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Henri Béraud, entre Albert Londres et Chateaubriand
Henri Béraud   Le Flâneur salarié
Bartillat 2007 /  19 € - 124.45 ffr. / 252 pages
ISBN : 978-2-84100-393-8
FORMAT : 12,5cm x 20,0cm

Préface de Pierre Assouline.

Postface de Pierre Mac Orlan.

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Le Flâneur salarié rassemble des articles de la première moitié des années vingt. Béraud est à l’époque un vigoureux quadragénaire que Le Petit Parisien dépêche là où le drame se joue et où l’actualité s’ensanglante. Décroché sur un coup de fil, le voilà en partance pour l’Irlande, à la rencontre des hautes instances du Sinn Fein ; ou suivant le cortège funèbre d’Anatole France ; ou reçu, de conserve avec son confrère Joseph Kessel, dans le hall de l’Hôtel Savoy par le Duce.

Béraud donnait en ces termes la recette de son travail : «Regardez l’envers de la société, mêlez-vous aux hommes, percez les mobiles des grands, touchez les plaies des humbles ; observez de la coulisse les tragédies du monde et ses comédies, errez dans les villes de cristal où l’on voit les négociants dans leurs bureaux, les ouvriers dans leurs faubourgs, […] les assassins devant la guillotine, les diplomates en proie au vertige du néant, et les grands hommes dans la misère de leur gloire.» De tels accents situent cette plume, parfaitement affûtée, entre Albert Londres et le Chateaubriand des Mémoires d’outre-tombe. Il suffit pour s’en persuader de lire la description du corps du Pape Benoît XV, exposé selon la tradition dans la Chapelle Saint-Pierre à Rome : «Sous les lourds ornements qui l’écrasent, le corps s’est brisé. Les soies, les pourpres épousent les formes d’un être sans épaisseur, comme vidé. Il penche. Il semble attiré par la terre. Ce qu’on voit sous les couleurs et les ornements est d’un vert de marbre gâté, sans reflet. Il y a dans ce lieu rempli d’une épaisse vapeur d’encens quelque chose d’enfiévré. Tout cet or prodigué, ces riches étoffes, ces lumières, ces gardes, toute cette noblesse et ce haut cérémonial s’abîment maintenant très vite dans les vertiges du sépulcre.»

À l’opposé de ces instantanés où se cristallise ce fulgurant raccourci de l’histoire qu’est un événement, Béraud sait aussi saisir sur le vif l’atmosphère de lieux où la vie semble s’être figée, comme par exemple pour cette série de papiers consacrés au milieu carcéral. L’évocation de la prison des femmes, à Rennes, est stupéfiante. Béraud raconte la «promenade» disciplinée à l’extrême de ces voleuses, empoisonneuses et autres avorteuses en tous genres : «Six marches à monter, deux pas derrière un lourd pilier, et je reçois comme un coup en pleine poitrine. Sous mes yeux, […] sept cents femmes en bonnet de toile et fichu à damier tournent en seize files autour de seize gazons triangulaires. On n’entend qu’un bruit de sabots battant d’un long roulement le gravier. […] Le regard ne peut se détacher de cette procession de recluses blanches et bleues, formant, effaçant, et reformant leur rosace, dans un silence monastique.»

Pierre Assouline, qui préface la réédition de ce recueil, confronte l’approche du journalisme béraldien avec celle de sa propre génération, et va jusqu’à avouer avoir trouvé, du temps où il débutait dans la carrière, une espèce de «bréviaire» dans Le Flâneur salarié. Une nostalgie douce-amère affleure au moment de parler d’un métier dont les conditions d’exercice ont changé au point de devenir méconnaissables : «À l’ère d’Internet, le reporter n’est pas encore parti que son reportage est déjà arrivé. Henri Béraud était d’un temps où un Français réalisait un exploit maritime lorsqu’il empruntait un bateau-mouche.»

Le critique a cependant la dent un peu dure envers son aîné : «Le fait est que cet homme qui ne brillait pas par une intelligence supérieure était d’intelligence avec la syntaxe ; comme quoi, on peut être de connivence avec les mots à défaut de l’être avec les idées.» Béraud n’avait en effet rien d‘un intellectuel. Cela fut de notoriété publique après la sortie, en 1923, de son brûlot contre la NRF de Gide, et c’est la moindre des choses que de concéder que l’auteur de La Croisade des longues figures savait écrire. Le procès de ses engagements a quant à lui déjà été fait. La cause est donc entendue, et le message est passé : il s’agit de se délecter avec contrition de cette prose si bien charpentée, tout en gardant en mémoire les dérives idéologiques qu’elle servira deux décennies après.

Assouline a par contre une remarquable définition quand il affirme : «Un reporter écrit pour l’oubli, contrairement à un écrivain.» La postérité de Béraud souffre que son œuvre romanesque demeure dans un sombre purgatoire, entachée par son exécrable réputation de polémiste. Dépoussiérer ses textes de presse est peut-être la voie médiane la plus juste afin de faire redécouvrir son talent, son souffle et son style.


Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 16/07/2007 )
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