| Achille Tatius Le Roman de Leucippé et Clitophon - Edition bilingue français-grec Les Belles Lettres - Classiques en poche 2013 / 14.50 € - 94.98 ffr. / 422 pages ISBN : 978-2-251-80226-8 FORMAT : 10,8 cm × 17,8 cm
Jean-Philippe Garnaud (Traducteur)
Françoise Frazier (Traducteur)
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE), est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire de la Sorbonne à Paris, où il est responsable du CADIST Antiquité. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
Avec la parution du Roman de Leucippé et Clitophon dAchille Tatius, la collection ''Classiques en poche'' des éditions des Belles Lettres nous offre la première édition bilingue, au format poche, de lun des cinq romans grecs parvenus complets jusquà nous, avec Callirhoé de Chariton dAphrodisias, Les Ephésiaques de Xénophon dEphèse, Daphnis et Chloé (ou les Pastorales) de Longus et les Ethiopiques dHéliodore. Le genre du roman apparaît comme une invention de lépoque impériale, même sil puise à dautres genres préexistants et que le terme de «roman» est anachronique pour lépoque car il nest attesté quà partir de la période médiévale pour qualifier des textes narratifs en prose exposant les aventures mouvementées de personnages fictifs.
La présente édition reprend le texte et la traduction de Jean-Philippe Garnaud publiés dans la ''Collection des Universités de France'', mais avec une révision de Françoise Frazier, professeur de langue et littérature grecques à lUniversité Paris Ouest Nanterre La Défense, qui signe aussi lintroduction («Eros sophistès ou une paideia pour pepaideumenoi»), les notes et les annexes (sur les «logoi et mythoi amoureux» vus à travers des extraits de Moschos, Euboulos, Juvénal, Platon, Philostrate, Ménandre le Rhéteur, Plutarque et divers poètes de lAnthologie Palatine ; sur «le roman vu par les Byzantins» Léon le Philosophe, Photius et Michel Psellos).
On ne sait pas grand-chose dAchille Tatius, qui semble avoir vécu au IIe siècle de notre ère, en pleine période dessor de la Seconde sophistique. Selon la Souda, il était dAlexandrie et devint chrétien et évêque à la fin de sa vie. Mais ces éléments biographiques semblent en réalité bien invérifiables et improbables. Son rattachement à Alexandrie nest ainsi peut-être dû quà ses descriptions très précises de la ville dans le roman.
Le récit commence dans le temple dAstarté à Sidon, où le romancier rencontre Clitophon, le héros, alors quils admirent tous deux un tableau représentant lenlèvement dEurope. Clitophon raconte son histoire à son interlocuteur, qui la rapporte à la première personne du singulier. Dans la ville de Tyr où il vit, Clitophon, promis à sa demi-sur Calligoné par leur père commun, tombe néanmoins amoureux de sa cousine Leucippé, originaire de Byzance, qui débarque à Tyr quelques jours avant le mariage de son cousin. Un jeune homme de Byzance, appelé Callisthénès, tente denlever Leucippé mais se trompe en ravissant Calligoné. Clitophon et Leucippé s'enfuient à leur tour de Tyr par mer, mais ils font naufrage en Égypte, où ils sont capturés par des brigands, qui veulent offrir Leucippé en sacrifice. Croyant Leucippé morte, Clitophon est sur le point de se suicider, mais on apprend alors que le sacrifice nétait en fait quune mise en scène et que Leucippé a survécu. Des soldats égyptiens secourent les captifs, mais leur officier tombe amoureux de Leucippé, recherchée par ailleurs par dautres prétendants. Un certain Chairéas enlève Leucippé sur son navire. Clitophon le poursuit, mais il assiste depuis son bateau à la décapitation de la jeune fille, dont le corps est jeté à la mer. Revenu désespéré à Alexandrie, Clitophon accepte dépouser une riche veuve, Mélité, à laquelle il refuse toutefois ses faveurs dans un premier temps. Ils se rendent tous deux à Ephèse, où ils retrouvent Leucippé, qui nest en réalité pas morte (une autre femme avait été décapitée à sa place) et qui devient la servante de Mélité. Clitophon se retrouve cependant aussitôt accusé dadultère, car le mari de Mélité, Thersandre, nest en fait pas mort. Après deux procès et une période de grande confusion, Leucippé est finalement rendue à son père Sostratos qui consent à la donner pour épouse à Clitophon. Le mariage des jeunes gens est célébré à Byzance, patrie de la jeune fille. Le récit se termine alors de façon assez abrupte sans quil ny ait de retour au premier narrateur ayant rencontré Clitophon à Sidon, et sans que rien ne soit dit sur ce qui se passe entre le mariage et cette rencontre.
Le roman multiplie les aventures et les couples amoureux, les fausses morts et autres échappatoires ingénieuses, mêlant passages rhétoriques, références platoniciennes (notamment au Phèdre), récits secondaires enchâssés, apartés mythologiques et «contes phéniciens» scabreux. Lhumour est particulièrement présent dans cette uvre qui bat en brèche le stéréotype du «roman grec idéaliste», Clitophon apparaissant plus comme un anti-héros assez veule et plaintif que comme un courageux prince charmant. La lecture du roman est dautant plus agréable que lon se plaît à repérer ici ou là différentes références intertextuelles, ce qui rend létude de luvre particulièrement riche et passionnante.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 17/12/2013 ) Imprimer | | |