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Histoire & Sciences sociales -> Géopolitique |
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Par l'odeur du pétrole attirés... | | | Mark Blaisse Reconstitution du complot international contre la Guinée-Equatoriale L'Harmattan - Points de vue 2012 / 18 € - 117.9 ffr. / 175 pages ISBN : 978-2-296-96042-8 FORMAT : 13,5cm x 21,5cm
L'auteur du compte rendu : Romancier, essayiste, docteur en sociologie, Frédéric Delorca a publié entre autres, aux Editions du Cygne, Abkhazie : A la découverte dune «République» de survivants (2010). Imprimer
Le complotisme a mauvaise presse ces derniers temps. A juste titre. Cependant la condamnation dun mode de pensée par trop systématique fondé sur la phobie des conspirations ne doit pas faire oublier que les complots sont monnaie courante dans les relations internationales, notamment dans le cadre des relations asymétriques post-coloniales. Pour reprendre un mot prêté à divers personnages célèbres : «Même les paranoïaques ont des ennemis».
Il se trouve cependant que les dessous de ces complots ne sont habituellement connus que très tardivement, trente ou cinquante après les faits (songeons par exemple au rôle de la CIA dans lassassinat de Lumumba, ou dans le reversement de Pinochet découvert très longtemps après les faits, et aux doutes qui planent encore sur les éventuelles responsabilités européennes dans lélimination de Thomas Sankara, et de tant dautres dirigeants brutalement disparus, de Milosevic à Kadhafi en passant par Yasser Arafat). Les archives restent longtemps classées afin de protéger les individus et les institutions impliquées dans les opérations clandestines, et ceux qui tentent de briser la loi du silence ont parfois de sérieux problèmes, pour employer un euphémisme. Cette existence de complots secrets, peu compatible avec les règles du sain fonctionnement dune démocratie alimente précisément le conspirationnisme, nuit à la confiance générale dans les relations inter-Etatiques et donc, par voie de conséquence, à la stabilité de notre monde.
Cest pourquoi il faut saluer ici le courage du journaliste néerlandais Mark Blaisse qui propose à lopinion publique française dans ce livre un dossier denquête sur un complot récent à propos duquel les grands médias nont guère pris la peine de se renseigner : une tentative de coup dEtat survenue en 2005 en Guinée-Equatoriale.
La Guinée-Equatoriale est un petit Etat dAfrique centrale riche en pétrole, régulièrement pointé par les organisations de défense des droits de lHomme. La présence dun dictateur à sa tête, Teodoro Obiang, explique peut-être, au moins partiellement, que les tentatives de renverser son régime néveillent guère la curiosité des journalistes des grands groupes de presse.
Mark Blaisse est fidèle à une tradition anglo-saxonne dobjectivité scrupuleuse, il ne cherche pas à prendre position pour ou contre une dictature. Il sagit seulement pour lui de faire uvre dhistorien du temps présent en livrant des faits inconnus assortis des éléments de preuve disponible sans rien rajouter dopinion personnelle.
Résumons lintrigue : en mars 2004, plusieurs dizaines de mercenaires ont tenté de renverser le régime dObiang. Deux scénarios sont prévus : la révolution de palais avec enlèvement du président à la clé (assorti ou non de son assassinat) ou bien une insurrection populaire organisée avec la complicité de proches du président, en appui de laction des mercenaires. Mais la manuvre échoue, les pied nickelés organisateurs du coup (parmi lesquels le très aventurier fils de Margaret Thatcher, ainsi quun millionnaire dorigine libanaise, un patron de société de société militaire privée britannique, un ancien officier sud-africain) et leurs complices qui ont trop parlé autour deux, sont arrêtés au Zimbabwe, puis extradés et traduits en justice à Malabo.
Le livre présente un intérêt à plusieurs niveaux. Très pratique dans ses détails, il nous apprend en suivant le timing des décisions prises semaine par semaine comment on monte un renversement de régime pour un petit pays de 700 000 habitants : le nombre dhommes nécessaires, le prix des armes, les voies de financement, etc. A une échelle géopolitique plus vaste, il révèle une fois de plus lhypocrisie des grandes puissances occidentales (Etats-Unis, Royaume Uni) qui font toujours semblant de ne pas savoir mais laissent faire, tant que cela les arrange, au mépris du droit international. Blaisse est particulièrement sévère pour lEspagne dAznar (et du roi Juan Carlos qui nest pas épargné) : selon lui, ce pays qui na rien fait pour la Guinée-Equatoriale ni pendant la colonisation ni après, était prêt soudain à faire de son ancienne colonie pétrolifère «son Irak à elle», où elle eût imposé, avec la bénédiction de George W. Bush, un gouvernement à sa botte, en échange de son soutien au renversement de Saddam Hussein à Bagdad. Le socialiste José-Luis Zapatero a démenti cela après coup, tout en verrouillant les archives, mais il y avait bien, selon Blaisse, un proche dAznar à la table des comploteurs, et des navires de guerre espagnols dans les eaux territoriales de la Guinée équatoriale le jour-même du coup dEtat, pour la première fois depuis les années 60, transportant comme par hasard des légionnaires choisis en fonction de leur origine équato-guinéenne.
Le livre rappelle aussi la manière très particulière dont les notions de «droits de lHomme» mais aussi de bien et de mal, de trahison, peuvent être interprétées par un Etat africain comme la Guinée-Equatoriale Obiang, en Jules César magnanime, na dailleurs guère poursuivi son entourage mouillé dans le coup dEtat avorté, ni cherché spécialement à dénoncer les complicités occidentales. Il souligne le rôle de puissances non-alignées comme le Zimbabwe et lAfrique du Sud dans léchec de la tentative de putsch.
Par-delà quelques problèmes stylistiques (quelques coquilles, des familiarités pas très heureuses comme lemploi de lexpression «bingo !», et loubli de féminiser le sous-titre du livre), on trouvera dans cet ouvrage de précieux outils de compréhension des rapports de forces internationaux actuels et de la situation de la petite Guinée-Equatoriale, à lheure où celle-ci fait à nouveau parler delle du fait du mandat darrêt international lancé contre le fils de son président par des juges français.
Frédéric Delorca ( Mis en ligne le 10/04/2012 ) Imprimer | | |
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