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Histoire & Sciences sociales -> Témoignages et Sources Historiques |
| Vincent Milliot Un policier des Lumières Champ Vallon - Les Classiques 2011 / 33 € - 216.15 ffr. / 1150 pages ISBN : 978-2-87673-553-8 FORMAT : 12,9cm x 19,9cm
Suivi de Mémoires de J.C.P. Lenoir, ancien lieutenant général de police de Paris écrits en pays étrangers dans les années 1790 et suivantes
L'auteur du compte rendu : Matthieu Lahaye est professeur agrégé et docteur en histoire moderne. Imprimer
Cest en homme meurtri, amer que Jean-Charles-Pierre Lenoir (1732-1807), lultime lieutenant général de police de Paris, prit la plume au début des années 1790. Réfugié à Genève, puis à Soleure, celui qui avait été présenté dès louverture des états généraux de 1789 comme la figure du despotisme policier était décidé à saccorder un droit de réponse dans ses Mémoires, un texte daction et de réaction contre la caricature de la police parisienne dressée par les révolutionnaires. Ce texte inachevé, inabouti, corrigé au moins jusquen 1807, date de la mort de Lenoir, poursuit un objectif dont ne dévie jamais lauteur : laver lhonneur dun homme diffamé par des ennemis peu embarrassés de scrupules et de lesprit de nuance, établir la vérité dune administration qui sétait fixée pour tâche première daccompagner la croissance de la première ville du royaume, un organisme de plus de 700 000 âmes encadrées par 48 commissaires et 20 inspecteurs.
Vincent Milliot, professeur à luniversité de Caen, a choisi déditer ce texte inédit comme point de départ à un panorama de la police parisienne au siècle des Lumières. Fin connaisseur de ce sujet, il sait sentourer avec bonheur des travaux récents tels ceux de Vincent Denis, de Pierre Brouillet, mais aussi de Catherine Denys ou Justine Berlière qui, touche après touche, infléchissent une historiographie trop longtemps sensible aux sirènes révolutionnaires. Ne citons à cet égard que la thèse de Christian Romon, Mendiants et vagabonds à Paris daprès les archives des commissaires du Châtelet, 1700-1784, soutenue en 1981, qui refusait denvisager les rapports entre la police et les populations autrement que dans lalternative entre révolte et soumission.
Or, à laide des Mémoires de Lenoir et darchives tirées essentiellement de la série Y (Châtelet de Paris) des Archives nationales, lauteur établit dune manière convaincante que les buts de la police parisienne à la fin du XVIIIe siècle sinscrivaient dabord dans lordre de la gestion et de la prévention des désordres plus que dans celui de la répression. Très marquée par la thématique du «bien public» diffusée par les Lumières, la police, en charge de lapprovisionnement des marchés, de la préservation de la salubrité publique, de la régulation des tensions sociales se pensait comme lultime rempart contre le désordre avant de simaginer être le bras armé dun régime despotique qui nexista jamais que dans les esprits enflammés dambitieux agitateurs.
Aussi, lessai historique qui précède les Mémoires fait-il un point exhaustif sur les savoirs policiers, les procédures, le personnel, les moyens daction du petit nombre de personnes chargées de la sécurité de la capitale. Les écrits théoriques des commis qui eurent en charge de construire cette administration dans la seconde moitié du XVIIIe siècle sont judicieusement mis à contribution, que ce soit le dictionnaire de Delamare ou les Mémoires sur la police de Paris de Lemaire qui rappellent que «le poids dune rigueur excessive» de la police est «plus propre à révolter contre la loi quà leur [le peuple] en apprendre et à leur en persuader lutilité». Linsertion dans la communauté était ainsi une condition essentielle de la réussite policière ce qui oblige, selon les mots de Nicolas-Toussaint des Essarts à regarder «[...] la maison dun commissaire comme une espèce de temple civil où lon va chercher du secours contre le malheur».
Peu à peu, la culture politique de Lenoir émerge dans toute sa subtilité, une sorte dinterventionnisme étatique assorti dune réelle bienveillance pour le peuple. En cela Lenoir fut un opposant acharné au libéralisme de Turgot (1721-1787), à ses réformes brutales, subversives selon lui, pour les fondements institutionnels, politiques et sociaux de lÉtat. Si Lenoir critiquait bien des aspects de lordre ancien, il refusait ces réformes aux seules raisons quelles navaient pas été négociées ni éprouvées par une longue pratique, seul moyen efficace de se préserver des ruptures. Cette option politique qui était aussi celle de Louis XVI fut balayée, à lire Lenoir, par lagitation religieuse, lemballement du débat public et surtout son instrumentalisation par des hommes de lettres ne reculant devant rien pas même la calomnie.
Et cest bien une étrange ivresse qui se dégage de cette démonstration, lidée que la Révolution de 1789 fut certes la possibilité de solder des tensions sociales accumulées sous lAncien Régime, mais aussi un moment de mensonges paniques, dinsouciance dune jeunesse crâneuse et imbécile qui voulut croire que lon se débarrasse à peu de frais de son histoire. Lattitude dune partie de lélite nobiliaire et officiaire avait de quoi énerver ces jeunes loups : leur étroitesse desprit, leurs vils et bas préjugés ne pouvaient que susciter mépris et violence.
En somme, ce livre précieux, qui laisse au lecteur le loisir de confronter lanalyse de lauteur et sa source principale, nous apprend que le libéralisme, en revendiquant le monopole du changement, vouant un mépris sans pareil aux alternatives, agit à limage de toutes les idéologies dune manière terroriste. Ce livre qui consacre lérudition de Vincent Milliot sur la chose policière montre que cette administration, loin dêtre figée dans ses certitudes, se pensait, se réformait et simaginait légitime seulement dans sa proximité à légard des peuples dont elle avait reçu la charge.
Matthieu Lahaye ( Mis en ligne le 31/01/2012 ) Imprimer | | |
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