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L'idolâtre...
Joseph Goebbels   Joseph Goebbels - Journal. 1943-1945
Tallandier 2005 /  35 € - 229.25 ffr. / 766 pages
ISBN : 2-84734-114-5
FORMAT : 19,0cm x 26,0cm

Traduction de Dominique Viollet.

Notes de Horst Möller, Pierre Ayçoberry et alii.

L'auteur du compte rendu : agrégé d’histoire, Nicolas Plagne est un ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure. Il a fait des études d’histoire et de philosophie. Après avoir été assistant à l’Institut national des langues et civilisations orientales, il enseigne dans un lycée de la région rouennaise et finit de rédiger une thèse consacrée à l’histoire des polémiques autour des origines de l’Etat russe.

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Joseph Goebbels a tenu un énorme journal, écrit puis dicté, qui couvre les années 1923-1945. C’est, avec les propos de table de Hitler, la source la plus importante sur la pensée des dirigeants de l’Allemagne nationale-socialiste, si on laisse de côté les ouvrages officiels et théoriques publiés du vivant des auteurs comme Mein Kampf ou Le Mythe du 20ème siècle de Rosenberg.

Goebbels avait très certainement l’intention de le publier après «la victoire», peut-être de le laisser à la postérité pour un hypothétique redressement national ou comme un témoignage de défi. L’histoire du journal après la mort de son auteur est traitée en préface avec ses dimensions matérielle et juridique. Comme on peut le deviner, il a beaucoup intéressé et suscité les convoitises éditoriales. Même si les éditeurs se posent la question de sa valeur documentaire comme source d’informations sur la période, en quantité et en qualité, même si l'on invoque la volubilité et la mégalomanie de Goebbels, il est difficile de lui contester le rang de document historique majeur sur la période, ne serait-ce qu’en raison de la position politique de l’auteur dans le 3ème Reich. Au-delà des questionnements liminaires publics, qui ont pour but de justifier la publication en anticipant les approches «moralistes», il est évident que la connaissance du nazisme a besoin de cette pièce formidable du dossier.

Il est vrai que Goebbels ne fut que très tardivement désigné comme successeur de Hitler à la chancellerie, un honneur dérisoire à la veille (au sens littéral) de la chute de Berlin ; Goebbels sera le second chancelier nazi à se suicider en deux jours ! Il est vrai aussi que le propagandiste et ministre de la culture n’a pas été aux commandes des principales fonctions de l’Etat total : police, justice, guerre, économie. Il n’a pas été à l’origine de nombre des grandes décisions de Hitler, ni vraiment consulté, juste informé de ce qui relevait de ses fonctions de communication publique. La part de la subjectivité doit aussi être prise en considération : le journal est sûrement l’opus magnum dont le littérateur Goebbels rêve pour forger sa légende, à côté de la médiatisation très développée de son engagement d’orateur et de ministre pour la cause nazie. Goebbels veut par le journal prouver que son dévouement et son admiration pour son chef, clamés depuis des années à toutes occasions, s’accompagnent d’une véritable proximité : qu’il fait partie du premier cercle des intimes. Certes Goebbels veut sculpter sa statue. La destination du texte porte des limites à la sincérité ou à la vérité, ne serait-ce parfois que pour rester dans l’essentiel. Il est aussi vrai que sa personnalité «envahissante» interfère avec le contenu informatif : l’auteur se montre porté à la digression «métaphysique», scientifique ou historique, aux conceptions "géniales", aux anticipations grandioses, à l’enthousiasme. Le fait qu’il dicte lui impose aussi des moments d’ambiguïté sur des sujets sensibles relativement secrets (à taire ou à révéler plus tard). Son éloignement du terrain limite peut-être la valeur informative de ces explications sur la conduite de la guerre ou l’application des politiques du Reich. Tout cela incite à une certaine prudence sur la fiabilité d’une partie des indications du journal.

Mais on ne peut douter qu’il ait fait partie du saint des saints des dirigeants nazis et sa relation avec Hitler gagne en confiance et en intimité avec les défaites et les problèmes croissants depuis le tournant de 1942. Il est au cœur du système et informé assez vite, au moins à cette époque, des rapports les plus importants sur l’état des affaires de l’Etat. Il nous ouvre aussi une porte sur l’état d’esprit et la psychologie de Hitler et de certains de ses collaborateurs. Il est sûr que Hitler aimait diviser pour régner, ne disait pas tout à chacun de ses subordonnés, mais le génial propagandiste Goebbels est d’autant plus sollicité que le régime n’est plus dans la phase des grandes victoires (ce volume commence avec Stalingrad). Hitler continue de parler culture avec son ministre compétent, mais il a surtout besoin, alors que l’Allemagne est durement bombardée, des services de son plus habile thuriféraire pour enthousiasmer le peuple et lui remonter le moral, y compris au bluff. Mais un point essentiel de la psychologie du nazisme n’est-il pas que la foi sauve ? Que le «fanatisme» est une donnée spirituelle décisive dans le combat politique, autant que l’équipement matériel ? Et Goebbels est d’autant plus utile que sa fidélité et sa compréhension pour le «Führer» sont totales et n’ont d’égaux que son flair et son sens technique pour les coups médiatiques opportuns. La subjectivité de Goebbels elle-même est donc un atout pour entrer dans la vision du monde nazie dans la profondeur de sa sincérité, de son fanatisme ou de sa mauvaise foi intime.

Ce qui frappe dans le journal, c’est d’abord la dépendance affective envers le héros, le demi-dieu Hitler. La relation, asymétrique, présente des caractères évidemment religieux : Hitler dispense avec art ses faveurs, ses confidences, se fait même paternel envers son fidèle camarade de parti, mais il est le Guide écrasé de responsabilités et chargé par le Destin d’une mission historico-mondiale. Goebbels est le compagnon-missionnaire du prophète. Il en résulte évidemment un aveuglement presque total devant les paroles et les décisions du Chef, qui ne sont contestées respectueusement qu’en tant qu’elles révèlent l’influence de tel ou tel rival.

Le journal révèle aussi une indéniable sincérité de Goebbels quant à la doctrine : ni instrument docile et cynique du Capital, ni pur aventurisme sans vision du
monde, le national-socialisme peut bien avoir été le parti d’une classe moyenne anti-communiste et nationaliste et l'aventure d'individus passionnés en quête de sensations intenses ; il se conçoit comme un vrai socialisme de l’intérêt général, réduit il est vrai au corps du peuple. Un socialisme donc national et raciste ; mais aussi étatique, autoritaire, paternaliste, dont Hitler est l’inspirateur et la source. Goebbels admire la vie spartiate de Hitler, qui se prive de café, de théâtre et de musique pour vivre en soldat et premier serviteur, exemplaire et solidaire, de l’Etat ; très loin de la corruption de Goering. La justice de l’Etat consiste dans la guerre à rationner équitablement, à punir pour trahison les fauteurs de troubles, impitoyablement, sans considération des personnes. Les civils doivent prendre leur part de l’effort de guerre par l’engagement dans la production, la patience dans les privations et la solidarité avec les combattants. Tous ne sont exaltés que pour autant qu’ils acceptent courageusement leur mission spécifique dans la communauté différenciée et leurs souffrances inévitables. Goebbels nous fait d’ailleurs entrer dans l’éducation et les conceptions de Hitler : le résumé de sa philosophie politique par exemple, son désir d’une théorisation néo-nietzschéenne, plus communautaire et moins anarchiste, son rejet (mais oui !) du «nihilisme» (attribué à Schopenhauer), son ambivalence envers Rosenberg, meilleur théoricien cependant qu’administrateur.

Hitler doit se priver de la musique de Bruckner, qu’il appréciait de plus en plus : l’annonce de sa mort à la radio deux ans plus tard sera suivie de l’adagio de la 7ème symphonie. Le journal justifie en partie l’idée d’une esthétisation de la politique, de la guerre, d’une spectacularisation qui exalte l’ego des maîtres du monde et particulièrement de Hitler. C’est l’hybris qui met en scène sa démesure, et Goebbels, qui s’en avise au début de 1945, attribue la faute à Ribbentrop. Pas très convaincant, mais Goebbels voit les effets de la politique d’Hitler au moment où elle tourne mal pour son camp et il ne peut ni reconnaître ses propres errements ni incriminer leur source : l’idolâtrie de Hitler, qui s’entretient d’elle-même par un phénomène de cour. Que Ribbentrop, instrument des intuitions géniales et des coups de bluff de Hitler, serve de bouc-émissaire à cet égard témoigne du fanatisme dont Goebbels fait une vertu.

On ne va pas épuiser ici les intérêts de ce document : personnalité de l’auteur, de ses relations, débats politiques au sommet, etc. Tallandier publie en premier le dernier volume du journal. On attend avec grand intérêt les «volumes précédents».


Nicolas Plagne
( Mis en ligne le 14/04/2006 )
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