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Histoire & Sciences sociales -> Témoignages et Sources Historiques |
| Jean-Noël Grandhomme Isabelle Sandiford-Pellé La Guerre ne tardera pas : Correspondance de Maurice Pellé, - attaché militaire à Berlin de 1909 à 1912 Armand Colin - Recherches 2014 / 29 € - 189.95 ffr. / 314 pages ISBN : 978-2-200-28763-4 FORMAT : 15,3 cm × 23,5 cm
Jean-Noël Grandhomme a collaboré à Parutions.com
L'auteur du compte rendu : Jean-Pierre Sarmant est inspecteur général honoraire de léducation nationale. Imprimer
Le cur de ce livre est constitué par les rapports adressés par Maurice Pellé à sa hiérarchie ainsi que par les nombreux courriers confidentiels provenant des archives privées de la famille Pellé. Rendant lensemble accessible au public tout en ouvrant des pistes aux chercheurs par des cotes darchives, cet ouvrage est un modèle de travail universitaire.
Sa parfaite connaissance de lallemand, sa culture et ses qualités dhomme du monde ouvrent rapidement à Maurice Pellé les portes de la société berlinoise, jusquau sommet de celle-ci. Le Kaiser lui-même recherche sa conversation et sentretient à maintes reprises avec lui, souvent en tête-tête et pour plus de dix minutes. Dans ses rapports, Pellé, commandant, puis colonel, est loin de se limiter aux sujets militaires qui constituent le cur de sa mission. Il aborde souvent des considérations diplomatiques et économiques. Il ne se contente pas de rendre compte et va fréquemment jusquà recommander les mesures quil juge opportunes au ministre de la Guerre ainsi quau général Joffre, chef de létat-major général, auquel il adresse en parallèle des lettres personnelles et confidentielles.
On trouve également dans les écrits de Pellé un tableau passionnant de la société du second Reich, juxtaposition paradoxale de modernité et dAncien Régime. Un exemple : les officiers bourgeois (mais jamais juifs), dont un progrès récent de la démocratisation à amené le recrutement, sont invités aux fêtes de cour, mais leurs femmes ny sont pas reçues. En ne se contentant pas de fréquenter les élites mais en dépouillant la presse, y compris provinciale et populaire, Pellé se fait une idée des mentalités. Pour lui, les Allemands sont comme enivrés par les progrès extraordinaires accomplis par leur pays depuis son unité et par son rayonnement dans tous les domaines. Ils ne souhaitent pas la guerre mais pensent que lAllemagne a droit à toute sa place, cest-à-dire à la première. Certains de leur supériorité militaire, ils ne redoutent pas laffrontement, tout en développant par ailleurs un complexe dencerclement depuis la constitution de la Triple-Entente.
Pellé est également inquiet de la propagation des idées du darwinisme social appliqué aux nations. A cet égard, les élites quil fréquente restent plus modérées et moins agressives. Il voit dans la propagation des idées nationalistes et pangermanistes un mouvement du bas vers le haut. Ainsi lopinion publique demande en 1912 une revanche de laffaire dAgadir à lissue de laquelle lAllemagne na pas obtenu une part du Maroc. Pour Maurice Pellé, cest plutôt lopinion publique que lempereur et son entourage qui pousseront à une guerre quil tient pour inévitable.
Depuis les années 1870, le Deuxième Reich exerce une fascination sur les élites françaises. Pellé sélève contre ce que nous appellerions un complexe dinfériorité. Tout en reconnaissant la force impressionnante de lAllemagne, lattaché militaire français y discerne aussi des faiblesses et tout particulièrement une confiance en soi excessive. Avec le recul dont nous disposons, la clairvoyance du colonel Pellé impressionne. Il devine que lAllemagne se précipitera en premier sur la France à travers la Belgique dont elle violera la neutralité. Il recommande de développer lartillerie lourde pour léventualité dune guerre de position et enfin de sinspirer de la tenue feldgrau. En 1911, il prédit le «coup dAgadir» avec deux mois davance ! Il y discerne un «bluff» auquel il recommande de ne pas céder, tout en évitant de se montrer inutilement intransigeant. A son avis, les Allemands ne veulent pas la guerre mais sont toujours prêts à la risquer, persuadés quils sont de leur supériorité militaire. Pellé ne croit pas à la guerre, pour cette fois, mais est persuadé de ce que, de crise en crise, «la guerre ne tardera pas». Pour cette éventualité, il dénonce lerreur qui consiste à croire que les sociaux-démocrates sopposeront à celle-ci.
Le grand intérêt de ce volume doit beaucoup au travail considérable des auteurs. Ils ont dabord sélectionné et rassemblé, de façon pour lessentiel thématique, les extraits significatifs darchives vastes et répétitives. Chaque rapport ou courrier est suivi de notes abondantes (de longueur parfois égale au texte) qui remettent en situation les évènements et les personnes. Tout acteur cité fait ainsi lobjet dune courte note biographique. Lédition de texte est précédée par une présentation claire et concise du Deuxième Reich et de la situation internationale. On doit enfin à Isabelle Sandiford, petite-fille de celui qui est devenu le général Pellé, une courte biographie de cette personnalité attachante et hors du commun, intellectuel et artiste peintre. Il fut notamment le premier chef détat-major de larmée tchécoslovaque, en 1919, il est encore honoré par les tchèques comme une héros national.
Les rapports de Maurice Pellé dressent un tableau vivant et contrasté de lAllemagne à la veille de la Grande Guerre et apportent un éclairage original sur les origines de celle-ci. Dans le cadre des commémorations actuelles, il faut souhaiter que cet excellent ouvrage, précieux tant pour le public que pour les chercheurs, connaisse le succès quil mérite.
Jean-Pierre Sarmant ( Mis en ligne le 10/03/2015 ) Imprimer
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