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Histoire & Sciences sociales -> Géopolitique |
| Samuel Laurent Sahélistan Seuil 2013 / 19.50 € - 127.73 ffr. / 370 pages ISBN : 978-2-02-111335-8 FORMAT : 15,4 cm × 24,0 cm
L'auteur du compte rendu : Juriste, essayiste, docteur en sociologie, Frédéric Delorca a dirigé, aux Éditions Le Temps des Cerises, Atlas alternatif : le monde à l'heure de la globalisation impériale (2006) et publié récemment Abkhazie, à la découverte dune "République" de survivants (Éditions du Cygne, 2010). Imprimer
A circonstance exceptionnelle, personnage exceptionnel. La guerre de Libye et du Sahel (qui aujourdhui se prolonge du Mali au Cameroun), «notre» si belle et si chère guerre de Libye, aura fait émerger un personnage singulier : Samuel Laurent.
Lhomme a de quoi surprendre. Employé par des sociétés privées pour explorer les pays dangereux et y évaluer les risques des investissements, il a fait du danger sa profession. Et cest un observateur plein de bon sens, autant que de franc parler. Comme si la vérité ne pouvait plus venir aujourdhui ni des journalistes professionnels, ni des services de lÉtat mais du milieu des affaires, seul prêt à accepter quon appelle un chat un chat. Surtout lhomme a un talent incroyable pour sattirer la confiance des protagonistes des guerres, même ceux dont les opinions sont aux antipodes de ses convictions. En un clin dil, il sait se faire des réseaux qui le mèneront au contact des pires ennemis des Occidentaux, dans les endroits les plus improbables et plus risqués.
Ce talent, Samuel Laurent la mis au service de la description dune nation qui se meurt, dun cadavre en décomposition : celui de la Libye. Ecoeuré par la bêtise dun Bernard-Henry Lévy et dun Nicolas Sarkozy qui ont précipité ce pays dans le chaos sans en évaluer les conséquences, autant que par la lâcheté de nos médias complices de cette catastrophe, dont ils nosent pas nous révéler le vrai visage, Laurent nous embarque aux quatre coins de cette contrée soumise au règne des milices, des mafias et des fanatiques, de Tripoli à Benghazi et jusquau fin fond du grand Sud Libyen, contrôlé par Al Qaida Maghreb Islamique (doù sont lancées les opérations contre le Mali et le Niger).
Lauteur nous fait tout voir : les massacres des Noirs toubous au nord de la frontière tchadienne, les tortures à Misrata, les trafics de drogues à la passe de Salvador, le QG de la milice Rafallah Sahati, et celui des djihadistes dAnsar al-Charia. Il ne le fait pas dans labstrait, sur la base de «on-dit», mais en se rendant sur place, en rencontrant les acteurs des combats au risque de prendre une balle dans la tête, toujours ancré dans le témoignage de première main. Sans jamais verser dans les balivernes de la propagande antiguerre (parfois symétriques hélas de la propagande de nos armées) qui sest sentie obligée en 2011 de faire lapologie de la «résistance» kadhafiste, ou de noircir artificiellement les anciens combattants dAfghanistan, Laurent se fie à son sens des rapports humains pour trier le bon grain de livraie. Son analyse conduit souvent à des conclusions surprenantes quand il explique que, plutôt que de sappuyer sur les planches pourries et pseudo-libérales de Moustapha Abdeljalil et Mahmoud Jibril, les actuels «gouvernants» (au sens formel du mot), qui «couvrent» en secret les pires terroristes, «lOccident» (puisquil faut appeler ainsi lactuel bloc atlantiste) sauverait sans doute ce quil lui reste à sauver en négociant avec des guerriers islamistes comme Abdelhakim Belhaj (lancien gouverneur militaire de Tripoli décrit à tort selon lui comme un allié dAl Qaïda) ou Mohamed el-Gharabi (le chef des Rafallah Sehati, la principale brigade qui assure une bonne part du maintien de lordre à Benghazi).
Il est difficile dévaluer le bien fondé des jugements de Samuel Laurent puisque, précisément, il est malheureusement le seul parmi les Occidentaux à être allé aussi loin dans la tentative de rencontrer et de comprendre les véritables pouvoirs qui contrôlent aujourdhui véritablement la Libye. Personne ne peut contrer ses dires, et donc personne ne peut non plus les jauger au vu déléments contradictoires. Peut-être dailleurs lauteur ne dit-il pas tout ce quil sait (et puis dabord, au fait, pourquoi ce choix de sortir un livre maintenant, au risque de ruiner ses chances de poursuivre le métier exercé jusque là ?).
Ce qui est certain en tout cas, cest que par-delà lanalyse politique, le témoignage sur le terrain est fort, écrit dans un style magnifique et entraînant, ciselé au scalpel, dune précision de géomètre. Il livre limage dun pays qui senfonce. Un pays naguère prospère où lon ne ramasse plus les ordures dans les rues et où plus aucune vie normale nest plus possible, tout étant suspendu au pouvoir terrifiant dados armés de fusils automatiques auxquels les villes, mais aussi les forêts, les côtes et le désert appartiennent désormais. Vitupérant contre lOccident qui laisse se développer cette anarchie à quelques centaines de kilomètres de ses côtes, Samuel Laurent met en garde les Européens : en livrant la Libye (et les armes de Kadhafi) à Al-Qaïda, puis en décidant de fermer les yeux sur ce qui sy passe, vous vous exposez aux pires atrocités sur votre propre sol, et la crise malienne nest quun pâle avant-goût de ce qui vous arrivera dans quelques années. Mais qui a encore des oreilles pour entendre lavertissement ?...
Frédéric Delorca ( Mis en ligne le 18/06/2013 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Anatomie d'un tyran : Mouammar Kadhafi de Alexandre Najjar | | |
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