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Histoire & Sciences sociales -> Témoignages et Sources Historiques |
| Jean-Louis Crémieux-Brilhac Prisonniers de la liberté - L'odyssée des 218 évadés par l'URSS (1940-1941) Gallimard - Témoins 2004 / 25 € - 163.75 ffr. / 408 pages ISBN : 2-07-073502-8 FORMAT : 15x22 cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Laurent, agrégé et docteur en histoire, est maître de conférences à lUniversité Bordeaux III et à lIEP de Paris. Il consacre ses recherches depuis plusieurs années aux services de renseignements militaires et policiers aux XIXe et XXe siècles. Il est le fondateur de la section "Histoire & sciences sociales" de Parutions.com.
Jean-Louis Crémieux-Brilhac a été collaborateur de Paru.com. Imprimer
La France Libre fut une authentique aventure. Les multiples témoignages publiés (notamment par Daniel Rondeau et Roger Stéphane dans Des hommes libres : histoire de la France libre par ceux qui l'ont faite, 1997) après la guerre ont attesté du caractère à priori absurde et idéaliste de lengagement de ces sans-grades qui voulurent gagner Londres en 1940 et 1941. Cet ouvrage de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, incontestablement le meilleur historien de la France Libre (La France libre : de l'appel du 18 juin à la Libération, 1996), est principalement autobiographique. Lauteur raconte le périple qui le mena, après la défaite de lété 1940, dun Oflag de Poméranie à Londres, en septembre 1941.
Par modestie ou par sens de lhistoire, probablement les deux, lauteur raconte ses évasions mais aussi celles de ceux qui laccompagnèrent ou quil retrouva dans les différents camps traversés. Ces hommes pensaient trouver la liberté en sévadant dAllemagne et en gagnant lURSS. Ils furent en fait internés dans le camp de Kozielsk, certains dont lauteur après un passage par la célèbre Loubianka, la prison du NKVD. On est loin de La grande illusion, même si lauteur qui sait saisir des gestes, des phrases, parvient, maîtrisant parfaitement lart du portrait, à restituer quelques grandes figures dont émerge celle, nuancée, du capitaine (et futur général) Billotte qui, dautorité, prit le commandement de ces 218 français évadés. En effet, Jean-Louis Crémieux-Brilhac ne cache rien de la vie misérable dans les prisons et les camps et le comportement de certains de ses camarades nen prend que plus de relief. Séclipsant de plus en plus au fur et à mesure que lon avance dans le livre, il fait un formidable portrait de groupe de ces Français aux origines sociales et culturelles très diverses. Lon croit parfois entendre Maurice Chevallier chantant larmée de la drôle de guerre. «Excellents français» ? Oui, pour la plupart dentre eux.
Crémieux-Brilhac ne les abandonne pas à Londres mais achève dans une troisième partie très réussie de présenter leurs destins divers jusquà la fin de la guerre. Certains moururent dans les combats de la Libération, la plupart dentre eux au front, dautres dans les rangs de larmée des ombres. Les 218 ne gagnèrent pas tous Londres car 32 dentre eux, la plupart militants communistes ou sympathisants, décidèrent de demeurer en Union soviétique. Lauteur ne cache rien des dissentiments voire des oppositions alimentant des guerres franco-françaises au camp de Kozielsk. Jusque dans la division, le portrait de cette petite France internée est juste. Passionnant en tout cas.
Lintérêt de cet ouvrage ne réside pas seulement dans lévocation dune véritable épopée mais dans la forme même du récit. Jean-Louis Crémieux-Brilhac, par un habile jeu de typographie, juxtapose ses propres écrits de lépoque, fragments de journal, notes, chansons, avec ses recherches dhistorien effectuées principalement dans les archives soviétiques. Ainsi apparaissent nettement, mis en contrepoint, ce que savaient les internés à lépoque et lappréciation des autorités soviétiques à leur endroit (à cet égard la quatrième partie, «ce que nous ne savions pas», est passionnante). Lon voit très bien que leur sort dépendait étroitement du pacte germano-soviétique de 1939. Tant que lAllemagne nazie ne lavait pas rompu, les soviétiques nenvisagèrent pas de les libérer. Barbarossa changea tout et alors, assez rapidement, ils purent gagner Londres au terme dun périple étonnant passant par le Spitzberg. Les 218 ont trouvé leur mémorialiste et leur historien qui contribue une fois encore à éclairer ce singulier personnage collectif que fut la «France Libre».
Sébastien Laurent ( Mis en ligne le 06/05/2004 ) Imprimer
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