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Histoire & Sciences sociales -> Géopolitique |
| Jürgen Habermas La Constitution de l’Europe Gallimard - NRF Essais 2012 / 18.90 € - 123.8 ffr. / 240 pages ISBN : 978-2-07-013753-4 FORMAT : 14,0 cm × 20,5 cm
Christian Bouchindhomme (Traducteur) Imprimer
Jürgen Habermas qui passe souvent pour être le plus grand philosophe vivant, une sorte de «Kant du XXe siècle» (R. Maggiori, Libération), a dernièrement écrit un essai intitulé La Constitution de lEurope, paru aux éditions Gallimard. Grand promoteur du «principe de discussion», Jürgen Habermas en appelait dans ses précédents écrits à la mise en place dune «démocratie délibérative», c'est-à-dire dune véritable «démocratie radicale». Il a également défendu la notion de «patriotisme constitutionnel» quil comprend comme un sentiment dappartenance fondé non pas sur une identité culturelle particulière (nationale par exemple), mais plutôt sur les principes universels contenus dans une constitution (comme la dignité humaine).
Dans son dernier ouvrage, Jürgen Habermas se penche sur la crise traversant le Vieux Continent. Il avance quil est «impératif que les citoyens européens nabandonnent pas à leurs chefs dEtat ou de gouvernement ce processus de déprovincialisation réciproque» que constitue la construction européenne. Cest la raison pour laquelle il senorgueillit de la récente traduction de ses livres de lallemand vers le français. La solution aux maux dont lUnion européenne souffrirait actuellement ne consisterait pas en un repli des Etats membres sur leurs intérêts nationaux, mais bel et bien dans «plus dEurope». La longue crise économique secouant le monde et le Vieux Continent depuis quelques années déjà mettrait en évidence les défauts et les lacunes de la construction européenne : lUnion européenne serait victime dun manque de «capacité politique» empêchant les économies nationales de dériver les unes par rapport aux autres.
A cet égard, le philosophe allemand se fait plus que sceptique vis-à-vis de la politique européenne menée par Angela Merkel. Habermas retient principalement trois griefs : tout dabord, la chancelière ferait «avancer lintégration européenne à feux trop doux pour nêtre pas soupçonnée dégoïsme national». A ce propos, Helmut Schmidt a dernièrement reproché à lactuel gouvernement allemand de dilapider le capital de confiance que la République fédérale dAllemagne avait su constituer depuis la chute dHitler. Autre motif dinsatisfaction : lobsession du cabinet dAngela Merkel en ce qui concerne la rigueur en dépit des grandes disparités économiques et sociales existant entre les différents pays dEurope. En outre, la chancelière se focaliserait beaucoup trop sur lintergouvernemental, ce qui relèguerait le parlement européen et les assemblées nationales à la marge de la vie politique. Ce serait, en quelque sorte, «une auto-habilitation des exécutifs» finalement au détriment de la démocratie.
Jürgen Habermas souhaite une intégration européenne plus poussée, mais aussi nettement plus démocratique afin de pouvoir éventuellement faire pièce aux puissances mondiales «nées», comme les Etats-Unis dAmérique, la Chine, la Russie, le Brésil ou lInde. Il sagit de peser sur les grandes orientations à donner à la politique mondiale. Pour ce faire, explique le philosophe allemand, il nest «nullement nécessaire que cette entité commune prenne la forme dun Etat fédéral pour que les procédures de législation exigées dans une république puissent être satisfaites ; dans une Europe ainsi réformée, cest aux Etats membres quil reviendrait dassumer le rôle indispensable de garants des libertés républicaines». Il défend la «souveraineté partagée».
Après avoir consacré lessentiel de son propos à la crise européenne, Jürgen Habermas se penche sur ce quil appelle «lutopie réaliste des droits de lhomme» ainsi que sur la notion de dignité humaine. Ce concept-clé naurait de cesse de faire lobjet dune kyrielle de concrétisations (notamment par le biais des décisions de justice rendues par les tribunaux). La dignité humaine serait donc «généalogique» en ce quil aurait fait naitre «une dynamique de luttes liées à lindignation, qui ne cesse, elle-même, de stimuler lespoir dune institutionnalisation, si improbable soit-elle, des droits de lhomme à léchelle mondiale».
Prolongeant les précédentes réflexions de Jürgen Habermas, cet essai qui interroge les causes et les possibles remèdes de la crise européenne se trouve être vraiment très stimulant dun point de vue intellectuel. Seul bémol : il est possible de regretter que la première partie de louvrage sapparente à un simple recueil darticles de presse et dinterviews, ce qui nuit quelque peu à lunité de lensemble.
Jean-Paul Fourmont ( Mis en ligne le 10/07/2012 ) Imprimer | | |
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