affaire ici à un récit mais plutôt à une suite déclairages dont lunique faiblesse est de souffrir, dans son ultime chapitre, de trop flagrantes redites. Apparaissant en filigrane, au moment des didascalies et des commentaires nécessaires à lintelligence de sa tragédie, lauteur sen absente ; lobjectivité de sa démarche nen est que plus évidente ; et cest au lecteur seul de se faire une idée du rôle endossé par chaque protagoniste.
En 1988, une plaque commémorative fut apposée à Paris, au 19 du quai Bourbon, sur les murs de limmeuble dans lequel Camille vivait en locataire recluse avec une douzaine de chats et doù, racontait-elle, on lavait littéralement enlevée. Une phrase extraite dune missive à Rodin y est gravée : «Il y a toujours quelque chose dabsent qui me tourmente». Croyait-elle si bien dire ? Cette absence nétait quelle-même.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 28/09/2009 ) Imprimer | | |
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