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Histoire & Sciences sociales  ->  Témoignages et Sources Historiques  
 

Frère Alexandre, ne vois-tu rien venir ?...
Alexander Werth   La Bataille de Moscou. 1941
Tallandier 2012 /  19.90 € - 130.35 ffr. / 253 pages
ISBN : 978-2-84734-983-2
FORMAT : 14,5 cm × 21,5 cm

L'auteur du compte rendu : Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.
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L’œuvre historique d’Alexander Werth est désormais familière aux amateurs d’histoire de la Seconde guerre mondiale : après son Leningrad 1943 (Tallandier), sa Russie en guerre (Tallandier) et en attendant son Stalingrad, voici La Bataille de Moscou 1941 qui fait le lien et débute cette série de reportages et de récits autour de la Grande Guerre patriotique de l’URSS – la Seconde Guerre mondiale vue de l’Est. Un ensemble de récits donc, entre journal, témoignage et analyse, écrits par un journaliste Anglais né en Russie, parfaitement russophone et amoureux de sa patrie d’origine.

Nommé correspondant de l’agence Reuters, Werth est envoyé, en juillet 1941, dans une capitale moscovite encore préservée : l’opération Barbarossa débute, on espère un essoufflement, un sursaut soviétique, des pertes allemandes massives et moralement décourageantes... Personne ne sait exactement ce dont dispose la Wehrmacht… ni l’Armée rouge du reste ! Le tableau de la ruée allemande, vue de Moscou, est quasi détaché de toute réalité. Puis Smolensk, Kiev, Pskov tombent, Leningrad est menacée, les bombardements aériens débutent sur Moscou, les bombes incendiaires pleuvent, les premiers avions allemands se crashent : la guerre devient une réalité pour les Moscovites, mais une réalité que l’on fuit, en préservant concerts, détente, promenade. Et le journaliste, aux interstices de cette normalité affichée et de la réalité – telle que les autorités la rapportent –, observe, détaille ce front qui, doucement, se rapproche. Les bombardements se multiplient, la ville devient peu à peu une cible. Le regard d’un Anglais ayant vécu le Blitz est alors d’autant plus intéressant qu’il est prophétique et la question d’une chute de Moscou plane constamment, quand bien même la simple idée en semble déjà criminelle.

On découvre ainsi le quotidien de Moscou face à la vague montante des blindés allemands, le quotidien d’une société qui veut repousser la guerre, presque l’ignorer. C’est aussi le tableau d’une alliance en train de naître, dans la douleur, entre Soviétiques et Anglais (sur le mode «tiendront-ils ? sont-ils fiables ?»), avec l’Amérique en arrière-plan… et, en dépit du pacte anti-komintern, des diplomates japonais, toujours très présents. De cette ville, de sa société et de la petite colonie étrangère, Werth est un observateur subtil, subtil mais frustré : il connaît le monde russe, en maîtrise la culture, et ses observations fines sur le moral et le mental de la population sont toujours bienvenues. Mais on ressent chez lui la frustration du journaliste - correspondant de guerre qui n’est pas sur le front, et qui demeure cantonné à l’arrière et aux conférences de presse journalière du régime. Entre le discours lénifiant des autorités («tout va bien») et la réalité d’un assaut qui se précise, l’homme de presse s’exaspère. Une impuissance ressentie, qui va de pair avec une ambiguïté. L’ambiguïté d’Alexander Werth réside dans son rapport à la Russie/URSS : il observe, avec une affection mêlée de curiosité, ce pays qui ne ressemble plus guère à ses souvenirs du temps du tsarisme, mais son intérêt majeur va pour les maîtres de cette nouvelle Russie, et notamment Staline, si loin et paradoxalement si familier.

C’est l’une des rares concessions à la politique, dans ce récit impressionniste : passées les considérations surréalistes sur la légitimité du pacte germano-soviétique et de l’invasion de la Pologne (en gros : de la prudence !), Werth se tient soigneusement à l’écart de toute polémique et semble parfois évoluer dans un immense décor dressé pour l’occasion, où la guerre se faufile à l’occasion d’un bombardement, d’une visite à une usine de camions, d’un problème de ravitaillement ou de la rencontre d’un soldat optimiste et mutique. Un Moscou qui, sans être coincé dans une «Drôle de guerre», n’en mesure que lentement la réalité. Mais la réalité s’impose, et c’est tout le sel de ce journal, de montrer aussi comment une population bascule peu à peu dans la guerre et ses valeurs, avec un seul mot d’ordre, «tenir».

Comme les précédents ouvrages d’Alexander Werth, préfacés par son fils, l’historien Nicolas Werth, le récit est saisissant et la lecture plaisante. Les amateurs d’histoire de la guerre, et les curieux, liront avec plaisir ces pages qui oscillent entre reportage de guerre et carnet de voyage, rédigées d’une plume élégante par l’un des rares occidentaux à pouvoir «lire» ainsi la société russe.


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 20/11/2012 )
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