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Une puissance dans la moyenne ?
Maurice Vaïsse   La Puissance ou l'influence ? - La France dans le monde depuis 1958
Fayard 2009 /  28 € - 183.4 ffr. / 649 pages
ISBN : 978-2-213-63810-2
FORMAT : 15cm x 23,5cm

L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.
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La question est rituelle, mais en ces temps de crise, elle demeure d’actualité : qu’est-ce que La puissance et qu’est-ce qu’une puissance ? Et, pour revenir à nos moutons, qu’en est-il de la France dans le monde ? Puissance moyenne ? Puissance en déclin ? A quel «rang» peut-elle prétendre ? Autant de questions qui structurent les réflexions des diplomates et des historiens des relations internationales, confrontés à un monde international compliqué. Une question simple qui appelle une réponse forcément complexe…

Professeur à l’Institut d’Etudes politiques de Paris et grand connaisseur du Quai d’Orsay, Maurice Vaïsse poursuit dans cet ouvrage une réflexion ancienne sur la politique extérieure de la France. Après s’être penché sur l’outil militaire et, plus largement, la guerre comme la paix, après avoir évoqué, dans La Grandeur, le style gaullien en politique étrangère, il propose dans ce nouvel ouvrage une réflexion, mi-synthèse, mi-essai, sur les logiques et les enjeux de la politique extérieure d’une puissance moyenne. Le titre même, écho français aux réflexions de J. Nye sur la puissance, éclaire le propos : une puissance moyenne doit-elle revendiquer soft et hard power ou se satisfaire d’un compromis ?

Pour répondre à cette question, l’ouvrage s’organise autour de grands thèmes (l’Elysée, la diplomatie culturelle, l’Europe, le multilatéralisme) et de grandes aires géographiques (Afrique, monde arabe, Amériques, Europe de l’Est et «bloc socialiste») : cette distribution s’avère efficace et permet une lecture ponctuelle, sur une question précise. En cela, l’ouvrage s’apparente autant à un manuel qu’à un essai. Un essai qui débute par un tour d’horizon de la machine diplomatique. Dans la foulée de La Grandeur, M. Vaïsse montre déjà que la politique gaullienne, sacralisée (sanctuarisée même, alors que comme le constatait déjà VGE, de Gaulle savait évoluer) confère au président de la République un primat indéniable, résumé dans cette idée d’un «style diplomatique». Entre «présidence omnisciente» et cohabitation subie, la politique extérieure française depuis 1958 est déjà un fait élyséen. Appartenant au domaine régalien, la politique extérieure française est également pilotée depuis le Quai d’Orsay. Ce découplage institutionnel fait notamment problème en période de cohabitation et s’avère, à l’usage, une affaire d’individus autant que de bureaux. Aussi, la première partie, loin de se limiter aux questions élyséennes, constitue-t-elle un bon tableau des institutions diplomatiques de la France, institutions dont l’ampleur - la France dispose du second réseau diplomatique après les USA - fait forcément débat. La donnée humaine – le caractère, la personnalité des hommes qui font la politique extérieure – n’est jamais absente de l’ouvrage qui se délecte (avec le lecteur) de belles citations et des réflexions de nombreux acteurs de la politique française, mais sait également discerner dans une décision, une pratique diplomatique, l’épaisseur d’une personnalité.

Partant de ces prémices, l’auteur explore dans les différents chapitres des pans de la politique extérieure française au prisme de la dialectique «puissance ou influence». L’Europe se taille logiquement la part du lion, en partant des pères fondateurs pour arriver aux enjeux de l’élargissement et à la question de l’avenir de l’idée européenne pour une population française bizarrement partagée sur le sens même de cet engagement. Il en va de même d’ailleurs avec l’ONU, examinée dans un chapitre plus largement consacré au multilatéralisme : vestige de l’après guerre, le siège permanent au conseil de sécurité reflète-t-il une réalité politique, celle d’une puissance majeure (et notamment dans le cadre des opérations militaires sous patronage onusien) ? Et plus largement, à quoi servent, pour la politique extérieure française, les institutions supranationales ? Sont-elles un instrument de puissance française, ou bien le vecteur/catalyseur d’une influence française diluée (faute de mieux) ?

Reste à savoir ce qui constitue cette influence française : serait-ce une position géographique et idéologique particulière ? La question des positionnements de la France, entre l’Est et l’Ouest, se pose bien logiquement par la suite : ayant, dès la fin de la guerre, opté pour une politique de juste milieu, ou d’alignement relatif, la France doit, dans les deux directions, faire les frais de rapports asymétriques. «Amis, alliés mais pas alignés», les Français figurent, du point de vue américain, des partenaires incommodes, dont les mains tendues sont encombrées par des préjugés anciens. Le problème se pose alors en terme d’influence, pour une France dont la silhouette, vue d’Amérique, demeure frivole. Et de fait, la politique culturelle fait l’objet d’un chapitre à part pour une France qui se pense encore universaliste, et qui revendique, sous couvert d’exception culturelle, sa propre «destinée manifeste» (d’où un certain agacement de l’Amérique, qui ne tolère d’autre universalisme que le sien). L’envers de cette politique à sentiments variables, ce sont les rapports avec l’Europe de l’Est, rapports compliqués et qui engagent pour le coup la présidence dans une politique d’équilibriste et suppose, à partir de 1989, un sens de l’histoire et une intelligence prospective (ce qui n’a pas toujours été le cas, à commencer par F. Mitterrand, confronté à la chute du communisme). L’Europe «de l’Atlantique à l’Oural» persiste, même de manière inconfortable.

La question des blocs, qui dans une certaine mesure se perpétue autrement, ne doit pas faire oublier ce qui relève plus de la tradition française, à savoir la politique orientale et africaine. Dans ces deux domaines, l’histoire ancienne de la France se conjugue, parfois difficilement, avec le contexte actuel, l’apparition de nouveaux acteurs et, plus encore, la concurrence américaine. De la «Françafrique» à la «politique arabe», c’est plutôt là que la France doit apprendre à composer pour préserver une influence tout en faisant, peu à peu, le deuil de sa puissance. Le thème du lien à maintenir, lien historique ou lien personnel, d’homme à homme (J. Chirac aura beaucoup joué de cette dimension personnelle de la politique extérieure) s’impose, et ramène la politique extérieure à sa dimension humaine, «diplomatique», aux côtés des traditionnelles forces profondes. Une réflexion bienvenue, et qui rappelle les poids des individus dans des affaires trop souvent réduites à la confrontation de quelques grands intérêts et autres impondérables économiques.

En définitive, voilà un ouvrage précieux, en ce qu’il constitue une excellente synthèse sur la politique extérieure française, ses acteurs, ses enjeux et ses modes d’action. Une synthèse largement étayée par des tableaux statistiques, des organigrammes administratifs… un manuel riche. Le ton est très pédagogique et clair : on retrouve là un solide style professoral qui débrouille clairement des affaires compliquées et entremêlées. Mais l’auteur sait aussi, subtilement, prendre des positions, en nous rappelant que faire de l’histoire revient aussi à faire l’histoire et trancher. Les avis, les réflexions, au tournant d’une présentation, rappellent la dimension politique de la diplomatie, une dimension indissociable (la conclusion, revenant sur la présidence Sarkozy, fait nettement le lien entre la dimension politique et la dimension diplomatique, comme une vue en perspective). Une lecture indispensable pour qui entend comprendre le sens d’une politique étrangère et cette étonnante «exception française» qui agace tant nos partenaires.


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 06/05/2009 )
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